Résidence créative à Musique et Mémoire
A l’invitation de Fabrice Creux, Sébastien Daucé s’interroge davantage sur la formation romaine du compositeur. En réponse à l invitation du Festival, le musicien présente un programme inédit qui rétablit la place du Français parmi les grands créateurs italiens actifs à Rome, au cœur des années 1660/1670.
Comment Foggia, Melani et bien sur Carrissimi influencent-ils le jeune Charpentier, qui malgré son jeune âge est loin d’être un compositeur inexpérimenté?
Vocalità, fusion du verbe et des accents musicaux, dans le sillon tracé par Monteverdi dans la première moitié du XVIIème …. mais aussi écriture chorale à plusieurs groupes… Charpentier apprend tout cela et l’assimile avec un génie propre. Italien et français, le compositeur réalise une synthèse exceptionnelle.
Il réussit pleinement son apprentissage romain comme avant lui et depuis le début du siècle les artistes peintres venus de France, se rendent à Rome, le plus vaste chantier artistique d’Europe, pour y assimiler le réalisme et la lumière du Caravage, la sensation climatique des paysages classiques du Dominiquin… Autant de modèles modernes qui surgissent grâce à la présence spectaculaire des ruines antiques … A Rome, Charpentier perfectionne sa langue musicale: c’est en Italie qu’il devient lui-même. Et comme les grands créateurs à son époque, il produit du nouveau et de l’original au contact de ses contemporains eux-mêmes inspirés par les sources antiques.
Aboutissement de son travail à Musique et Mémoire, l’ensemble Correspondances séduit immédiatement par la cohésion de la sonorité, une incarnation à la fois subtile et vivante du verbe musical et instrumental. Il revient au jeune maestro d’insuffler la vie et l’âme de cette ferveur sacrée qui devient drame et exaltation spirituels.
Sébastien Daucé, passionné par Charpentier, sait réunir un collectif de tempéraments fusionnés. Tous ou la majorité se sont rencontrés puis associés autour de leurs classes au CNSM de Lyon. Cette entente originel et dès leurs débuts, le plaisir de jouer ensemble, produisent aujourd’hui une belle cohésion d’équipe. Immédiatement, l’esprit de la troupe scelle les volontés partagées. Les interprètes ne jouent pas ni n’interprètent: ils vivent la musique. Cette nuance fait désormais la réussite du festival Musique et Mémoire qui a choisi d’accompagner de jeunes ensembles en leur offrant une résidence privilégiée: c’est un retour exaltant et stimulant à la notion d’artisanat et de laboratoire sur la durée, si chers à Fabrice Creux, directeur artistique et fondateur de l’évènement. Le pari est d’autant plus risqué que les publics et les directeurs préfèrent souvent le confort des têtes d’affiche… aux aléas du risque, de l’inconnu, de l’émergence. Pourtant les festivaliers de tout bord aiment qu’on les surprennent. A Musique et Mémoire, chacun sait qu’il lui est promis une passionnante aventure dont chaque concert dévoile l’avancée et l’approfondissement de l’interprétation. Ici, s’impose pas à pas la volonté recréative des ensembles émergeants.
A ce titre, l’expérience musicale offerte par Correspondances à Luxeuil a dépassé les objectifs de sa première proposition. S’agissant de Sébastien Daucé, le geste convainc: un immense talent fédérateur s’est révélé. L’an prochain d’autres nouveaux volets devraient captiver : l’ensemble poursuit sa route ici même dans de nouveaux programmes également dédiés au premier baroque français (un probable programme Boesset dont les joyaux seront dévoilés dès septembre 2011 par le disque, avant d’en savourer le geste vivant pour le festival 2012).
A Luxeuil, devant le magnifique buffet d’orgue XVIIème, chanteurs et instrumentistes réalisent une éclatante résurrection de la piété romaine des années 1660… Un monde sonore vertigineux auquel le jeune Charpentier est confronté: quelle pertinente mise en perspective d’inscrire Alessandro Melani avant cette Messe de Sainte Cécile inédite : véritable chef-d’oeuvre vocal et choral où le verbe ciselé fusionnant avec les inflexions de la musique produit un drame d’une criante vérité humaine … Pas d’ accent gratuit aucun mélisme ni combinaison chorale s’ils ne sont exigés par la nécessite dramatique, l’intensité et le dévoilement du sentiment spirituel.
Charpentier – Melani: une filiation retrouvée
On savait que Rome attirait les peintres pour l’excellence des artistes qui y travaillaient: toute l’Europe suit les tendances et les esthétiques diffusées par la Ville Éternelle… Le programme met en lumière non pas tant l’influence de Carissimi sur l’écriture du jeune Français, mais surtout sa parenté avec … cet auguste inconnu Alessandro Melani par ailleurs si fécond et doué parmi les compositeurs romains du Seicento : affilié à l’église Sainte Marie Majeure (comme Giuseppe Giamberti) puis à Saint-Louis des Français, Melani partage avec Charpentier cette éloquence d’une sensualité épanouie, une indiscutable maitrise dans l’articulation expressive des textes… Autant de réussites entre textes et souple caractérisation de la musique qui produit in fine l’évidence d’un drame sacré. Ici chaque musicien se fait soliste ; en architecte des plus inspirés, Sébastien Daucé polit l’arête vive d’une âme languissante, celle de Sainte-Cécile, patronne des musiciens, et dont les prières égalent le meilleur Carissimi, pour nous celui de Jephté; le maestro sait aussi ciseler le jeu du chant alterné, d’un petit chœur à l’autre pour l’apothéose de la Martyr.
Le grand effectif requis pour le concert ne trouble pas la direction du jeune maestro dont chaque accent instrumental ou vocal est scrupuleusement calibré selon la nécessité dramatique du verbe; tout se concentre sur l’articulation vivante du texte.
Principe de la résidence oblige, Correspondances revient en 2012 ici même ; Fabrice Creux nous promet d’autres nouveaux jalons. C’est désormais en Haute Saône, et nul part ailleurs que le geste interprétatif peut s’accomplir d’une toute autre façon. Le risque, l’audace et le défrichement portent décidément très haut les apports d’un festival laboratoire unique en France.
Luxeuil-les-Bains. Basilique Saint-Pierre, le 31 juillet 2011. Festival Musique et Mémoire 2011. L’héritage de Rome. Marc Antoine Charpentier: Sainte-Cécile. Melani: litanies. Foggia, Giamberti… Correspondances. Sébastien Daucé, direction. Programme présenté en création.