Fidèle à son approche interprétative au sein de L’Arpeggiata, la musicienne et initiatrice de ce projet sud américain nous offre un programme copieux et chatoyant de timbres mêlés, de rythmes enfiévrés, entre tendresse, nostalgie, évocation d’un folklore épicé, âpre, généreux dont elle a le secret… mais aussi revisité souvent affleurant un kitsch s’insinuant entre variété et générique… indigeste: le titre qui donne son titre Los Pajaros perdidos chanté par le contre-ténor Jarousky atteint ici un comble de minauderie affectée et précieuse que le style plus naturel et flexible, plus sobre et chantant de Lucilla Galeazzi, Vincenzo Capezzuto, et surtout l’excellente Raquel Andueza (bolero Besame mucho) compense heureusement; à croire que plusieurs années d’interprétation baroque se soient effacées pour le chanteur français, soignant au mépris de toute clarté de la ligne vocale, une surexpressivité factice, totalement superficielle.
Les perles du programmes car il en y a sont plutôt à rechercher du côté des sections purement instrumentales: Isla Saca (traditionnel Paraguayen): festival rythmé de cordes pincées; l’extraordinaire Fandango de Soler: autre brûlot énergique et fantastique pour harpe… surtout les 3 zambas (plages 2, 9 et 14), danses dont le titre désigne l’enfant métis, né d’une amérindienne et d’un européen: un emblème pour le South American Project défendu par l’Arpeggiata: dignité et noblesse du ton, relief de l’instrumentarium baroque. S’il n’était dans la 14 (Zamba del Chaguanco), la voix à toujours à contre emploi de Philippe Jaroussky: non décidément, le chanteur français se trompe à participer ainsi dans ce type de programme: question de couleur de voix, de style surtout.
Autre entrain irrésistible pour les 3 Joropos (plages 11, 12 et 13), rythmes propres aux Andes entre Colombie et Venezuela: les deux chanteurs Vincenzo Capezzuto et Luciana Mancini (11, 13) expriment toute l’ivresse nostalgique et tendre de ces joyaux musicaux. La plage 12 (Caballo viejo) vaut les autres sections instrumentales: la harpe enchantée de Lincoln Almada est l’un des meilleurs arguments de ce programme très investi. Saluons aussi le charango de Raul Orellana (Ojito de agua), petite guitare des Andes, probablement originaire de Bolivie, au timbre si troublant et dans cette plage 17, d’une finesse enfiévrée, jubilatoire. Féministe, humaniste, Christina Pluhar sait enfin rendre hommage à la poétesse argentine Alfonsina Storni (1892-1938), ressuscitée par la voix incarnée, vibrante, tendre et grave de Lucilla Galeazzi (Alfonsina y el mar, zamba d’Ariel Ramirez): preuve qu’au delà de la séduction parfois facile du programme (ou déconcertante pour les puristes baroqueux), le projet défendu par L’Arpeggiata sait aussi s’engager dans la mémoire de figures artistiques majeures. Alfonsina Storni reste l’une des poétesses les plus importantes en Argentine, honorée par Federico Garcia LLorca (1933).
S’il n’était l’erreur de casting vocal dont nous regrettons les dérapages de style, l’album est une nouvelle réussite; Christina Pluhar sait faire vibrer l’âme sud américaine des instruments baroques. Cornet, harpe, théorbe, psaltérion, guitare, chitarra battente… confrontées ici aux rythmes sud américains, gagnent une vitalité hypnotique.
Los Pajaros perdidos. The South American project. L’Arpeggiata. Christina Pluhar, direction et théorbe. 1 cd Virgin classics. Réf.: 5099967 851621. Enregistrement réalisé à Paris, en février, juillet et août 2011.