mardi 6 mai 2025

L’Orchestre Philharmonique de BerlinRadio Classique, le 16 avril 2007 à 21h

A lire aussi

Berliner Philharmoniker,
Saga d’un
orchestre mythique

Radio Classique
Le 16 avril 2007 à 21h

Quelques extraits des archives de la Philharmonie la plus populaire et la plus prisée dans le monde, évoquent l’histoire d’un orchestre à la sonorité somptueuse, dont chaque concert est un événement fêté, célébré, encensé à sa juste mesure. Et pour nous, le programme de la chaîne radio est aussi l’occasion de dresser un premier bilan d’une épopée fantastique.

Histoire d’un mythe orchestral

Née en 1882, la phalange berlinoise n’est pas adossée à un théâtre d’opéra, comme de nombreux orchestres déjà anciens, en Europe. Pourtant, la couleur spécifique du Berliner, qui joue à une course d’excellence avec le Wiener Philharmoniker, son homologue autrichien, a dès sa fondation exercé une vive attraction auprès des mélomanes comme des chefs qui l’ont dirigé. Six au total, qui de par leur position en tant que « chefdirigent », sont entrés eux aussi dans la légende :

Hans von Bülow (1830-1894)
Arthur Nikisch (1855-1922)
Wilhelm Furtwängler (1886-1954)
Herbert van Karajan (1908-1989)
Claudio Abbado (1933)
Simon Rattle (1955)

A l’origine de la constitution de l’Orchestre, la sécession d’une cinquantaine d’instrumentistes qui, exploités par leur employeur Benjamin Blise, refusent au printemps 1882 de signer leur engagement. Leurs conditions financières et matérielles leur sont devenues inacceptables. Les musiciens révoltés s’organisent en association et fondent une phalange nouvelle qui se donne comme idéal, l’exécution la plus parfaite possible de la musique symphonique, telle que la leur révéla le chef Hans von Bülow. En 1884, la société du Philharmonique de Berlin associe chacun à la gestion et à la ligne artistique, comme au choix du chef et des nouveaux membres.
Grâce à un succès croissant et au soutien de généreux donateurs dont Joseph Joachim, alors directeur de l’Ecole de musique de Berlin, l’association musicale progresse, convainc, trouve son rythme de croisière. L’impresario Hermann Wolff apporte aussi son regard visionnaire: il propose l’idée des abonnements et déniche le lieu de la Philharmonie, une ancienne patinoire qui est réaménagée en lieu de concert. Inauguré en 1889, le site restera l’écrin des concerts de plus en plus prestigieux, jusqu’à sa destruction en 1944.

Bülow

Dès 1887, Bülow insuffle un esprit conquérant, une exigence jamais démentie, l’idéal qui permet aujourd’hui à l’orchestre de rayonner à Berlin et dans le monde. Son dessein est d’élever l’orchestre symphonique à un même degré d’accomplissement qu’a atteint le théâtre lyrique avec Wagner. Mozart et Haydn, sans omettre Beethoven et Schubert, mais aussi encore Wagner, Schumann et Brahms, sont l’ordinaire d’une phalange hissée jusqu’à l’excellence. Richard Strauss, Brahms, Grieg et même Tchaïkovski dirigent leurs propres oeuvres. Le règne de Bülow s’achève en 1892. Il meurt au Caire en 1894.

Nikisch

Arthur Nikisch prend la relève en 1895, pendant 27 ans jusqu’en 1922. D’un charisme indiscutable, le nouveau chef assure le maintien de la ligne artistique, tout en assurant aussi la direction du Gewandhaus de Leipzig. Détesté par Bülow, Bruckner fait son entrée au répertoire de l’Orchestre. Saint-Saëns, Mahler et Busoni sont invités à diriger leurs oeuvres. Nikisch aime les tournées: sous son « règne », le Philharmonique donne de nombreux concerts, la Cinquième de Beethoven devenant même son « hymne », à Paris, Toulouse, Nice… L’association devient alors société en 1902 et la municipalité berlinoise, décide de financer une partie du fonctionnement. Son rayonnement grandit et de nombreux chefs extérieurs sont invités à diriger le Berliner: Fritz Busch, Otto Klemperer, Erich Kleiber, Hans Knappertsbusch, Bruno Walter…

Furtwängler

Le 9 octobre 1922 est le premier concert de Wilhelm Furtwängler comme chef dirigent. En lui s’accorderaient, l’analyse, le sens du rythme de Bülow, et la recherche d’élégance, de vision poétique et de sonorité de Nikisch. Aucun doute, c’est l’homme de la situation. Mais Furtwängler se détache tout autant de ses prédécesseurs: il s’affirme grâce à son sens inné du drame, sa couleur tragique, sa quête spirituelle. Beethoven, Wagner, Brahms, Strauss, Bruckner restent les piliers du répertoire. Mais le romantique, ouvre l’Orchestre sur le contemporain: Schoenberg (Variations opus 31, en 1928), ou le cycle symphonique « Mathis le Peintre » de Paul Hindemith (1934) montrent l’amplitude de sa curiosité. Assurant un continuité sans démordre, le Berliner version Furtwängler connaît une accélération terrifiante de l’Histoire: crise économique de 1923, chute de la République de Weimar, avènement du nazisme et d’Hitler, seconde guerre mondiale, puis division de l’Allemagne, auxquels succède un procès contre Furtwängler, sa dénazification n’étant pleinement établie qu’en 1946.

Sous contrôle nazi

Organe de prestige, incarnant avec autorité le génie musical allemand, le Philharmonique ne tarde pas à tomber sous la coupe de Joseph Goebbels qui contrôle désormais la ligne artistique, sélectionne les compositeurs joués et réserve aux membres du bureau hitlérien, les meilleures places, celle du premier rang. Des chefs zélés se pressent alors, heureux d’inscrire leur nom à l’une des périodes pourtant les plus décriées de l’histoire: Eugen Jochum, Leo Borchard, Karl Böhm, Hans Rosbaud, Karajan (le petit « k » comme l’appellera Furtwängler pendant son procès), Joseph Keilberth… Furtwängler ose refuser à plusieurs reprises de diriger l’Orchestre dépêché dans les pays conquis, comme arme de triomphe.

Sergiu Celibidache

Le renouveau s’appelle Celibidache, le Berlinois, d’origine roumaine depuis 1930, passionné autant que caractériel, offre un tempérament dont l’heure a besoin, conférant à l’effort de reconstruction après la guerre, sa gloire renouvelée. L’aura de Celibidache tire à nouveau la phalange vers le haut, reconstruit aussi l’esprit de groupe. Le dernier concert du chef avec la Philharmonie a lieu en 1954, l’année où s’éteint Furtwängler.

Karajan

Dès 1938, le jeune Karajan dirige le Berliner et séduit les instrumentistes. Furtwängler en avait pris ombrage, voyant dans la direction de son cadet, une autorité contraire à la sienne, une arrogance publicitaire et égotique, équivalente à celle de Toscanini lequel aurait pu dire: « l’orchestre, c’est moi! ». Le refus et l’intransigeance de Celibidache à l’égard du disque, le medium de l’avenir, impose Karajan dans l’esprit des musiciens. D’ailleurs, le chef salzbourgeois construira sa gloire et celle du Berliner, par l’enregistrement, abordant des oeuvres au disque et non au concert ou sur la scène. Redoutable, Karajan accepte sa nomination comme « chefdirigent » à condition qu’elle soit « à vie ».
Vigilant et jaloux, Karajan orchestre répertoire (dans la ligne de Furtwängler) et gestion selon ses conceptions. Le Berliner est devenu « son » orchestre. Il s’ouvre peu aux compositeurs contemporains, n’affichant par exemple Mahler qu’après que Bernstein l’ait abordé avec le charisme que l’on sait. D’ailleurs, Karajan, même nommé à vie, prend soin de n’autoriser qu’un seul concert avec Lenny, en 1979. L’autrichien n’accepte aucune ombre à son empire.
Sur la scène, en concert, vedette de la Philharmonie berlinoise, l’orchestre devient avec Karajan, un orchestre de fosse, au festival de Pâques de Salzbourg (qu’il crée en 1967). La sonorité est fondue, sensuelle, hédoniste, voluptueuse. Le son « Karajan » est né. Un nouvel écrin accueille désormais les concerts de l’orchestre : la Neue Philharmonie inaugurée en 1963.
La machine est lancée, terriblement efficace, intégrant dans son fonctionnement naturel les rouages du marketing adapté à la frénésie du marché du disque qui connaît alors ses années fastes. Pour le grand public, la figure du chef, du père charismatique, a trouvé figure: il s’appelle Karajan. Après les célébrations du centenaire, en 1982, dirigée surtout par Seiji Osawa, l’ère Karajan est marquée par une déchirure aussi violente que de courte durée, quand le chef impose pour la première fois dans l’histoire de l’orchestre, une femme, Sabine Meyer, comme première clarinette. Mais là encore, contre le désaveu de l’orchestre, c’est le chef qui gagne et soumet. Le chef ne verra pas la chute du mur, et meurt en 1989, l’année où il dirige pour la première fois, le Berliner à Salzbourg.

Claudio Abbado

Dirigeant dès 1966, l’illustre phalange, Abbado est désigné par les instrumentistes à la surprise de l’intéressé. Dès son premier concert, il programme Mahler. (18507 bytes)Sous sa direction, le Berliner renouvelle ses équipes. C’est toute une génération nouvelle, de nationalités diverses qui remplace les « anciens », ceux qui ont joués sous la direction de « Furt » et de Karajan. Après l’autocrate, investi par une autorité suprême, Abbado, humaniste, accepte de discuter pendant les répétitions. Le son évolue, gagne en transparence et en clarté. Il dirige autant Bruckner que Mahler, s’intéresse aux auteurs contemporains Nono, Ligeti, Rihm, et même au phénomène baroqueux, laissant pour la première fois, Harnoncourt, diriger sa « Rolls », en 1991. Cultivé mais pas pédant, accessible mais pertinent, Abbado inaugure les cycles et les thèmes transversaux, faisant dialoguer Schubert, Berg, Büchner, Bach et Hindemith, établissant de nouvelles perspectives entre les arts, entre la musique et la littérature. Abbado dirige des versions semi scéniques d’opéras tel Il Viaggio a Reims, Boris Godounov (une oeuvre emblématique de sa direction). Sa décision de ne pas renouveler son mandat en 1989 créée la surprise. Ainsi achèvera-t-il son mandat en 2002, affaibli par une longue maladie.

Rattle, le vent nouveau

Elu en juin 1999, Rattle a commencé à diriger l’orchestre dès 1987. Opiniâtre, le jeune chef d’origine britannique, obtient de changer le statut de l’orchestre qui devient une fondation, afin de maintenir son indépendance et d’améliorer le statut des musiciens. Le maestro donne son premier concert comme chefdirigent, le 7 septembre 2002. Le programme qui mêle Thomas Adès et Gustav Mahler, indique que l’institution a bel et bien franchi le seuil du nouveau millénaire. Jeunesse, audace, excellence: l’équation s’avère payante. Jamais l’orchestre n’a paru plus estimé au sein de l’aréopage des meilleurs orchestres internationaux. Et peut-être, symbolise-t-il pour le plus grand nombre, l’idée d’un grand orchestre… indiscutable, à la stature impressionnante.
Aux côtés des opéras en version de concert (Pelléas ou Fidelio), le Berliner version Rattle renouvelle l’expérience de Karajan, celle de l’orchestre de fosse, à Salzbourg ou à Aix-en-Provence, pour une nouvelle version du Ring (inaugurée à Aix en juillet 2006). L’activité du chef engage de nouveaux projets. Sa vision n’est pas sans susciter de sérieuses critiques qui regrettent la diluation de tant de fronts ouverts, et en définitive la perte d’une sonorité légendaire… C’est compter sans la vision affûtée du nouveau maestro.
D’autant que Rattle, pédagogue et vulgarisateur actif, entend faire de la musique non plus un luxe mais une nécessité en partage pour tout un chacun. Musique engagée sur la scène sociale, musique ouverte sur le monde. En somme, une perspective qui engage un nouveau cycle plein de promesses!

Crédits photographiques
Arthur Nikisch
Hans von Bülow
Sergiu Celebidache
Herbert von Karajan
Claudio Abbado
Simon Rattle

Derniers articles

OPÉRA ROYAL DE VERSAILLES. RAMEAU : Les Fêtes de Ramire, jeu 22 mai 2025. Apolline Raï-Westphal, David Tricou, … La Chapelle Harmonique, Valentin Tournet

Récemment le festival d’Aix (2024) a réalisé une reconstruction plus ou moins réussie du fameux Samson opéra envisagé à...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img