dimanche 27 avril 2025

L’Opéra privé de MoscouPascale Melani (Institut d’Etudes Slaves)

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Livres, critique compte rendu
L’Opéra privé de Moscou
(1885-1904)

En marge des Théâtres Impériaux à Moscou, et concurrent direct de leurs propositions lyriques et musicales, l’Opéra privé de Moscou sous la houlette éclairée visionnaire de son fondateur Savva Ivanovitch Mamontov (1841-1918) éblouit la scène russe assurant tel un phare expérimental et audacieux, le renouvellement des arts de la scène de 1885 à 1904. Si l’on prend en compte sa courte interruption d’activité, de 1888 à 1896, le Théâtre imaginé par son mécène et metteur en scène, impose sa signature et son oeuvre esthétique pendant près de 12 années pleines.
Le mérite revient à la personnalité de son créateur, marchant industriel et esthète, artiste avisé, Mamontov. L’intérêt du texte réalise un éclaircissement louable sur son profil familial et personnel, sur son legs en tant que mécène éclairé des arts russes, en particulier de l’opéra, à une époque où la modernité, celle de Moussorgski par exemple, et aussi l’art de Rimski, sont loin d’être compris des milieux officiels.
Mamontov s’ouvre en véritable homme de théâtre aux innovations fécondes liées au courant du symbolisme et du réalisme: exigent et mélomane affûté, il rétablit à l’opéra la cohérence théâtrale et la qualité vocale, sachant repérer les talents et les associer au mieux de leurs possibilités; il rééquilibre dans la réalisation scénique, la cohésion dramatique et le jeu des chanteurs; au carrefour des arts, entre décor et peinture, mise en scène et chant, direction musicale et repérage des sujets lyriques modernes, Mamontov préfigure en bien des points, les multiples facettes démiurgiques d’un Diaghilev. Sa connaissance, son instinct, sa clairvoyance artistique n’est pas sans rappeler à la même époque, ce que réalise aussi sur la scène lyrique Gustav Mahler, comme directeur de l’Opéra de Vienne (1897-1907).


Mamontov, directeur visonnaire

L’auteur restitue l’OPM (Opéra Privé de Moscou) dans le contexte culturel moscovite des années 1880; rétablit l’itinéraire d’un marchant mélomane qui est passionné par la scène, le théâtre, l’opéra: organise des spectacles chez lui et sera aussi un entrepreneur culturel de première valeur.
Gounod, Dargomyijski, Nicolai, Verdi, Rossini, Meyerbeer… sont les premiers auteurs programmés, bénéficiant d’un nouveau principe de décors peints, plus réalistes : ainsi, sa propre conception de La vie pour le Tsar de Glinka, oeuvre fétiche et « protocolaire » à laquelle il apporte un sérieux dépoussiérage. L’échec de Lohengrin de Wagner (saison 1887-1888), mais aussi le désintérêt pour les opéras russes de Rimski et Dargomyijski affecte l’équilibre financier de l’établissement, car les spectateurs n’applaudissent que les opéras italiens.

Opiniâtre, Mamontov renouvelle l’aventure entre 1896 et 1899 dans un nouveau cycle de représentations qui marque le sommet de son approche du spectacle vivant et contemporain. D’autant qu’y participent alors, entre autres, des légendes lyriques alors au début de leur carrière, Fiodor Chaliapine principalement (mémorables Méphistophélès du Faust de Gounod puis grandiose Galitski dans Prince Igor de Borodine), et la soprano Nadejda Zabela (créactrice du rôle de Sadko)… Au discernement exemplaire du directeur et metteur en scène, revient le choix d’oeuvres qui ne valent que par leur modernité, servies et réalisées selon des critères purement dramatiques: Sadko, Snégourotchka, La Pucelle d’Orléans (Tchaïkovski)… En dépit du jugement partisan et peu objectif de Rachmaninov qui en faisait un « italomane à trente-six carats », Mamontov s’il aime Wagner ou Puccini (Le Villi, La Boème…) sans omettre Paillasse de Leoncavallo (toutes oeuvres résolument inédites en Russie), défend tout autant les œuvres de sa patrie. La Khoventchina (1897) serait l’un des volets de sa clairvoyance engagée et même militante pour l’opéra russe. Rimski alors dénigré par les Théâtres Impériaux doit sa reconnaissance des milieux officiels grâce à l’Opéra Privé de Moscou qui n’a jamais cessé de croire dans son talent lyrique en programmant ses œuvres.

Tout ce qui peut faciliter la compréhension du texte, de l’action, l’efficacité du plateau, la vraisemblance et la cohérence, en un mot l’unité du spectacle est grandement défendu par le mécène interventionniste. Car Mamontov, en pionnier du concept si moderne, polémique, brûlant de mise en scène, n’hésitait pas à diriger ses chanteurs dont Chaliapine, indiquant des détails et des nuances propices à la vérité du jeu lyrique… Tout cela est bien évoqué dans un texte accessible, documenté, vivant.


Pascale Melani: L’Opéra privé de Moscou et l’avènement du spectacle d’opéra moderne en Russie.
Editions de l’Institut d’études slaves. ISBN: 978 2 7204 0487 0. 20 euros. 292 pages. Parution: juin 2012. En couverture: l’Holopherne de Chaliapine dans Judith d’Alexandre Serov, 1899.

Illustration: Vassav Mamontov, portrait peint par Ilia Répine (1879)

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