Livres. Michel Onfray : La raison des sortilèges, Entretiens (Editions Autrement)… Michel Onfray qui n’aime pourtant pas la forme de l’entretien (trop facile, paresseux, superficiel… il s’en explique en préambule) accepte cependant l’exercice dans ce livre témoin où le philosophe engagé se livre à torts ou à raisons, agacé, critique voire dénonciateur, passablement véhément (ses détracteurs diront intransigeant, polémiste, partisan) sur la question de la musique classique et aussi de la culture dans la société. En quelques traits acides, Michel Onfray souligne combien il reste inacceptable que certains politiques chargés des affaires culturelles dans leur périmètre favorisent avec les deniers publiques, c’est à dire avec l’argent des contribuables, leurs favoris au mépris de tout intérêt collectif. Il est vrai que le philosophe a le mérite d’avoir fondé à Caen, la fameuse Université populaire qui propose à tous, un enseignement gratuit et plutôt culturel, expliquant les disciplines artistiques et la philosophie, entre autres. On ne peut que saluer une telle générosité humaniste qui place la culture et l’expérience artistique telle un partage fraternel. La culture tout azimuth pour le devenir de nos sociétés ? Bravo !
(Editions Exactement)
Michel Onfray
La Raison des sortilèges,
entretiens sur la musique
Le livre regroupe une série d’entretiens à la première personne. C’est une tribune aux sujets et ouvertures multiples comme une conférence retranscrite avec des redites et des répétitions parfois non évitées (dans la rédaction des questions en particulier qui reprennent le même sujet d’une séquence à l’autre). Charmé par l’ensorceleur Ravel en ses » Sortilèges » actifs (référence à L’Enfant et les sortilèges, d’où le titre du livre : » La Raison des sortilèges « ), l’écrivain évoque ses relations à la musique. Depuis l’enfance et jusqu’à présent.
la musique selon Onfray
En témoin, en acteur, en philosophe, Michel Onfray explicite la musique avec un talent oratoire certain, aimant par exemple l’oxymore et l’esprit de collision pour faire jaillir en toute liberté, engouements voraces, préférences exclusives, réflexions, univers familiers que son goût personnel aime retrouver, cultiver, partager. Chez le philosophe, la vie des hommes éclaire l’œuvre des artistes et la pensée des philosophes: les pages sur Wagner et sur Nietzsche surtout, ou Jankelevitch et Scriabine sont éloquentes à ce propos: c’est comme si (en particulier pour Nietzsche), Michel Onfray les avait côtoyés de près et sur une certaine durée… Si vous voulez tout comprendre de la philosophie de l’auteur d’Ainsi parla Zarouthoustra ou de l’Histoire de la tragédie grecque, reportez vous aux excellentes pages concernées: tout vous paraîtra limpide après lecture. Jamais Nietzsche n’avait été aussi finement analysé, aimé, compris (sa relations aux pères de substitution, donc à Wagner par exemple ; mais aussi vis à vis de Cosima et de son premier mari Hans van Bulow…). Même paroles mordantes voire critiques et souvent synthétiques quant à la juste (et finalement si pauvre) contribution de Freud (mystificateur parangon de la pensée magique au XXè), Sartre (rien qu’un normalien très conforme)… Les idées fusent, leur formulation s’électrise ; la lecture réinventte de nouveaux critères, références, modes et jalons de la pensée : avec Onfray, la vision et le regard critique s’aiguisent. Et la musique y gagne son statut de reine des sortilèges.
Les chapitres et leurs intitulés sont volontairement » ouverts » : Construction d’une sensibilité, Plus ou moins de silence dans le son, Que dit la musique ?, Ecrire sur la musique, Pour un hédonisme musical, La musique n’est pas un art de la vérité… En philosophe didactique, Michel Onfray s’interroge sur la musique et le pouvoir qu’elle suscite sur ceux qui l’écoutent. Qu’est ce que le son ? le phénomène vibratoire, l’impact du chant et de la voix (hommages à Callas)… qu’est ce qu’elle provoque (lire ici la page délirante et percutante, évoquant le récital de Cecilia Bartoli à Bordeaux et son impact sur le public alors rassemblé dont Philippe Sollers, en pleine extase mélomane…!)
Philosophe mélomane
Le lecteur à travers les commentaires de l’histoire des philosophes parlant de musique (re)découvre tous les penseurs intéressés par la question musicale : Bergson, Hegel, Kant, Shopenhauer, mais aussi Adorno ou l’infâme critique Hanslick (plutôt brahmsien c’est à dire antiwagnérien) cité au sujet du projet politique et lyrique de Wagner… Chacun étant salué, admiré ou égratigné voire vertement épinglé pour des conceptions aujourd’hui archaïques… L’un se détache, pertinent et fin, et pourtant méconnu, auteur d’essais sur Mozart, Offenbach, Ravel : Clément Rousset.
Langage sans mots, » bruit volontaire « , quelle définition donné au tissu sonore qui se déroule dans sa propre temporalité, qu’il s’agisse d’une symphonie, d’un opéra, d’une messe ? Les thématiques du beau, de l’idéal, du plaisir sont évidemment abordées et éprouvées à l’aune d’un examen libre et critique, toujours vivant et très argumenté.
En parcourant les pages de cet entretien à tiroirs, le mélomane prend plaisir à connaître les compositeurs qui forment une manière de panthéon du philosophe: Bach, Mozart, Beethoven, mais aussi Rameau ou Berlioz… sans omettre Satie ( » la quintessence de la Normandie « ) et ses affinités et admirations de l’heure vont pour Philippe Hersant et Pierre Thilloy. Culture transversale et esprit synthétique voire polémiste, d’une rare et fraternelle mobilité. Lecture incontournable.
La raison des sortilèges, entretiens avec Michel Onfray. Editions Autrement, collection » Universités populaires & Cie « . ISBN-13: 978-2746734258. Parution : 10 avril 2013. Prix indicatif: 16 euros.