Livre-cd, compte rendu critique. Félicien David (3 cd Palazzetto Bru Zane). Le livre / 3 cd édité par le PBZ (Palazzetto Bru Zane) à Venise indique à l’endroit de Félicien David (1810-1876), une oeuvre qui ne manque pas d’attraits, un clair tempérament dramatique, et aussi un mélodiste comme un chambriste de grande classe (cf en particulier le contenu du cd3). On restera plus réservé sur le choix de la partition lyrique (Christophe Colomb de 1847, cd1) qui devait servir d’indicateur marquant pour la réévaluation du style de David, premier romantique orientaliste (avec Saint-Saëns), et comme ce dernier, grand globe-troteur.
Dans le très instructif texte témoignage rédigé justement par Saint-Saëns, visiblement peu après la mort de David (in memoriam Félicien David), l’auditeur lecteur comprend dans quelle catégorie l’auteur de Samson plaçait celui du Désert : « un « naïf » comme Haydn, mais qui n’avait qu’une intuition juste quand le maître viennois avait du génie. Voilà qui est magnifiquement résumé.
CD1. Ainsi on demeure peu convaincu par l’emphase déclamatoire des quatre parties qui forment l’ode-symphonie avec récitant, « Christophe Colomb ou la Découverte du Nouveau Monde » (partition de 1847 qui forme comme la revanche de David au concert à Paris), dont le thème exotique est bien en rapport avec l’existence oxygénée, pleine d’embrums marins et d’horizons illimités du voyageur forcené que fut le Saint-Simonien, Félicien David.
Boursouflée, pompeuse, la voix usée et vibrée à l’excès du baryton basse Josef Wagner (aux aigus détimbrés et tendus) ne sert pas le profil du héros, quitte à le caricaturer et le schématiser dangereusement ; intintelligble, la soprano Chantal Santon semble chanter sans conviction et le ténor Julien Behr; lui aussi en manque de nuances, déméritent. Le timbre outré lui aussi, ampoulé, grandiloquent, un rien rauque et maniéré du narrateur finit par agacer.
Sinueuse dans ses évocations atmosphériques, la partie III intitulée « La Révolte » présentée comme la plus inspirée, affirme en effet une belle inspiration, dessinant de somptueuses évocations dramatiques. Le silence de la mer hostile qui finit par éreinter la patience de l’équipage. S’il n’était encore et toujours, la voix pseudo hallucinée du narrateur : son impossible intervention montre combien la forme même d’un récit déclamé demeure inutile, d’autant que la musique, elle, ne manque pas d’éloquence et se suffirait à elle seule. L’orchestre exprime la langueur et l’exténuation des Matelots, usés par le périple, fatigués d’attendre sans l’atteindre la rive libératrice qui est leur destination… Les 4 sections de cette partie somme toute assez courte (moins de 15 mn au total), sont un peu maigres pour défendre une oeuvre par ailleurs … faible. Plus intéressant par contre, l’évocation de la vie des indigènes, quand Colomb découvre l’Amérique, la terre nouvelle, aux clartés de l’aurore… dans la partie IV : « danse de sauvages », puis élégie de la « Mère indienne » (air « Sur l’arbre ») évoque cet orientalisme propre au plus oriental des compositeurs français romantiques des années 1840 : les timbres délicats et caractérisés de l’orchestre sur instruments anciens rendent justice à cette recherche d’expressivité franche et « neuve » que recherche le compositeur.
Las dans le cd 2, même constat d’une frénésie pas toujours très élégante de l’ouverture La Perle du Brésil (direction ampoulée, descriptive du chef d’orchestre ? : Hervé Niquet). Le Jugement dernier, partition qui suit, devait être le point culminant de son grand oeuvre lyrique et néoberliozien, Herculanum (1859) : la surenchère des cuivres (trompettes, trombones), exprimant la déchéance gémissante des damnés, quand les élus s’élèvent et gagnent le ciel paradisiaque, la langueur livide voire lugubre des cordes brossent une fresque digne du Michel Ange vaticanesque, celui très inspiré et spectaculaire du Jugement dernier ; sens de la caractérisation, abandon et renoncement, extase et ardeur des masses chorales (en cela le Flemish Radio Choir se montre particulièrement articulé : sinistre, expressif, mordant, glaçant)… David se montre à la hauteur de son sujet et ce Jugement dernier est l’une des meilleures révélations de ce triple opus.
La surprise vient plutôt de la Symphonie n°3, en mi bémol majeur, d’un caractère lui aussi pompeux mais bien articulé, qui évoque Méhul ou Onslow, les plus beethovéniens de nos romantiques français (voir ici notre reportage Symphonies de Méhul et Gossec par le chef transatlantique Bruno Procopio, défricheur de la première heure), et à l’époque de Reber, devance les opus de Gounod, Bizet, surtout, le schumanien / mendelssohnien, Théodor Gouvy. Eclectique, David se souvient surtout de Beethoven et de Mendelssohn (jeu formel du premier mouvement noté Moderato), laissant par cette diversité confondante parfois confuse du développement, les spectateurs de l’époque, plutôt dubitatifs. L’Andante qui suit, plus rêveur voire évanescent et d’un caractère onirique, se berce du timbre orientalisant du hautbois : appel aux confins des terres dont le compositeur a seul l’expérience et le souvenir encore vivace. Le Scherzo saisit par sa cabrure nerveuse et racée, d’une coupe frénétique et ardente, celle d’un Schumann survolté, moins raffiné cependant. Le Finale, piaille d’un enthousiasme vert, rustique, ivre (solo de clarinette). La versatilité dont fait preuve le compositeur, très vivace dans son éclectisme parisien, – au point de citer ici, une scène de ballet digne de l’Opéra, offre une palette que la direction terre à terre, utilitaire de Hervé Niquet, inscrit dans un expressionnisme souvent sirupeux qui manque hélas de finesse. Pétaradant, grosse caisse, tout est emporté dans en une frénésie linéaire. C’est bien mal comprendre l’intelligence à facettes, de Félicien David, ses multiples références et sa grande culture. Oublions vite les Six motets, – emblèmes du kitsch (laideur de la prise de son en sus).
Par contre, subtilité des interprètes oblige, les 7 mélodies ici révélées (en ouverture du CD3) savent susciter et cultiver l’attention : le ténor tendre, superbement timbré de Cyrille Dubois (pilier de l’école française de chant, intelligible, et si peu maniéré grâce à un vibrato idéalement contrôlé) sait ciseler en vrai diseur, les images poétiques des mélodies d’un David souvent éperdu, sincère, faussement enjoué (y compris dans l’esprit de revanche patriotique contre l’Allemagne : « nous l’avons eu votre Rhin allemand… ») : toujours mélancolique (appel du Ramier, songe d’Eoline, prière orientalisante de Tristesse de l’Odalisque, de l’Egyptienne…). Le Jour des morts captive autant par ses climats lugubres et énigmatiques (presque 10 mn : c’est la plus longue des mélodies, déroulée comme un hymne tendre et douloureux). Le cycle dévoile enfin la figure fascinante de Félicien David, enchanteur et poète, qui peine à se révéler dans les cd1 et 2.
Le Trio n°1 sous les doigts inspirés des 3 musiciens requis pour cette révélation affirme une santé revigorante, elle aussi très mendelssohnienne; haletante, printanière (premier Allegro). Voici la partition la plus directement sincère de David (tendresse sans effets du Molto adagio, enfin caractère à la belle fierté cravachée, à l’éloquence facétieuse aussi, nerveuse voire sanguine et d’une intonation idéalement nuancée dans le Final-allegretto) : belle fusion des 3 tempéraments chambristes pour une partition qui méritait elle, absolument d’être redécouverte.
Tout autant suggestif et d’une volupté nouvelle dans la réitération de souvenirs orientalistes, le cycle « Musique pour piano », qui comprend surtout près le Soir, les 3 « brises d’Orient » (dont le Vieux Caire et sa frénésie endiablée) et « Doux Souvenir » : l’art de la miniature onirique va parfaitement à David qui sait peindre et exprimer avec une facilité manifeste. Certes, le jeu comme le toucher de Jonas Vitaud sonnent souvent durs et pas assez nuancés quand il faudrait infiniement de tact et de caresses allusives pour laisser la soie tendre de l’écriture, révéler alors des trésors de grâce lumineuse (pourtant présente dans les partitions). Les livres disques de cette nature sont la promesse de découvertes majeures pour notre connaissance du romantisme français. Voici assurément un opus qui s’avère – même dans ses limites, des plus éclairants sur l’éclectisme orientalisant de Félicien David, vrai tempérament original et parfois puissant, aux côtés d’une intuition naïve et attachante que n’a pas manqué de relevé (épinglé, regretté) Saint-Saëns.
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Livre-cd, compte rendu critique. Félicien David (3 cd Palazzetto Bru Zane). Félicien DAVID (1810 – 1876) : Christophe Colomb, musique de chambre, symphonique et sacrée. Les Siècles, FX Roth. Brussels Phil., Hervé Niquet — enregistrements de 2014 et 2016).