Macbeth décalé
C’est avec curiosité que nous découvrions cette production venue du festival de Glyndebourne. Dans une volonté de démystification, le metteur en scène Richard Jones a voulu, semble-t-il, retirer toute réelle noirceur à la pièce, la faisant basculer dans un humour souvent malvenu et tournant au grotesque. Avouons que nous avons peu été convaincus par cette vision trop décalée, en constante opposition avec la musique et la tension qu’elle imprime au drame qui se noue. Les kilts, les haches, le décor franchement laid du château des Macbeth, les meurtres au comique grand-guignolesque, le Sabbat tout droit sorti d’un film d’horreur à petit budget avec ses sorcières de pacotille, ses squelettes, ses momies et ses loups-garous, et ce chiffre diabolique 666 à la présence incessante ; tout cela était-il bien nécessaire ? Il faut attendre le quatrième acte pour que, la dérision faisant place à une grande sobriété dans les effets, l’émotion s’exprime enfin pleinement. Rarement le désarroi de Macduff, mis ici face aux corps de sa femme et de ses enfants qu’on amène à lui, aura été aussi poignant. La scène très attendue du somnambulisme de Lady Macbeth se révèle elle aussi réussie, malgré son étrangeté au premier abord : arrivant vêtue d’un simple pyjama, la reine, devenue folle, retire les gants blancs qu’elle porte en permanence, les jette dans la machine à laver présente dans la pièce et lance un cycle de lavage. Elle vide alors à terre un sac rempli… d’autres gants blancs, dont elle retire une paire, l’enfile et la met à laver. Et cette succession de gestes se voit répétée sans fin jusqu’à la conclusion de la scène. Inhabituel, mais d’une réelle efficacité.
On peut saluer l’Opéra de Lille pour avoir réuni une excellente distribution.
Aux côtés de bons seconds rôles et d’un chœur très impliqué, Dimitry Ivashchenko incarne un Banco crédible et sonore, offrant une belle interprétation de son air.
Macduff se voit magnifiquement servi par un David Lomeli rayonnant, à la quinte aiguë aussi puissante que lumineuse et au legato de velours, culminant dans son air « La paterna mano », superbement chanté et empli de multiples couleurs.
Lady Macbeth pleine de feu, Susan Maclean offre, dans ce rôle vocalement difficile sinon impossible par son étendue, un superbe compromis entre mezzo et soprano. Pourtant habituée des rôles d’Azucena et Ulrica, véritablement écrits pour mezzo, elle présente une clarté de timbre et un centre de gravité vocal qui laissent entendre davantage un soprano dramatique. Les extrêmes aigus sonnent bien parfois à la limite absolue de sa voix, mais elle les assume avec franchise, puissance et aplomb, et ne recule pas devant les vocalises ardues de son premier air ni face aux trilles du brindisi, qu’elle affronte crânement, avec panache et brio. La scène du somnambulisme dévoile une remarquable ligne de chant, legato à l’archet, une grande intensité dramatique. On regrette que la mise en scène ne la mette pas physiquement davantage en valeur, car la tragédienne joue avec force et conviction, sans jamais tomber dans l’excès.
Son époux, le soumis Macbeth, trouve en Dimitris Tiliakos un interprète de choix. Littéralement écrasé par sa femme, son roi rongé par le remord en devient très touchant. Si on peut déplorer des sons forte parfois poussés et forcés – alors que sa voix puissante n’en demande pas tant –, on ne peut que s’incliner devant une science de la mezza-voce devenue rare chez les barytons aujourd’hui, ce qui nous vaut un air du quatrième acte magnifiquement ciselé, d’une grande pudeur et d’une intériorité poignante.
Dans la fosse, Roberto Rizzi Brignoli insuffle à l’Orchestre National de Lille toute la force et la puissance du drame que refuse la mise en scène. Sculptant un son très riche et charpenté, il tire des musiciens, visiblement heureux de jouer sous sa direction, le meilleur de leur art, dans un tourbillon sonore, galvanisant jusqu’aux chanteurs.
Malgré une scénographie plus que contestable, une très belle soirée, sauvée par une distribution faisant honneur au chant verdien.
Lille. Opéra, 7 mai 2011. Giuseppe Verdi : Macbeth. Livret de Francesco Maria Piave, d’après William Shakespeare. Avec Macbeth : Dimitris Tiliakos ; Lady Macbeth : Susan Maclean ; Banco : Dimitry Ivashchenko ; Macduff : David Lomeli ; Malcolm : Bruno Ribiero ; Suivantes de Lady Macbeth : Miriam Murphy, Julie Pasturaud ; Médecin, Serviteur, Héraut : Patrick Schramm. Choeur de l’Opéra de Lille. Orchestre National de Lille. Roberto Rizzi Brignoli, direction musicale ; Mise en scène : Richard Jones. Reprise de la mise en scène : Geof Dolton ; Scénographie et costumes : Ultz ; Lumières : Wolfgang Göbbel ; Reprise à Lille : Paul Hastie ; Chorégraphie : Linda Dobell ; Reprise à Lille : Anjali Mehra ; Direction des chœurs : Yves Parmentier ; Chef de chant : Nathalie Steinberg