dimanche 6 juillet 2025

Liège. Opéra Royal de Wallonie, Palais Opéra, le 27 décembre 2011. Charles Lecocq: la Fille de Madame Angot, 1872. Clémence Tilquin (Clairette)… Emmanuel Joel-Hornak, direction.

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Elle est jolie et pure, fraîche et candide (Pomponnet, son promis, nous l’assène assez jusqu’à la guimauve), la Clairette… sauf que la jeune fille à marier, orpheline éduquée par les bons commerçants du petit peuple parisien, est une vraie … fille des Halles, déterminée et astucieuse, et Lecocq nous dévoile la vraie nature de son héroïne au III (justifiant le titre de l’ouvrage). En plaçant sous les feux de la rampe, plusieurs figures plébéiennes, Lecocq revivife le genre comique d’une magistrale et éclatante manière.


Joyau comique à Liège

En 1872, Lecocq se montre aussi subtil qu’un Bizet, aussi piquant et mordant qu’un Offenbach, aussi fin et cocasse qu’un … Grétry. Dans la ville natale du compositeur classique, favori de Marie-Antoinette, on ne s’étonne pas aujourd’hui du succès retentissant du spectacle présenté par l’Opéra Royal de Liège pour les fêtes de fin d’année. Applaudissons aussi la Maison liégeoise d’avoir le courage du défrichement en produisant cette partition oubliée des Belges et surtout (comme toujours) des Français: créé d’abord à Bruxelles en 1872, monté presque immédiatement à Paris, La Fille de Madame Angot s’impose sur les planches parisiennes… jusqu’en 1878, réalisant même un triomphe de billetterie en 1873, dépassant en recettes l’Opéra de Paris!

Il faut absolument aller voir et applaudir La fille de madame Angot pour sa mise réjouissante, sa poésie affleurante, sa finesse qui égale les meilleurs opérettes de Johann Strauss II (la valse du II), tout ici respire l’air de la fête, l’esprit d’un théâtre léger et spirituel (La Chauve Souris de Strauss est créée deux années après en 1874); si juste dans son portrait psychologique et surtout social. Au passage le librettiste égratigne les politiques soulignant que malgré le changement des régimes, l’ordre et le système perdure d’un règne l’autre: même élite concentrant le pouvoir, même nantis honteusement favorisés, même injustice criante: « C’était bien la peine de changer de régime » clame la citoyenne Clairette en pleine rue à la fin du I, sur les paroles du chansonnier Ange Pitou (excellent Mathieu Abelli).

A l’époque du Directoire, chez la favorite en titre de Barras, L’actrice de la Comédie Française, La Lange (relation inventée par le librettiste), le banquier Larivaudière et bientôt le chansonnier monarchiste Ange Pitou, les clans opposés se retrouvent malgré eux dans le tourbillon d’une fête improvisée (la noce faite valse du II déjà citée et qui est bien l’épisode le plus réussi de toute la partition): voici l’un des tableaux les plus délirants et les plus réussits de l’ouvrage. On ne s’étonne pas de voir les hussards de la République, le clan des snobs de l’époque, ces « Merveilleuses » et « Incroyables » dont le raffinement et l’affectation des manières et des tissus rappellent l’Ancien Régime, grâce à la justesse des costumes et le soin apporté à leur mise en scène.
Quand Lecocq ressuscite l’esprit du Directoire (soit l’extrême fin du XVIIIè post monarchique: 1795-1799), le compositeur renoue avec la subtilité d’un Grétry; l’éclat et l’étoffe de l’orchestration, l’invention des mélodies assurent à la partition sa séduction jamais démentie; c’est aussi sur le plan du livret et des personnages convoqués une galerie de portraits tout aussi fine et remarquablement juste. Aux côtés de Clairette, l’orpheline des Halles qui se montre bien in fine, la fille de sa mère (archétype de la poissarde parvenue, figure si populaire), deux personnages enrichissent le tableau social, chacun ayant des destins historiquement proches, ajoutant cette résonance réaliste à la fresque collective: Ange Pitou, poète écrivain chansonnier et la comédienne actrice à la Comédie Française puis au Théâtre Feydeau, Melle Lange; tous deux ont commencé révolutionnaire puis refroidis par la Terreur, se rapprochent des réactionnaires monarchistes. Dans le salon de la « reine » du Directoire », Lange, se retrouvent en secret les intrigants monarchistes, « Incroyables » et « Merveilleuses »… Tous deux ont réellement été emprisonnés (puis libérés: l’un grâce à son intelligence et son sens de la formule; l’autre grâce à ses appuis politique). Ils forment avec Clairette ce trio vocal et soliste, psychologiquement très fouillé qui fonde la réussite de l’ouvrage.


Précision et subtilité



Il faut infiniment de délicatesse et de subtilité pour réussir l’éclat tendre et cynique de l’opéra comique d’un Lecocq plutôt inspiré: reconnaissons en ce point, la cohérence très séduisante de la distribution réunie à Liège au Palais Opéra: se distinguent à ce titre les trois rôles piliers (qui forment donc le trio amoureux): on l’a connu baroque (chez Gagliano ou Monteverdi), le ténor parisien Mathieu Abelli séduit dans le rôle d’Ange Pitou; voix timbrée, flexible, articulée, d’une belle projection, à l’intonation juste et au style naturel. Le ténor n’a pas besoin de surjouer pour séduire. Sa première conquête, Clairette, captive pendant tout le spectacle par un vrai tempérament lyrique: chant assuré, clair et naturellement puissant: il en faut peu pour la jeune cantatrice Clémence Tilquin, de passer d’un visage de beauté soumise aux I et II,… à la nature éruptive de la fille des Halles, vengeresse tout en douceur et astuces féminines au III: la Fille de Madame Angot se dévoile avec éclat grâce au talent d’une artiste accomplie.
Lecocq a soigné dans son ouvrage les portraits de femmes. Ces sirènes conquérantes capables de cocasseries manipulatrices font les délices des spectateurs et aussi le plaisir des auteurs: habituée des rôles écrits par Offenbach (Périchole, Gerolstein… et Belle Hélène pour l’Opéra Royal de Wallonie), Alexise Yerna, sur les traces d’Hortense Schneider, se distingue tout autant auprès de ses jeunes partenaires dans le rôle central de la Lance, grande coquette dominatrice, maîtresse des puissants de l’heure; très à l’aise dans les tirades parlées, la diva rappelle combien l’opéra comique est aussi du pur théâtre et même par la finesse préservée du style, un vaudeville souvent hilarant. Merveilleuse cougar, l’actrice trouve un nouveau personnage à la mesure de son tempérament. Et le tableau du Quintette qui les unit tous les trois entre autres personnages de l’action, au II, est un autre temps fort de l’action comme les deux duos du même acte qui les mettent en scène: duo des deux femmes qui se retrouvent (Lance/Clairette), puis duo amoureux quand Pitou et Lance s’aimantent en un coup de foudre réciproque… Leur finesse font des rôles de vraies individualités piquantes, attachantes, convaincantes.

Dans la fosse, le chef Emmanuel Joel-Hornak équilibre les pupitres, reste constamment soucieux du volume sonore (rapport voix et orchestre), vigilant tout autant sur la juste proportion d’une partition qui doit toujours avancer par son brio (relief mesuré des bois et de vents: flûte et cor; stabilité trépidante des cordes…), sa tendresse, sa finesse. Tout l’acte II est remarquablement abordé: les duos que nous avons cités, le quintette, le choeur des conspirateurs, la valse finale singeant une noce chez Lange… ; en évitant l’effet et le surjeu, comme souvent dans les productions habituelles de ce genre lyrique, le maestro montre sa maîtrise dans un répertoire qui exige précision, subtilité (et même pour cet acte si réussi, nostalgie). Chapeau bas enfin à la préparation du choeur, composé, théâtre oblige, de solistes prêts à en découdre dans une arène collective pittoresque. Le public liégeois a bien raison de battre le rappel, séduit par une production cohérente, idéalement choisie pour les fêtes de fin d’année.

Prochaines représentations de La Fille de Madame Angot à Liège (Palais Opéra, Opéra Royal de Wallonie): les 29, 30 décembre 2011 à 20h. Le 31 décembre 2011 soirée spéciale Saint-Sylvestre avec dîner du Réveillon à partir de 17h45. Représentation enchaînée ensuite. 75 euros / personne. Réservation au traiteur: +32 (0)498 33 65 07 ou [email protected]. Réservation à l’Opéra Royal de Liège. Dernière représentation au Palais des Beaux Arts de Charleroi, le 7 janvier 2012.


Illustrations: La fille de madame Angot au Palais Opéra de Liège. Le Quintette du II; Clairette et Ange Pitou; Clairette et Lange…
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