samedi 24 mai 2025

Liebermann: L’Ecole des femmes, 1955France Musique, samedi 29 janvier 2011 à 19h

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Rolf Liebermann

L’Ecole des femmes
, 1955

Il fut un temps où les opéras de Rolf Liebermann (1910-1999) avant sa prise de fonctions administratives comme directeur de l’Opéra de Hambourg en 1959, étaient joués partout dans les théâtres du monde… Il était donc grand temps que la France où il apporta sa maîtrise en tant que directeur, visionnaire et légendaire, de l’Opéra de Paris, (pendant 7 années, de 1974 à 1980), découvre enfin ses talents lyriques… Heureusement pour le centenaire de sa naissance, l’Opéra de Bordeaux rattrape une partie de cet oubli incompréhensible en proposant en novembre dernier (2010), la création française de L’Ecole des femmes, créé à Louisville en décembre 1955 (en anglais) puis en allemand en août 1957 au festival de Salzbourg. L’oeuvre est aussi courte que finement troussée: moins de 1h30. Elle s’inscrit dans le propos critique et provocateur mais aussi inventif d’Ariane à Naxos de Strauss: c’est un regard sans complaisance sur le genre théâtral et bien sûr, sur le genre humain, ses relations complexes, ses hypocrisies acceptées, si quiproquos, véhicule d’une fine analyse psychologique du coeur humain.

Molière féministe et visionnaire

La réussite de la production bordelaise repose en partie sur le choix du metteur en scène, Eric Genovèse, qui comédien et sociétaire de la Comédie Française, connaît parfaitement le texte originel dont découle l’opéra de Liebermann: L’Ecole des femmes du divin Molière. Thierry Fouquet, directeur de l’Opéra de Bordeaux, qui a travaillé sous l’ère Liebermann à Paris, souhaitait depuis longtemps rendre hommage à l’œuvre du Liebermann compositeur. Il fut question un temps de monter à Bordeaux son ultime ouvrage, Médée, enfin le projet se réalisa sur l’opéra inspiré du théâtre de Molière.
Commande de la Louisville Orchestra Society, L’Ecole des femmes de Liebermann prend appui sur le sujet toujours actuel de la pièce moliéresque. Arnolphe, tuteur abusif de la jeune et belle Agnès, l’emprisonne en toute conscience afin de la mettre sous contrôle: la « pauvre » paysanne séquestrée, tirée de sa fange native fera bien une épouse modelable et soumise à souhait. En en faisant une sotte, ce phalocrate (barbon vaniteux qui préfigure le Bartolo rossinien du Barbier de Séville: ici Molière anticipe la mordante lucidité de Beaumarchais) espère la soumettre à son bon vouloir. Le texte parle donc du genre féminin, de sa place dans la société, de son émancipation liée à la reconnaissance de son égalité de fait par rapport au monde paranoïaque des hommes, mauvais protecteurs, manipulateurs et calculateurs sournois.
Astucieux, Liebermann ajoute le personnage de Poquelin dans son opéra: présence de l’auteur et aussi distanciation historique qui montre in fine l’étonnante modernité de la langue de Molière à son époque, d’ailleurs l’oeuvre à sa création indigna le parterre: trop directe, trop vulgaire, trop anticonformiste… Ce pourrait être aussi la revanche de Molière à l’opéra, grâce à la fantaisie justicière de Liebermann: on sait combien le dramaturge fut spolié de tout aventure lyrique de son vivant par sa brouille avec Lully qui s’assura ensuite le monopole de l’opéra (par privilège royal en 1671)…

Poquelin participe…

Poquelin dans l’opéra de Liebermann assiste à l’action musicale, mais aussi participe à l’intrigue: il incarne le serviteur Antoine et la vieille femme qui est supposée avoir aidé la rencontre entre sa pupille innocente Agnès, et ce jeune prétendant Horace devenu le rival de l’ignoble Arnolphe. Finalement, Poquelin, démiurge ex machina, est Henri, le père d’Agnès qui en épinglant la bêtise du tuteur Arnolphe bénit l’union des jeunes coeurs épris, Agnès et Horace. La naïveté n’est pas du côté que l’on croit et l’on devrait mieux mesurer l’intelligence du coeur féminin. Il s’agit donc d’un texte féministe dont Liebermann, sous le masque de Poquelin, souligne le bien fondé.

Dans la production présentée à Bordeaux, Paul Gay incarne ce personnage à l’intérieur et à l’extérieur de l’action: Alain, Henri et Poquelin tout à tour, le chanteur met en relief l’éblouissante agilité qui distingue dans l’opéra de Liebermann, la place atypique et captivante de ce personnage original créé par le compositeur. Saluons l’Opéra de Bordeaux d’avoir su réaliser cet hommage incontournable à Rolf Liebermann pour son centenaire 2010.

France Musique. Samedi 29 janvier 2011 à 19h. Opéra enregistré à Bordeaux en novembre 2011. Rolf Liebermann: L’Ecole des femmes, nouvelle production, création française. Jurjen Hempel, direction. Paul Gay, Poquelin. Andrew Greenan, Arnolphe. Daphné Touchais, Agnès. Michael Smallwood, Horace… Diffusion événement.

Illustrations: Molière, Joseph Losey et Rolf Liebermann (DR)
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