Leos Janacek
La Petite renarde Rusée
Paris, Opéra Bastille
Du 13 au octobre au 12 novembre 2008
Dennis Russel Davies, direction
André Engel, mise en scène
L’opéra de Janacek est l’une des plus grandes curiosités lyriques du XXème siècle. Heureusement mise en scène en 1956, et avec quel talent, par Walter Felsenstein, à Berlin.
La petite renarde rusée n’est pas que maligne: elle est surtout d’une insolence séditieuse. En remettant en question l’ordre établi, elle dérange. Sa figure captive les hommes, les mâles. Son intelligence manipule.
Du feuilleton à l’opéra
A l’origine du livret et du choix du sujet, la servante de Janacek fait remarquer au compositeur un feuilleuton dessiné qui paraît régulièrement dans le quotidien tchèque, Lidové noviny. Naturellement celui qui se passionne depuis toujours aux infimes bruits de la nature, se laisse séduire par ce personnage animal qui a cependant toute l’intelligence d’un homme. A plus de 70 ans, Janacek qui vient de succomber aussi à la passion amoureuse sous les trait de sa jeune muse Kamila (28 ans), fait montre d’une ardeur intacte: celle d’un jeune homme épris de sensations nouvelles. Sous les airs d’une fable enfantine, légère, la partition cache plusieurs thèmes profonds. Dans le cycle toujours recommencé des saisons, et dans le retour des phénomènes immuables, celui qui se sait mourir, plus proche de la tombe qu’à son aurore prometteuse, célèbre le souffle des éléments, la miraculeuse magie de la Nature, non sans tendresse et mélancolie. Certes, l’héroïne ne survivra pas à son combat mais dans sa descendance désormais assurée, son souvenir et sa figure combative, perdure après elle.
Animal féminin
Dans la Renarde, Janacek a peut-être personnifié de nombreux fantasmes sur la féminité de son époque: sauvagerie et sensualité, caractère ondulant et retors de ce qui se dérobe et hypnotise sans fin. La renarde est de surcroît une créature rousse, le sujet des fantasmes de tous les hommes. Ainsi pouvons nous nous ranger du côté de l’avis de Max Brod, ami de Kafka et proche de Jancek: l’animal synthétise tout ce que la sexualité masculine recherche inconsciemment, désespérément. Tous les personnages de l’action ont succombé à ses charmes: l’instituteur et le braconnier, même le curé… et le garde-chasse qui semble après la mort de la petite créature, en posant toujours ses pièges, sombrer dans la folie…
Elevée parmi les hommes, la petite renarde mesure ce sentiment de liberté qui la distingue des autres animaux de la ferme. En elle, souffle l’esprit de l’émancipation et de l’ivresse rebelle: bien que vaine, sa déclaration pour la liberté afin d’affranchir les esclaves de la basse cour, reste un trait de courage, un manifeste pour la résistance et la subversion.
Et dans la mise en scène d’André Engel, sur les planches de l’Opéra Bastille, la fière et dérisoire héroïne à la frontière entre humanité et sauvagerie, ne pouvait que mourir dans un linceul de neige. Le blanc comme couleur de sa pureté intrinsèque. Quoi de plus émouvant qu’un animal sur la scène dont les traits d’esprit et les attitudes paraissent humaines. Troublante analyse qui restitue non plus aux objets inanimés mais aux animaux de la forêt, une âme sensible et désirante.
Illustration: Leos Janacek (DR)