Haro sur Hatto
Joyce Hatto, histoire d’un mythe pianistique démonté
Une étoile déchue
En quelques jours, de février à début mars 2007, une pianiste britannique défunte, portée aux nues quelques jours avant son décès (juin 2006), aura été déchue de son prestige musical. La machine technologique que beaucoup continue en toute mauvaise foi de diaboliser, surpasse le « génie » d’un fraudeur en en démasquant l’artifice et la tromperie. Merci donc à iTunes de réparer une injustice et de restituer à César ce qui appartient à César. Le nom de Joyce Hatto est désormais lié à l’un des scandales les plus fracassants jamais démasqués dans le milieu du classique.
Dans la guerre commerciale à laquelle se livre les majors, condamnant -avec raison la piraterie et le plagiat, au nom du respect de la propriété intellectuelle et de la création artistique, le fait que la vérité ait été permise par le biais de la machine, est un enseignement à méditer. Non Internet ne permet pas les pires pratiques; non, la technique du son digital n’autorise pas toutes les manipulations éhontées. Quand en février 2007, le logiciel d’iTunes découvre la supercherie, en identifiant les bandes originelles outrageusement maquillées et attribuées à Joyce Hatto, on doit se féliciter de ce rapprochement salvateur que l’oreille humaine n’aurait pas su réaliser.
D’autant que l’arnaque aurait pu durer sans susciter le moindre soupçon, tant dans les esprits britanniques, la pianiste Joyce Hatto était une légende vivante du clavier, surtout un modèle d’endurance et d’abnégation. Or comme toujours, l’image entretenue est le fruit d’une mystification d’autant plus incroyable et douloureuse qu’elle égratigne la mémoire d’une artiste décédée le 9 juin 2006 à 77 ans; d’autant plus insupportable qu’un faiseur de disque, donc un professionnel de la musique n’a pas hésité à plagier, mépriser les droits de la propriété en usurpant des oeuvres d’autres pianistes.
Joyce Hatto, une artiste du studio
En 1976, frappé par un cancer foudroyant, la pianiste Joyce Hatto, élève de Serge Krish, un disciple du compositeur Busoni, lui-même pianiste virtuose, décidait de suspendre tournées et récitals pour ne se consacrer qu’à l’enregistrement. Une démarche qui en rappelle une autre, celle de Glenn Gould. On sait les dérapages possibles sur le plan marketing quand les artistes qui ont néanmoins besoin d’un public, décide de tout filter par le biais de procédés purement mécaniques. L’ingénierie du son, permet des trucages bien connus des détracteurs de la mise en boîte. Gageons que si Hatto avait donné un concert public, (pendant les années où la critique la consacrait à l’écoute de ses seuls disques, en particulier entre 2004 et 2006, deux années où elle était couronnée plus grande pianiste au monde, étoile du clavier), spécialistes et proclamateurs en tous genres auraient constaté le style de la dame, accablée par une longue et incurable maladie. Du moins auraient-ils remarqué que son jeu en concert n’avait rien à voir avec celui que laissaient supposer ces nombreux albums réalisés en studio. Il s’agit bien avec le recul de l’un des scandales les plus aberrants jamais démasqués.
L’électrochoc s’est produit lorsqu’un internaute mélomane désireux de transférer l’enregistrement des Etudes d’exécution transcendante de Liszt par Joyce Hatto, avait remarqué sur son iPod, l’apparition d’un autre nom, celui du pianiste hongrois, Laszlo Simon. Quelle ne fut pas sa surprise en comparant le cd Hatto avec le cd originel de Simon chez Bis records, de constater que sur les 12 études comparées, dix étaient strictement identiques!
Un mari aimant peu scrupuleux
Que penser alors du legs discographique laissé par Joyce Hatto, à partir de 1976 et jusqu’à sa mort, en 2006, soit trente années d’enregistrement, accompagné par son époux, William Barrington-Coupe : soit près de 119 cd, enregistrés prétendument à Cambridge, et édités sous le label Concert Artist fondé par son mari. Ainsi, au moment de la mort de l’artiste, en juin 2006, la presse britannique (The Guardian entre autres) n’hésitaient pas à regretter l’une des légendes du piano, parmi les plus essentielles qu’ait produit la Grande-Bretagne!
Au fur et à mesure des vérifications et comparaisons, c’est tout un mythe qui s’effondre, et l’oeuvre d’un plagiaire qui apparaît dans toute son horreur. L’époux de la pianiste fut aussi aimant que peu scrupuleux. Ainsi de la même façon, l’album « Concert Artist » Chopin-Godowski, était-il réattribué à son interprète d’origine, Carlo Grande; de même, l’album Ravel de Hatto serait une réutilisation tronquée d’un album Roger Muraro paru chez Accord… la liste des usurpations est longue, accablante pour William Barrington-Coupe.
Le milieu musical britannique est en émoi. Public et critiques restent agacés d’avoir été ainsi dupés. L’examen au cas par cas des bandes incriminées paraît inévitable. Il faudra de toute façon identifier la part authentique de Joyce Hatto dans ce programme de maquillage à répétition. Démêler les enregistrements initiaux de Hatto et leurs ajouts usurpés… De nombreuses questions demeurent sans réponse.
L’artiste, elle-même, avait-elle conscience de ce que faisait son mari? Que ce dernier désire la paix, s’il a semble-t-il détruit ses stocks, l’affaire prend un jour nouveau: le mythe qu’il a su fabriquer ne lui appartient plus. C’est désormais les « victimes », acheteurs des cds Hatto, comme critiques hier enthousiastes, aujourd’hui amers et déconcertés, qui voudront être dédommagés… Qu’il ait fait cela par amour, Barrington-Coupe, c’est rendu coupable de trois crimes impardonnables: tromper le public, mépriser la propriété intellectuelle, surtout, bafouer la mémoire de son épouse.
Sous le scandale Hatto, c’est l’éthique d’un métier qui est ciblée du doigt. Que la technologie, en particulier un logiciel de téléchargement soit à la source du dévoilement de la vérité, est une autre source d’enseignement tout autant révélatrice. Une tromperie qui aurait pu durer pour l’éternité est défaite par une intelligence artificielle. Voilà qui vient opportunément prouver que le tout technologique peut servir la musique et assainir les agissements de la profession. Tout détournement a ses limites, et ses revers produisent un couperet radical. Désormais, le seul nom d’Hatto sera inéluctablement lié au scandale et à la honte. Une malédiction que l’intéressée n’avait probablement jamais imaginée. Paix à son âme.
Illustrations
Joyce Hatto (DR)
William Burrington-Coupe © G.Pugh