Samedi 21 octobre à 18h
« La Querelle des Bouffons »
Magazine proposé et présenté par Alexandre et Benoît Dratwicki
La Tragédie lyrique est née officiellement à Paris puis à Versailles, dans la cour de marbre du palais du Roi-Soleil, en 1673. Cette création française qui est la réponse de Lully à l’opéra italien, sert divers enjeux. Autant d’aspects qui permettent d’éclairer par le détail, une forme complexe mêlant politique et musique, déclamation chantée et musique, féerie, enchantement et morale.
En s’inspirant des Anciens (les tragédiens de l’Antiquité grecque), Lully fait du neuf mais en bon courtisan, et selon l’idéal esthétique de l’époque qui est d’abord politique, le musicien favori de Louis XIV, engendre un art pluridisciplinaire qui est le manifeste de la supériorité de l’ordre et de l’art français sur tout autre.
Il était temps à la France de s’affranchir ainsi de son aînée italienne. Depuis la Renaissance, la patrie de Monteverdi, à laquelle revent le mérite d’avoir créé l’opéra princier et l’opéra public (à Venise, en 1637), excellait sur la scène lyrique. En 1673, avec l’opéra « Cadmus et Hermione », de Jean-Baptiste Lully, les artistes français déclarent l’essor des arts nationaux dans une nouvelle définition des conventions opératiques : en un prélude puis cinq actes, le drame musical tout en illustrant les fables mythologiques ou amoureuses, illustrent la gloire monarchique. La Tragédie ou grande machine, émanation du pouvoir royal, n’a pu se développer sans le soutien des monarques. Lully aidé de son librettiste attitré Quinault, élabore ainsi pour la Cour Versaillaise et la scène de l’Académie royale à Paris, un art courtisan, dans une déclamation réinventée (inspirée probablement par l’actrice racinienne, la Champmeslé). L’opéra national est aussi une création linguistique propre, qui a engendré une tradition de poètes, musiciens, chanteurs et aussi danseurs, car à la Cour de Louis XIV, monarque danseur, l’opéra comporte nécessairement plusieurs ballets, insérés dans l’action musicale.
Même si Lully agit en tyran, de nombreux compositeurs composent aussi leurs tragédies lyriques : Charpentier (Médée), Marais (Alcide, Alcyone, Sémélé…)… Après les Lullystes et leurs contemporains, Jean-Philippe Rameau renouvelle le genre en consacrant une place principale à la musique. Musique dramatique et déjà, presque musique pure, d’un éclat instrumental inouï : à partir de 1733, avec son « Hippolyte et Aricie » qui suscite un scandale retentissant, Rameau jusqu’aux « Borréades » (1764) s’impose comme le champion de l’opéra sous Lous XV. Il suscite même plusieurs querelles fameuses : celle ravivée à l’époque d’Hippolyte, entre les anciens et les modernes, les lullystes contres les ramistes ; puis, en 1752/1754, la Querelles des Bouffons qui opposent à nouveau à Rameau, les partisans de la comédie italienne, revivifiée par les buffas napolitains. Fresque héroïque ou scène domestique sentimentale ? Vingt ans plus tard, c’est le chevalier Gluck qui nettoie de ces artifices les plus criants, un genre emplombé par ses conventions. Telle est l’volution d’un genre qui n’a cessé de connaître de multiples avatars formels.
Machine à rêver, féerie esthétique, théâtre des illusions humaines : la tragédie lyrique embrasse tous les registres de la création théâtrale. Si elle fut un art de propagande en servant le culte de Louis XIV, puis le prestige monarchique en illustrant la fable des héros vertueux, le genre n’inspire plus guère les compositeurs contemporains. Est-ce à dire que la relation hier naturelle entre pouvoir et opéra, se serait tarie ?
Les dernières productions nous montrent en effet que l’opéra est devenu une scène critique sur le monde et nos sociétés… Au XVII ème comme au XVIII ème siècle, les auteurs avaient moins de liberté. Mais ici comme là, n’est-ce pas la folie humaine qui est le sujet principal ? Vertus des dieux ou des valets : passions humaines et catastrophes à l’œuvre, trahisons, amours et haines, gloire d’hier et d’aujourd’hui, sur la scène, rien n’a changé, et depuis des siècles, la dénonciation cible toujours les mêmes situations : despotisme, perversité, complots. Certes la tragédie lyrique avec sa conclusion forcément positive et morale, est une machine vertueuse. Mais au final, ne s’agit-il pas de la même démarche à travers les siècles ? Voilà pourquoi, peut-être, le genre tragique nous parle-t-il avec la même actualité… et pourquoi, en abordant ces partitions poussiéreuses, les chefs et leurs interprètes ont encore des choses à nous apprendre sur leur fascinante intensité.
Illustrations
Portrait de Jean-Baptiste Lully, gravure
Hyacinthe Rigaud, Portrait de Louis XIV (1701)