vendredi 13 juin 2025

La Querelle des Bouffons (1752)France musique, le 4 novembre à 18h

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La Querelle des Bouffons
magazine

Samedi 4 novembre à 18h

La France a toujours aimé les querelles, ces joutes esthétiques cristallisant les accès du goût. Les querelles donnent la mesure d’une question continûment débattue depuis les XVI ème et XVII ème siècles, à propos des styles italiens et français, et qui au milieu du XVIII ème siècle, au moment où dans l’histoire de la musique, le baroque cède la place au goût classique, l’antagonisme des clans semble rejaillir de façon radicale.
Entre 1752 et 1754, Paris vit une révolution fondamentale qui au-delà de l’anecdote, interroge la signification des genres. L’Italie incarne pour les tenants d’une sensibilité moderne, celles des Philosophes, Rousseau en tête, la vérité et la naturel au théâtre. L’art Français, et sa grande machine lyrique, défendue par les amis de Rameau, doivent être à la mesure de son prestige, l’incarnation de l’idéal vertueux représenté par la tragédie lyrique.
Intellectuels d’un côté ; musiciens, de l’autre. Rousseau contre Rameau. Modernes contre anciens. C’est aussi sur le plan des idées et de la politique, deux visions du monde qui s’opposent. D’un côté, les défenseurs d’une nouvelle société éprise d’égalité sociale ; de l’autre, les partisans d’un ordre monarchique, l’opéra à la française étant depuis son origine assimilé à la gloire du Roi : n’oublions pas qu’en 1673, Lully invente la tragédie lyrique pour donner à la Cour de Louis XIV, un spectacle digne de son éclat et conforme à sa propagande absolutiste. Ici, les domestiques et les servantes maîtresses. Là, l’action des héros et des demi dieux. Le tablier contre l’épée.

Le prétexte : une histoire de Bouffons
Comment éclate la Querelle? A première vue, la représentation de la Serva Padrona de Pergolèse, sur la scène de l’Académie Royale, par la troupe des Bouffons italiens, le 1er août 1752, déclencha la Querelle. Les encyclopédistes, Diderot, Grimm, Rousseau se passionnèrent pour l’italianisme de l’oeuvre : un vent nouveau semblait enfin correspondre à leurs attentes. Ils fustigèrent par réaction, l’artifice poussiéreux de la grande machine théâtrale française, pointant du doigt, et sans ambiguïté, son meilleur représentant, Rameau. « La lettre sur la musique française » de novembre 1753, rédigée par Rousseau, déclarant presque définitivement que « les Français n’ont point de musique », fut le point d’orgue de la bataille esthétique.
A partir de cet événements, la critique de la tragédie lyrique sera constante et l’engouement des compositeurs pour l’opéra comique, croissant. Au demeurant, l’enjeu véritable des oppositions dépasse la question strictement musicale.
En fait, c’est l’opéra français qui est vertement pris à partie. La contestation commence avec Omphale de Destouches, en janvier 1752, qui représente alors la meilleure expression de l’héritage lyrique post-lullyste. Grimm critique violemment un ouvrage obsolète et conservateur.

Les philosophes contre les musiciens
D’ailleurs, les philosophes attaquent plus le genre que son contenu. Rameau dans les joutes qui l’opposent à Rousseau, se montre supérieur dans sa connaissance de la musique.
Rousseau s’attaque à l’une des créations spécifiques de la tragédie de Lully, le récitatif français : le monologue d’Armide est déconstruit : son artifice dénoncé. Quoiqu’en en disent les « anciens », lullyste d’hier ou ramistes d’aujourd’hui, l’opéra français est une sophistication anti-naturelle.
Rousseau prône une musique du coeur, naturel, vraie, mélodique ; quand Rameau apparaît comme l’illustre représentant d’un art érudit et pédant, sophistiqué et abstrait. D’ailleurs, pendant la saison 1752/1753, l’Académie royale à Paris ne présente plus que des ouvrages italiens (à quelques rares exceptions près) : le peuple a suivi les philosophes, tandis que les opéras de Rameau ne sont joués qu’à la Cour.
Quand Rameau se défend : il sert des vues purement théoriques et musicales ; quand Rousseau attaque, il vise un ordre, une société, un régime politique. Quand le philosophe conspue les oeuvres de Rameau, il veut faire la caricature de l’opéra du Roi : un spectacle arrogant et honni. Compositeur, Rousseau, après la représentation de son « Devin du Village », refuse d’être présenté au Roi Louis XV.

Un nouvel opéra : après Rameau, Gluck
Rameau qui s’est senti personnellement attaqué, aura coeur de se défendre en adressant à l’attention de Rousseau, des lettres argumentées dont l’ultime relève les fautes commises par les encyclopédistes : « Réponse à MM. les éditeurs de l’Encyclopédie » (1757).
Pourtant, aussi faible Rousseau fut-il par rapport à Rameau, sur la question musicale, le philosophe infléchit le goût de son époque : il ouvre la voie à l’opéra préromantique, à l’essor du sentiment sur la loi et l’ordre : Gluck pourra bientôt réaliser en profondeur, et en musicien, la réforme du grand genre que l’on attendait. Auparavant, Dauvergne créait ses « Troqueurs » (juillet 1753) à la Foire : le chef d’oeuvre de l’opéra comique français du XVIII ème siècle.
Des intellectuels soucieux de réformer la société ; un musicien expert, et certainement le plus grand génie musical français de son temps, attaqué et polémiste. Jamais une querelle n’aura déclenché de telles passions, tout en ciblant selon les partis, des buts tout à fait différents.

Illustration
Jean-Jacques Rousseau, portrait
Jean-Philippe Rameau, portrait par Aved

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