lundi 7 juillet 2025

La Chaise Dieu. Abbatiale Saint-Robert, le 28 août 2011. Adams: The chairman dances. Ravel: Sheherazade (Brigitte Peyrné, soprano). Dvorak : symphonie n°9. Orchestre Génération Symphonique Daniel Kawka, direction.

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Tout en finesse et en prodigieuse intériorité, la direction exemplaire de Daniel Kawka renouvelle tout ce que nous attendions d’un grand concert symphonique : une flexibilité analytique, une tension permanente dont le propre est ce naturel éloquent qui évite sécheresse, artifice, distance… La baguette du maestro apporte des éclairages singuliers : c’était le cas quand il dirigeait la légendaire production de Tristan und Isolde de Wagner (réalisée par Olivier Py), éclairant comme peu, la mystique amoureuse de l’acte II.
A chacun des concerts de Daniel Kawka, on se dit que le grand frisson sera peut-être voire sûrement au rendez-vous car le chef Français appartient aux plus grands.

Voilà qui donne une valeur primordiale à chacun de ses concerts dont il ne fait jamais un instant neutre, c’est plutôt un acte musical d’une sincérité et d’une justesse de vue souvent irrésistibles. Le concert à La Chaise Dieu est d’ autant plus exceptionnel qu’il a lieu sous une voûte patrimoniale plus connue à l’international pour ses grandes messes ou prières sacrées; c’est surtout une étape décisive pour l’essor du nouvel orchestre dont le chef est le fondateur: une phalange qui s’est choisie comme moteur la passion, l’écoute et le dépassement de soi, soit des valeurs ailleurs proclamées; ici, tout simplement mises en oeuvres. Le résultat dépasse nos attentes …


Régal symphonique à La Chaise Dieu

Portés par le charisme du chef, un modèle sur le plan artistique comme sur le plan humain, les instrumentistes du Génération Symphonique abordent les partitions avec une aisance et un souci du son exemplaires. Pour une naissance, voici un déjà très bel accomplissement qui promet de prochains autres programmes tout autant aboutis voire enchanteurs.

Le Fox Trot pour orchestre The chairman dances, avant-goût de son opéra Nixon un China (1987) est une série trépidante et enjouée, éclaire la facétie illusoirement décorative de Johan Adams. La rythmique réglée comme une horloge, diffuse cette vitalité faussement amusée, légère et enjouée (pulsation continue du mode répétitif proche de Steve Reich ou de Philipp Glass) où John Adams s’amuse beaucoup tout en aiguisant ce regard critique voire parodique qui lui est propre ; la partition ne sacrifie rien au sourire cynique, d’ une ironie cinglante sur les politiques ; grâce, critique et humour font de ce Fox trot une superbe entrée en matière : l’orchestre se glisse dans une série versatile qui fourmille d’humeurs et d’épisodes savoureux; le soin du détail et des couleurs confirment la maîtrise du chef, doué d’une indiscutable compréhension de la partition.

Surenchère et même subtil accomplissement pour Shéhérazade de Ravel: l’orchestre malgré son ampleur sonne en un kaléidoscope millimétré, mais c’est fourmillement chambriste, tapis-écrin idéal pour le chant articulé et diapré de la soprano Brigitte Peyré, au charme prosodique manifeste; jamais Ravel ne fut aussi proche du Pelléas et Mélisande de Debussy: mystère s’épaississant peu à peu, et incantation magique du texte, flamboyante ivresse de la palette instrumentale… Daniel Kawka veille constamment à l’équilibre des pupitres et du rapport voix / orchestre; il fait surgir tous les climats de l’imaginaire ravélien avec une clarté magistrale. Et pourtant ce sont toujours des vapeurs tenaces, suspendues, flottantes entre rêve et féerie, qui font face au désir d’ ailleurs d’une voix de plus en plus envoutée: aucun doute, le chef-poète est un divin sorcier: le plus exquis même que l’on ait découvert dans cette partition parsemée de visions évanescentes et fugaces…


Baguette magicienne

Éclectique et généreux, Daniel Kawka ajoute en seconde partie une autre invitation aux paysages, un univers sonore d’une dimension autre, et pourtant tout aussi évocatoire: celle qui naît au carrefour des continents, à la croisée des cultures: quand Dvorak découvre ce Nouveau Monde, il sait en extraire le charme « exotique », mais filtré selon sa sensibilité foncièrement et indéfectiblement européenne … Le chef trouve les justes équilibres là encore en particulier dans le largo au tempo suspendu qui s’inscrit dans un climat de rêverie nostalgique captivante (justesse du tempo, subtilité des phrasés). Profondeur et centrale intériorité qui confère au mouvement son immobilité hypnotique, d’autant plus frappante qu’il est encadré ici d’épisodes aux contours francs, nettement plus architecturés (puissante déclamation du finale, avec ses cuivres monumentaux).

Qui aurait douter du chef, reconnait l’audace et l’exceptionnelle sensibilité de sa baguette; qui aurait douté de son nouvel orchestre, détecte une toute autre manière de vivre et de partager la musique. Qui aurait pensé assister à une telle performance à La Chaise Dieu: lieu des plus improbables pour se délecter de vertiges symphoniques… le public sort l’esprit comblé et l’âme mélomane surprise et convaincue par un programme étincelant par sa diversité et sa finesse. Le Festival dirigé par Jean-Michel Mathé sait donc se renouveler: il enrichit la programmation sacrée, de soirées hautement orchestrales. En voici l’une des plus abouties, d’autant plus appréciée que la proposition des orchestres à un tel niveau stylistique, en dehors des saisons habituelles, se fait plutôt rare pendant l’été…


La Chaise Dieu.
Abbatiale Saint-Robert, le 28 août 2011. Adams: The chairman dances. Ravel: Sheherazade (Brigitte Peyré, soprano). Dvorak : symphonie n°9 « nouveau monde ». Orchestre Génération Symphonique Daniel Kawka, direction.

Temps fort de la rentrée 2011: Daniel Kawka dirige le Château de Barbe-Bleue de Bartok pour Angers Nantes Opéra, dans la reprise très attendue des metteurs en scène, Patrice Caurier et Moshe Leiser. Production lyrique événement, les 4 et 6 octobre 2011 à Angers (Le Quai), les 14 et 16 octobre 2011 à Nantes (cité des congrès)…

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