dimanche 27 avril 2025

Hector Berlioz, Les Troyens France 2, les 17 et 24 juillet à 23h50.

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« Un aigle irrité auquel on a refusé son essor » : le portrait que brosse Théophile Gautier du « Grand Hector », nous rappelle combien furent sombres les dernières années parisiennes du musicien. Refus, malédiction : autant d’obstacles conspirant contre sa reconnaissance dont la vaine « Panthéonisation » annoncée, remise, abandonnée, fut l’an dernier, un nouvel avatar. A défaut des honneurs de la pierre, la scène et l’enregistrement dvd qui en a découlé, sont en passe de restituer au génie musicien, un peu de son lustre.

Objet de sa plus grande et profonde déception, l’opéra « Les Troyens », fut pour leur auteur, Hector Berlioz, une succession de ressentiments amers, la confirmation que toute gloire lui était interdite. Ce qu’il tenait pour sa dernière grande œuvre lyrique, l’équivalent de la tétralogie Wagnérienne, ce qui devait être un cycle jamais vu ni écouté jusque là, fut tout bonnement évacué par l’insouciant et pompeux Second Empire qui lui préféra toujours Meyerbeer et Offenbach.

Pourtant la fresque est inclassable autant que visionnaire : les cinq actes – presque 4h20 de musique- nous sont restitués ici quand le compositeur, de son vivant, ne put monter qu’une version réduite et dénaturée en « deux actes » (Paris, théâtre lyrique, 1863), devant un public visiblement déconcerté par sa démesure et ses audaces.

Lecteur de Virgile, Gœthe et Shakespeare, jamais Berlioz ne fut autant inspiré. Il y convoque les héros de l’Enéide en de terrifiants et sublimes tableaux : la musique façonne une épopée exaltante où les scènes humaines, d’un pessimisme noir, sont vivifiées par l’apparition des héros de la Mythologie. Berlioz nous livre sa science musicale (qui cite Rameau et Gluck), son étonnante culture poétique et littéraire (de Virgile, il puise le montage du livret qu’il écrit lui-même en y associant le souffle de la poésie Shakespearienne), surtout une idée du théâtre musical digne d’un tympan grecque : son marbre est le plus pur et les lignes qu’il y cisèle, sont du plus noble style.

Il y eut la lecture de Colin Davis (Philips) : legs légitime des Britanniques pour un compositeur qui dirigea à de nombreuses reprises l’orchestre d’une certaine New philharmonic society à Londres…

Que pensez de cette production ? Pour l’heure, voici un nouveau défricheur de la fidèle Albion, Sir John Eliot Gardiner : le défenseur des sons restitués dans leur patine d’époque, (le choix des instruments, le dosage des effectifs, la lisibilité « historique ») fait merveille. L’étoffe de l’orchestre (« romantique et révolutionnaire »), la solide préparation des chœurs rendent grâce au travail de Berlioz sur la couleur et la construction modale. Davis ne peut pas rivaliser avec son compatriote. L’orchestre ici flamboie d’un sang régénéré : il creuse les plaies ouvertes, transcende la convocation des esprits des héros morts (à la façon d’Ingres dans « le songe d’Ossian), jetant sur la chair des figures de la scène, ombres et lumières, glacées et fantastiques, restituant avec une grande cohérence, la balance axiale entre le réalisme des individualités douloureuses et la grandeur épique des mouvements collectifs.

Certes la mise en scène de Yannis Kokkos ne transporte pas mais nos yeux se repèrent facilement dans ce dédale de lieux mythiques, de la Troie incendiée à la féerique et langoureuse Carthage : le metteur en scène d’origine grecque a préféré l’épure au fatras décoratif ou à l’hyper actualisation, en général de mise pour les « grandes machines lyriques ». Son miroir incliné qui donne à voir le fond de la scène, éclaire l’action collective, insistant davantage sur le flot du groupe moins sur la miniature. L’évocation du Cheval aux entrailles diaboliques, réduit à une tête telle l’apparition d’un spectre, est une heureuse trouvaille.

Pourtant la partition fleuve n’écarte pas l’intimité langoureuse (nuit d’ivresse et d’extase du duo Didon/Enée, Acte IV). Mais l’acte Carthaginois a moins inspiré Kokkos où le cadre des amours et de la rupture de Didon et Enée, se borne à quelques cadres coulissant, des escaliers sobres, sous une lumière désincarnée. L’histoire berliozienne résonne pourtant par sa chaleur exotique surtout passionnelle…

Nous ne reconstituerons pas la généalogie des versions discographiques antérieures. Seule une version sort du lot par son excellence vocale, celle du déjà cité Colin Davis (Philips) où John Vickers (Enée), Joséphine Veasey (Didon), Berit Lindholm (Cassandre) entre autres, donnaient une leçon de déclamation à la française, d’autant plus méritoire pour des chanteurs étrangers.

Ici, le plateau de solistes est moins cohérent : il ne s’agit pas de la qualité et de la beauté des timbres, tous sont sur ce plan, indiscutables. Mais nous voulons parler de ce supplément d’âme qui fait d’un chanteur un comédien par l’engagement qu’impose son jeu. Et là, il n’y a qu’un couple qui « embrase » la scène, la Cassandre d’Anna Caterina Antonacci et le Chorèbe de Ludovic Tézier. La première est hallucinée, véritable torche illuminant la scène (la star de cette production, c’est elle et rien qu’elle !) ; le second croise avec la noblesse de la diction, une humilité plus qu’émouvante. Tout d’un coup (superbe duo « quand Troie éclate » de l’acte I), sous le masque des héros antiques, perce la souffrance des individus déchirés par un destin impitoyablement vorace.

Plus frustrant à notre goût, le style réservé des deux protagonistes (il est vrai immenses rôles vocaux et scéniques) : Didon (Susan Graham) et Enée (Gregory Kunde). Didon un peu sage, paraît parfois d’une pâle fadeur aux côtés du tempérament de son ainée Veasey ; Kunde, indéniablement musical, passif et sans profondes brûlures, s’obstine dans des lamentations étirées. L’Enée berliozien est constamment tiraillé entre son désir et son destin. On aimerait plus de déchirement nuancé, de terrifiantes angoisses pour un rôle qui tient et de Racine et de Shakespeare. Les seconds rôles ne déméritent pas, bien au contraire.

Le dvd de cette production est paru chez Opus Arte.

Berlioz au petit écran

France 2, Les Troyens

première partie, le 17 juillet à 23h55
seconde partie, le 24 juillet à 23h55

Mezzo, Requiem puis, la Symphonie fantastique
Le 5 juillet à 10h puis 11h
Le 12 juillet à 15h45 puis 16h50

illustrations
Vien, Les adieux d’Hector et d’Andromaque (1786)
Guérin, Enée et Didon (1816)

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