samedi 10 mai 2025

Gröningen 1596 (Jean-Charles Ablitzer, orgue d’Harbke)1 cd Musique et Mémoire

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Jean-Charles Ablitzer au sommet

Evidemment comme pour chacun de ses récitals, au disque comme au concert, Jean-Charles Ablitzer veille scrupuleusement au résultat final, en particulier en terme de registrations: comment registrer selon le style passé et surtout, comment en assurer la réalisation selon le matériel à disposition? Le choix de l’instrument pour aborder le répertoire choisi est une ici composante essentielle… S’agissant de l’orgue de Harbke, l’instrument qu’a conçu Heinrich Cumpenius (le père) à partir de 1587, n’existe plus mais la reconstruction de Fritzsche est parvenue dans l’esprit de son prédécesseur, et même le travail postérieur de Treutmann (1728) respecte cette continuité de style et de sonorité, faisant de l’orgue que nous connaissons aujourd’hui l’un des plus emblématiques de l’Allemagne centrale, synthèse entre Renaissance et début du XVIIIè.
A ce travail préalable qui fouille la notion de pratique historique, l’organiste ajoute son jeu propre, d’une élocution rare, claire, construite dont la franchise et le tempérament savent aussi moduler et nuancer, tout en assurant, trait dominant de l’interprétation, cette fluidité active qui renforce l’idée d’une ferveur palpitante: la fantaisie Christ unser Herr zum Jordan kam (Hieronymus Praetorius) articule ce chant double du choral entre positif et grand clavier. Même apport convaincant dans Summo Parenti Gloria au caractère d’enchantement spirituel…

L’interprète tire profit de l’art des registrations prenant appui sur la rare et exceptionnelle table de registration pour l’orgue transmise par Cumpenius lui-même: un document précieux pour aborder aujourd’hui les oeuvres des deux Praetorius (Hieronymus et Michael) et de Hassler. On comprend dès lors qu’au delà de l’interprétation stylistique de chaque pièce, c’est toute l’intelligence des options de registration qui est en jeu, outre la remarquable sonorité et mécanique de l’instrument requis pour l’enregistrement. Jean-Charles Ablitzer stimule encore notre imaginaire en interrogeant l’idée des combinaisons évoquées par Cumpenius à l’aune des propositions de Marin Mersenne dans l’Harmonie Universelle de 1636 (autre source, plus connue, pour la pratique de l’époque). La confrontation qui s’appuie sur une liberté érudite rare, fait entendre par exemple, cette alliance inédite aujourd’hui et oubliée depuis, entre jeu de bourdon de 8′, jeu de cymbale associés au tremblant!

David Beck, l’orgue universel

Voilà qui éclaire avec d’autant plus de richesse et d’inventivité la rencontre historique de 1596 qui voit la confrontation des meilleurs organistes d’Europe, réunis autour d’un instrument exceptionnel, celui réalisé par David Beck à Gröningen. Le Duc Heinrich Julius de Braunschweig et Lüneburg invite en son château de Gröningen, les meilleurs organistes compositeurs vivants, certainement pour fixer une sorte d’uniformisation de la musique liturgique pour orgue dans les principautés germaniques. L’ambitieux projet pouvait être envisagé d’autant qu’il s’appuyait sur la découverte pour chacun de l’excellent instrument de Beck (tuyauterie toute en métal) dont la science organologique se fondait elle-même sur une synthèse entre les styles néerlandais et d’Allemagne du nord et centrale.

Pour évoquer les capacités légendaires de l’orgue Beck de Gröningen (dont il ne reste plus rien de la mécanique originelle), Jean-Charles Ablitzer a choisi de jouer sur l’orgue Cumpenius conservé à Harbke (1587): Cumpenius fut le collaborateur le plus proche de Beck.

Le coffret édité par le festival Musique et Mémoire dont Jean-Charles Ablitzer est un artiste associé, concrétise les recherches favorisées par le Festival de Haute-Saône: on y retrouve même les caractères qui font chaque année en octobre, les délices de l’événement musical: défrichement expérimental permis grâce à une libre et riche érudition. En outre, le programme souligne un autre aspect artistique défendu localement par le directeur de Musique et Mémoire, Fabrice Creux: l’apport des périodes transitoires, ces « entre deux siècles » où tout s’est joué: ici, l’extrême fin du XVIè et le tout début du XVIIè, soit une zone d’expérimentations fructueuses et d’émulation active qui, en peinture, avec Caravage par exemple, a produit la révolution esthétique la plus fondamentale de l’histoire de l’art européen.
Il appartient à cet enregistrement en tout point remarquable (magnifiquement édité, comprenant de superbe photos de l’instrument, et aussi une très riche documentation en guise de notice et livret d’accompagnement: évocation des journées de la rencontre de 1596 à Gröningen, déploration rimée en hommage à l’oeuvre du facteur Gottfried Fritzsche par Johann Rist en 1646… ) de nous faire vivre la diversité sonore et musicale de l’écriture d’orgue des dernières années de la Renaissance grâce à la mécanique « divine » d’un instrument exceptionnel. Réalisation magistrale, de surcroît excellemment enregistrée.



Gröningen 1596, célèbre rencontre d’organistes. Hieronymus et Michael Praetorius, Hans Leo Hassler. Jean-Charles Ablitzer, orgue d’Harbke (Cumpenius, 1587; Fritsche, 1622; Treutmann, 1728).

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