Glinka Mikhaïl Ivanovitch
(1804-1857)
Russlan et Ludmilla, 1842
Mezzo
Le 4 février 2008 à 20h30
Le 26 février 2008 à 10h
Le 4 mars 2008 à 10h
Opéra filmé au Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg en 1995. Avec ses deux opéras, Une vie pour le Tsar (1836) et Russlan et Ludmilla (1842), Glinka, en pionnier, ouvre la voie du grand opéra russe dont la cohérence musicale fixe les premiers canons du genre national: registre historique et sentimental qui n’oublie pas l’importance des choeurs (manifestation centrale du peuple ainsi fédéré), l’omniprésence des voix graves (basses chantantes, amples et profonds altos féminins aux cotés des sopranos dramatiques, des ténors héroïques), le goût emblématique pour le fantastique et la féerie… Russlan et Ludmilla dont l’action se déroule dans la Russie païenne et médiévale du IX ème siècle, acclimate ses éléments épars en une totalité unifiée dont le modèle montre le travail de Glinka, en marge des standards européens (en particulier de Bellini et de Donizetti qu’il a rencontrés en Italie), et indique aussi, le sillon d’une veine russe authentique pour ses suiveurs… tels Moussorsgki, Rimsky, Tchaïkovski. Voici après l’épisode historique pro-tsariste d’Une vie pour le Tsar (dont Nicolas Ier fut dédicataire), le roman chevaleresque et l’épopée féerique de Russlan et Ludmilla où le héros doit vaincre épreuves et illusions pour gagner le coeur de sa belle…
En 1995, Gergiev fait ici oeuvre de restauration patrimoniale. Aidé du metteur en scène, Lofti Mansouri qui reconstitue les décors et les costumes de la création (1842), le chef du Mariinsky, trouve le ton juste, à la tête de ses troupes pétersbourgeoises, complétées par les danseurs, les choeurs et l’orchestre du Kirov. La couleur indéniablement russe de la réalisation séduit de bout en bout: la valeur des chanteurs, d’un excellent niveau général, compense le classicisme de la scénographie qui prend ici un sens d’authenticité. La « russité » et ce caractère primitif, qui permet aux spectateurs de revisiter une légende spécifiquement nationale, recomposée certes par le génie poétique de Pouchkine, captivent, offrant cette alliance du réalisme et de l’onirisme. L’intrigue amoureuse entre les deux amants qui scelle aussi le duo central de l’opéra russe (basse chantante et soprano dramatique), la féerie et l’enchantement (grotte du magicien Finn auquel correspond en contrepartie, le palais de l’enchanteresse Nania au III), le culte des héros morts (scène du champ de bataille où Russlan tue le géant et trouve l’épée magique qui lui permettra de vaincre le nain Tchernomor,au II) sont les composantes d’une action équilibrée entre narration épique et collective, et peinture psychologique et individuelle. A ce titre, Anna Netrebko qui n’est pas encore la star internationale, naturalisée autrichienne, fait des débuts remarquables par leur musicalité rayonnante, et ce dès le début du I, dans son grand air virtuose où la soprano affirme une nature et un caractère dramatique et vocal. L’oeuvre ne manque pas d’arguments qui explique sa fascination toujours actuelle: le quatuor vocal qui précède la découverte du rapt de Ludmilla au I, expression suspendue et onirique à plusieurs voix (le souverain Svetozar, Ratmir, Farlaf et Russlan: soit trois basses et une alto) rappelle cet amour du mystère, entre inconscience et sommeil, magnifié par les timbres amples lugubres des chanteurs, portés par le murmure coloré de l’orchestre. Voici l’une des meilleures productions « historiques » et nationales du Mariinsky, sous l’ère restauratrice du maestro Gergiev soucieux de restituer à l’auguste scène, le répertoire central dont elle est l’écrin.
Vie de Glinka
Mort à Berlin, le 15 février 1857, Glinka est assurément le fondateur de l’opéra russe romantique, trouvant la voie spéciffique d’un genre national, ni héritier des canons occidentaux, français et italiens, surtout hors de la vague si prenante du wagnérisme naissant. En associant réalisme et fantastique, épisme historique et intrigue sentimentale, le compositeur est un visionnaire qui ouvre la voie aux plus grands compositeurs après lui, tels Moussorsgki et Rimsky-Korsakov. A la fin du siècle, bien après sa mort, soit plus de trente ans après sa disparition, ses opéras restent une source et un modèle indiscutable pour les créateurs du Groupe des Cinq…
Inventer l’opéra russe romantique
Venu tard à la musique à 11 ans, éduqué dans un cercle aristocratique, Glinka est d’abord fonctionnaire de l’administration tsariste. La musique est une passion certes mais cultivée en dilettante. Le jeune homme commence à composer des symphonies pour l’orchestre de son oncle, mais aussi de la musique de chambre dont plusieurs Quatuors à cordes (déjà deux en 1830). En Italie, de 1830 à 1833, Glinka rencontre Bellini et Donizetti, se frottant ainsi avec le théâtre lyrique des deux meilleures plumes du romantisme italien, après Rossini. Tout cela excite et stimule son inspiration créative cependant orientée exclusivement pour l’émergence d’un style authentiquement russe. A Berlin, élève de Siegfried Dehn qui lui donne des cours d’harmonie (1834) et lui confirme son aspiration à écrire un opéra russe, Glinka retourne en Russie pour se marier (1835. Il divorcera en 1846).
A Saint-Petersbourg, Glinka fréquente Pouchkine et le poète Vassli Joukovski qui lui donne le livret de son premier opéra dont la trame narrative glorifie la figure du paysan Yvan Soussassine. Ce dernier en 1613, se soumet au système tsariste des Romanov. Une vie pour le Tsar est ainsi créé au théâtre Mariinsky, le 9 décembre 1836, en présence de Nicolas Ier, dédicataire de la partition. Glinka devient le compositeur officiel de la Cour, nommé maître de la chapelle impériale en janvier 1837, charge dont il démissionnera pour raisons de santé. Âme romantique, Glinka rencontre en 1838, la muse de Pouchkine, Ekaterina Kern, avec laquelle il aura une relation pasionnée qui inspire sa Valse-fantaisie pour piano (été 1839) et aussi un recueil de romances d’après les poèmes de Koukolnik.
Russlan et Ludmilla,1842
Après le succès d’Une vie pour le Tsar, oeuvre complaisante au pouvoir comme le sont les tragédies en musique de Lully et Quinault pour Louis XIV, tout en offrant sur le plan musical d’indiscutables accomplissements, Glinka entreprend un deuxième opéra, d’après Russlan et Ludmilla de Pouchkine. L’oeuvre, « opéra magique, » est créée le 9 décembre 1842, hors du milieu impérial: son succès est mitigé. Pourtant Liszt qui en composera quelques transcriptions pour piano, se montre immédiatement enthousiaste. Après Ludmilla, Glinka se rend à Paris où il rencontre l’aimable Berlioz qui dirige le 16 mars 1845, plusieurs extraits de ses opéras au Cirque d’été. Le compositeur français souligne le génie de son confrère russe et reconnaît dans sa musique, une nouvelle voie. De nombreux autres voyages (en Espagne jusqu’en 1847), à Vienne puis à Varsovie (1851 où il découvre la musique de Gluck) lui permettent d’élargir ses horizons. Ce même esprit mobile et curieux, le mène à Berlin afin d’y approfondir sa connaissance des oeuvres de Bach dont il eut la révélation en écoutant la Messe en si. Il retrouve ainsi Siegfried Dehn en 1857 mais meurt le 15 février. Bohème inspiré, esprit atypique et exigeant, créateur cultivé, omnubilé par l’écriture d’une musique profondément russe, en dehors des influences italiennes, françaises et allemandes, Glinka est l’une des figures les plus passionanntes de la musique romantique russe. Son oeuvre préfigure les grands auteurs après lui: Moussorgski, Rimsky, Tchaïkovski. Il convient aux côtés de son oeuvre théâtrale, de souligner le génie non moins convaincant du mélodiste et du compositeur de musique de chambre.
Illustration:
(1) Repin, Mikhail Glinka (DR).
(2) Production de Russlan et Ludmilla au Marrinsky en 2006: le chevalier Russlan vainqueur de la tête du géant et du nain Tchernomor, acte II (DR)
(3) Valery Gergiev (2007. DR)