Giuseppe Verdi
La Force du destin, 1862
Bruxelles, La Monnaie
Du 5 au 29 juin 2008
Kazushi Ono, direction
Dirk Tanghe, mise en scène
Version « de Milan », 1869
Le titre dit tout: comment de faibles héros peuvent-ils se défaire de la loi des dieux et de la destinée? Le Fatum est une donnée importante du théâtre verdien. Souvent les filles y sont sacrifiés, l’amour brûlé sur des autels voraces et l’innocence corrompue ou pervertie par la barbarie d’un système sans compassion. De quoi tailler de beaux airs pour une soprano tendre mais impuissante, un ténor héroïque souvent vainement vaillant, surtout une basse ou un baryton ténébreux, manipulateur. S’agissant de La Force du destin, dont le livret est adapté par Piave d’après Don Alvaro o la Fuerza del Sino (1835) de Banquedano, l’opéra est en quatre actes. Verdi ajoute une scène d’après Schiller (Camp de Wallenstein, 1799), un auteur qu’il estime beaucoup. La partition est créée à Saint-Pétersbourg en 1862.
Pas de salut pour Leonora ni Alvaro
Leonora a voulu fuir son père, le Marquis de Calatrava, pour suivre son amant, Don Alvaro. Mal lui en a pris, le géniteur les surprend et le fiancé le tue. Coupable, rongée par le remord inspiré par un désir déraisonnable, Leonora rejoint les ordres. Le frère de Leonora, Don Carlos de Vargas a juré de venger l’honneur paternel et de tuer l’assassin de son père. D’ailleurs celui-ci réussit à le trouver,… dans le couvent de la Madone des Anges où Alvaro est devenu le populaire et estimé Père Raphaël. Les deux hommes se battent en duel… Leonora sort de son ermitage reconnaît Alvaro qu’elle n’a jamais cessé d’aimer, mais son frère Carlos la poignarde avant d’expirer. Accablé par la perte définitive de celle qu’il avait cru morte, Alvaro se jette dans un précipice. On échappe pas ainsi à son destin: chacun doit payer pour les fautes qu’il a commises. Ainsi périssent les héros auxquels toute idée de pardon est exclue.
Verdi a près de 50 ans lorsqu’il livre son nouvel ouvrage pour le théâtre Impérial de Saint-Pétersbourg. Derrière lui, il a déjà connu les succès depuis 10 ans déjà grâce à la trilogie gagnante celle de Rigoletto (1851), Il Trovatore (1853) et La Traviata (1853). Il vient d’épouser (1859) la cantatrice Giuseppina Strepponi avec laquelle il vivait en concubinage, sans manquer de semer le trouble dans l’âme bien pensante des habitants de Busseto et Sant’Agata, le village où il habite une riche demeure. Dramaturge exigent, et même perfectionniste, le compositeur reprendra plusieurs de ses opéras après leur création. La Forza del destino, comme Simon Boccanegra, Macbeth, Don Carlos, n’échappe pas à cette règle qui révèle une quête insatisfaite de la vérité théâtrale. Après la création russe, l’ouvrage est donc le sujet d’un cycle de modifications: Verdi restaure et réadapte scènes et fin de l’acte IV. Cette seconde version dite de Milan, est créée à La Scala en 1869. Après la verve et le brio de Rossini, le lyrisme extatique de Bellini, l’intensité dramatique de Donizetti, Verdi ajoute sa manière propre, celle d’un auteur occupé par l’expression voire par des caractères justes et de forts contrastes. Les personnages de La Forza del Destino illustrent bien dans la typologie des personnages verdiens, cette affection pour des êtres brûlés, solitaires, auxquels toute idée de bonheur, de répit, de détente est étrangère. Ces victimes du système social (dont Verdi a beaucoup souffert dans sa vie personnelle) n’ont que la mort pour issue. Etres déchirés, torches vivantes s’exprimant de façon radicale et passionnée: en somme d’excellents sujets de dramatisation musicale.
Illustration: Giuseppe Verdi (DR)