Edgar réhabilité
Tout le Puccini à venir est contenu dans les 4 actes d’Edgar, ici restitués grâce à un travail de récolement de la version complète originale détenue par la petite fille du compositeur qui détenait l’orchestration originelle du dernier acte (pas moins de 40 minutes, d’une ardente dramaturgie, aussi capitale que le déroulement du III, lequel est aussi une réussite totale, avec ses fausses funérailles!).
Lorenzo Mariani déplace le Moyen-Age initial (vers 1302) à l’époque de Puccini soit à la fin du XIXème… Il imagine pour le I, une église envahie par une verte prairie: le ton est donné. Sur un fond de bigoterie hypocrite et lâche, -insupportable conscience villageoise-, les héros en particulier Edgar et sa maîtresse Tigrana, imposent une liberté radicale, y compris sexuelle, qui s’affiche sans concession ni préambule. Leurs deux tempéraments élèvent la scène vers la fureur première dont la vocalité se ressent: entière et passionnée, ardente et fauve. Evidemment, pour le rôle-titre, le ténorisimo argentin presque quinqua a trouvé personnage à sa (dé)mesure: dramatisme incandescent, voix en puissance et en couleur, son Edgar est une prise de rôle et une première absolument convaincants. A ses côtés, la Fidelia de Amarilli Nizza est une jeune colombe pure et virginale aux aigus rayonnants (la chanteuse est aussi une Liu remarquée) et en tigresse féline et provocante, âme noire et vipérine, le Tigrana de la mezzo russe Julia Gertseva fulmine à tout va, écorche ceux qui s’opposent à elle, s’emporte et maudit avec un vrai panache de gitane. Proche de Bizet, Puccini caractérise les deux femmes comme deux sources féminines opposées, le bien et le mal, l’innocence et la possession maladive, Carmen contre Michaella.
Même Marco Vratogna campe un Franck, rival de Edgar et frère de Fidelia, qui aime sans retour Tigrana, avec détermination mâle et puissante. Autant dire que le plateau vocal pour cette première d’autant plus opportune en 2008 pour les 150 ans de la naissance de Puccini, demeure captivant.
Saluons Arthaus Musik de fixer au dvd la présente révélation. Entre le vice et la vertu, le coeur de l’homme montre ses faiblesses. Et quand vient l’heure de la facture, c’est -tragédie vériste oblige-, une innocente qui paie les douleurs et blessures commises. L’horreur et la tendresse y conspirent efficacement: cet Edgar enfin complet, mérite absolument sa réhabilitation. La découverte du III (avec sa musique de funérailles pour Edgar, que Toscanini utilise pour le décès de Puccini) et le dévoilement du IV sont à eux seuls, des instants de théâtre, passionnants.
Giacomo Puccini (1858-1924)): Edgar, 1889. Version originale en 4 actes. D’après La coupe et les lèvres » (1832) d’Alfred de Musset. José Cura, Edgar. Amarilli Nizza, Fidelia. Julia Gertseva, Tigrana. Marco Vratogna, Franck. Carlo Cigni, Gualtiero. Orchestre et choeur du Teatro Regio de Turin. Yoram david, direction. Lorenzo Mariani, mise en scène.