Gabriel Fauré est un poète musicien: ses mélodies instaurent une alliance subtile et ténue entre verbe et note. Il faut des interprètes accomplis pour extraire et exprimer le suc de ce rapport alchimique: ambassadeurs de l’ombre, des climats intermédiaires, du fourmillement des correspondances émotionnelles: exposition, développements, réitérations, strates du souvenirs, correspondances des images et des lieux…
Pari relevé, et avec quel art, et quel naturel, par la soprano Magalie Léger et le pianiste (et compositeur), Michaël Levinas. En travaillant sur une articulation et aussi une accentuation revisitées, la chanteuse met en relief les images et les sentiments suscités par les poètes chantés: Verlaine, Leconte de Lisle, Armand Silvestre, Villiers de l’Isle Adam… Ici chant et piano se font évocatoires des textes, recréant selon l’intention du duo (parfaitement expliquée dans la notice par Michaël Levinas), l’organisation interne et l’activité sous jacente de la phrase et de la langue musicale.
Curieusement voire contradictoirement, l’effort d’articulation spécifique auquel s’est pliée la soprano française (qui fut « révélation » des Victoires de la musique classique en 2003) accroche naturellement les arêtes sonores et significatives de la musique. Comme le dit très justement Michaël Levinas, l’accord et la fusion spatiale voix/piano sortent grandies, elles soulignent combien l’écriture musicale et la ciselure des poèmes correspondent, dialoguent, en particulier dans le cycle cohérent de « La Bonne Chanson » où les 9 poèmes de Verlaine rencontrent sans artifice aucun, l’activité musicale de Fauré. A l’écoute de la résonance et de la vibration du piano, Michael Levinas travaille dans l’accord avec la voix humaine: alliance superbe des deux types de cordes, la réalisation du duo force l’admiration: prosodie parfaite du premier air « Une sainte en son auréole« , ouvrant le cycle de « La Bonne Chanson« , caractères et couleurs de l’enchantement dans « La lune blanche luit dans les bois« , brume et torpeur jusqu’à l’évanouissement de « Après un rêve« … et même dans l’exaltation prononcée (Fleur jetée), Magali Léger sculpte chaque aspérité agissante du verbe, tout en gardant le sens de l’action et de la ligne… Il ne s’agit pas de dire et de projeter seulement les poèmes, il convient aussi de les resituer dans la perspective plus vaste d’une mémoire linguistique dont la voix de la soprano, se fait prêtresse inspirée: indiquant dès lors, avec la complicité et même ce halo enveloppant du piano, une multiplicité de chemins à parcourir… Ce travail singulier sur l’accentuation, la couleur, la suggestion, caractérise leur récital. Voilà donc un album majeur qui au rayonnage des mélodies françaises, nous fait écouter Fauré, autrement. Chapeau bas.
Gabriel Gauré (1845-1924): La Bonne chanson, opus 61. Vingt mélodies, deuxième recueil. Après un rêve, opus 7 n°1. Magali Léger, soprano. Michaël Levinas, piano (1 cd Intégral)