mercredi 7 mai 2025

Francesco Cavalli (1602-1676), Ercole Amante (Paris, 1662)

A lire aussi

La France du premier baroque (XVII ème siècle), avant la prise du pouvoir par Louis XIV apprend les bonnes manières auprès de la source du raffinement et de l’art, la souveraine Italie, patronne des artistes et de l’avant-garde picturale autant que musicale, depuis le XV ème siècle.
Pour preuve, pour célébrer le mariage du jeune Roi Louis de France avec l’Infante Marie-Thérèse d’Autriche, Mazarin, alors Premier Ministre, invite à Paris, l’un des plus grands compositeurs ultramontains de l’heure, Francesco Cavalli.

L’élève de Monteverdi poursuit le grand œuvre de son maître dont il apprit toutes les ficelles de la dramaturgie. L’héroïsme édifiant, l’apothéose morale des héros et des dieux de la fable mythologique et de l’Epopée guerrière, mais aussi la bouffonnerie la plus truculente voire lubrique et acide, déjà à l’œuvre dans La Calisto (1651). Grand conteur des légendes et faiseur de féerie, Cavalli est aussi un peintre réaliste sans complaisance ni idéalisme sur la nature humaine. Si les auteurs vénitiens savent évoquer la grandeur des héros, ils aiment tout autant brosser la perversité agissante des personnages, non sans un certain cynisme et un pur amour de la comédie dell’arte.
Les compositeurs italiens baroques sont nés pour la comédie et la scène, ils ont le démon des planches dans le sang, et en cela Cavalli, plus qu’aucun autre disciple de Monteverdi, avec peut-être Cesti, porte très haut la tradition théâtrale du Maître fondateur de l’Opéra.

Mazarin, d’origine italienne, prélat aussi mécène que dispendieux, ayant le sens de la représentation, en serviteur digne de la monarchie française, particulièrement fragilisé dans la première moitié du XVII ème siècle, entend donner des images à la mesure de son ambition pour le prestige de la Maison des Bourbons. La musique en particulier l’opéra est un excellent outil de propagande.
Ce qui touche le Roi, doit nécessairement engager ce qu’il y a de plus spectaculaire, de plus enchanteur, de plus artistiquement raffiné.
Depuis 1645, le Cardinal œuvre pour importer à Paris, la manière italienne, en particulier l’opéra. La Finta pazza de Strozzi et Sacrati est représentée au Petit Bourbon dans des machineries somptueuses de Torelli. En 1647, Luigi Rossi donne son Orfeo au Palais-Royal, quarante après que Monteverdi ait créé son propre Orfeo à Mantoue. Dès l’origine, les parisiens découvrent la magie du théâtre musical italien.

Naturellement, pour le mariage du jeune Louis XIV, Mazarin commande à Cavalli un ouvrage nouveau, Ercole Amante, dès 1659, et pour les représentations, fait élever un théâtre au Château des Tuileries. LeVau, architecte, Coypel, peintre, travaillent sur le chantier. La machinerie, la plus élaborée de l’heure, est réalisée par Vigarini.
Cavalli qui a succédé à son maître Monteverdi à Saint Marc de Venise, comme maestro di capella du Doge, l’un des postes les plus prestigieux d’Italie, arrive à Paris à l’été 1660. Agé de 58 ans, le compositeur italien, réputé, estimé, admiré, eut du mal à rejoindre Paris. Il est dans la ville non sans s’être fait prié à plusieurs reprises. L’union du couple royal avait déjà été célébrée le 9 juin à Saint-Jean de Luz. Louis et Marie-Thérèse faisaient leur entrée parisienne, le 26 août.

Hélas, la salle de théâtre des Tuileries n’étant pas achevée, on se replia sur un autre ouvrage de Cavalli, Xerse, écrit en 1654 pour Venise, auquel Lulli ajouta ses ballets. Ercole Amante ne fut représenté sous la direction du compositeur, devant la Cour, qu’en février 1662. Mazarin ne devait pas découvrir l’ouvrage dont il était depuis 1660 le commanditaire : il s’était éteint le 9 mars 1661.

L’ouvrage fleuve, en un prologue et cinq actes, s’appuie sur le livret de l’abbé Francesco Buti. Au cœur du drame, Iole aimée par Jupiter et son fils, Hyllus. Œuvre de propagande, l’opéra du Vénitien permit selon les volontés des commanditaires au jeune monarque Bourbon d’apparaître sous sa forme solaire, selon la symbolique de la Monarchie Française.

Dans Ercole Amante, Cavalli utilise avec maestrià, l’arioso qui lui permet d’exprimer les passions humaines. Tout l’intérêt de l’ouvrage, malgré la signification politique et les conventions d’un opéra de cour, réside dans la psychologie musicale, présente dans la partition. Récitatifs amples et d’une solennelle effusion sentimentale, chœurs grandioses parfaitement adaptés à la volonté d’héroïsation et de grandeur épique et légendaire, sont les piliers d’une œuvre foisonnante et inventive, qui mêlent librement, duos, trios, solistes et chœurs, scènes de lamentation, de jubilation, de caractère et de torpeur alanguie. D’autant que la part de l’orchestre n’est pas négligée : ritournelles, sinfonie indiquent clairement que le continuum instrumental est moteur.

Disposant de moyens humains et financiers exceptionnels, Cavalli pouvait développer comme il le souhaitait son projet dramaturgique et musical.
En Ercole/Hercule, il faut bien sûr, reconnaître la glorification mythologique du Souverain Français, héros conquérant, doué d’une force exceptionnelle et miraculeuse, pacificateur et vertueux. Le modèle du prince baroque, politique avisé, acteur de son destin, incarnation de la puissance de l’ordre divin et de la nation. A ce titre, le prologue qui identifie précisément le royal modèle au héros grec, est le prototype d’une tradition lyrique qu’illustrera ensuite Lully, musicien du Roi, au travers de ses tragédies lyriques, à partir de 1673 (Cadmius et Hermione).
En dépit de notre goût moderne qui évaluerait l’œuvre telle une manifestation exotique du goût français, il faut plutôt tenir Ercole Amante comme un ouvrage fondamental dans l’évolution de l’opéra en France, le préambule nécessaire et incontournable qui prépare l’essor futur de l’opéra lulliste qui naît onze années après.

L’accueil de l’opéra fut si l’on en croit les historiens, mitigé. Or il paraît difficile de croire que les courtisans invités en présence de leur souverain, aient pu manifestement « bouder » un spectacle certes long, dont le livret italien n’avait pas été traduit. La résistance de l’audience française résidait en de plus profondes raisons qui tenaient surtout au goût et à la culture française, encore peu habituée aux codes de l’opéra italien.
Le Ballet de cour restait encore le genre le plus apprécié. A ce titre, Louis XIV danseur, saura intégrer cette spécificité de la Cour de France, aux représentations de sa propre grandeur. Mais le pays de Corneille et de Racine a toujours favorisé le théâtre parlé sur celui chanté. Et il faudra encore bien des années pour les compositeurs perfectionnent un mode de déclamation mi chantée mis parlée parfaitement adapté à l’idée d’un théâtre musical. L’opéra Français, l’un des plus tardifs en Europe, ne naîtra qu’en 1673. Et son avènement fut réalisé par celui qui avait fait danser le Roi, Lully, celui-là même qui aux moments de représentations d’Ercole Amante, composa des ballets de son invention, plus applaudis que le drame vocal et musical de Cavalli.

Cavalli quitte Paris en mai 1662. Son séjour ne fut tout de même pas inutile. Il a labouré le champ de Lully. La création parisienne de ses œuvres aura permis
que naisse une tradition purement française de l’opéra. En affirmant dès la prise du pouvoir par Louis XIV(1661), l’image sublimée de la grandeur politique, en offrant un premier modèle artistique auquel le jeune monarque absolu s’est identifié, l’oeuvre de Cavalli a fécondé l’imaginaire des artistes qui travaillèrent ensuite à perpétuer la gloire musicale du Souverain Français.

Discographie

Michel Corboz, 1980
Yvonne Minton, Ulrik Cold, Felicity Palmer, Keith Lewis… English Bach festival Chorus, Baroque orchestra. (Erato, 3 cds)

27 ème Festival d’Ambronay 2006

Cavalli, Ercole Amante
& Lulli, ballets
Les 26 et 28 septembre, 20h30, Théâtre de Bourg-en-Bresse
Solistes, choeurs et orchestre, Académie européenne d’Ambronay,
direction : Gabriel Garrido.
mise en scène : Pierre Kuentz
chorégraphie : Ana Yepes

Tournée :
30 septembre, Opéra de Vichy
3 octobre, Opéra de Toulon
6 octobre, Grand Théâtre de Reims
9 octobre, Salle Gaveau à Paris
puis Opéra de Besançon

informations : www.ambronay.org

Illustrations
Lebrun, l’apothéose d’Hercule
Pierre Mignard, Mazarin
Velasquez, l’Infante Marie-Thérèse
François Lemoyne, l’apothéose d’Hercule (Château de Versailles, salon d’Hercule)
Nanteuil, Louis XIV.

Derniers articles

PARIS, La Scala. Récital de Philippe Mouratoglou, guitare, lundi 2 juin 2025 : «  le voyage d’Alan » (avec Emmanuel Guibert, dessinateur)

Deux amis célèbrent la mémoire et le goût artistique d’un troisième, absent, disparu depuis quelques années. Le guitariste Philippe...

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img