Virtuosités
du 8 octobre au 19 novembre 2011
Venise, Palazzetto Bru Zane
Centre de musique romantique française
A l’automne 2011, grâce au Palazzetto Bru Zane révisons notre connaissance des « virtuosités » romantiques françaises… Entre effet et affect, virtuosité et intériorité, Liszt invente la notion clé d’exécution transcendante… une nouvelle expérience de la musique qui au concert, dans les salons permet aux publics et aux artistes interprètes d’exprimer et de communiquer d’une autre façon, la musique contemporaine. Le concert romantique était né. Mais il y a un avant Liszt, qui au tournant des années 1810 met au devant de la scène des interprètes et des compositeurs oubliés tels Kreutzer, Baillot, les frères Duport, Dussek et Hérold… mais aussi, Herz, Thalberg et Alkan…

Une nouvelle virtuosité au tournant des années 1810…
Au XIXe, nait la figure du héros romantique qui s’incarne au concert grâce aux virtuoses experts en acrobaties instrumentales … ou vocales. Quelles figures historiques et quels instruments, le festival « Virtuosités » met-il en avant?
Bien entendu, on pense avant tout à Paganini, Liszt et Chopin. Ils seront présents dans ce festival inaugural (et Liszt en particulier, année commémorative oblige). Mais à dire vrai, il nous a semblé plus intéressant de mettre en lumière la période chronologique qui précède exactement l’arrivée de ces « ovnis » à Paris, soit la période révolutionnaire, l’Empire et la Restauration. On oublie que des violonistes comme Kreutzer et Baillot, des pianistes comme Dussek et Hérold ou des violoncellistes comme les frères Duport posent un jalon esthétique primordial qui installe dans l’esprit du public une nouvelle mentalité et un nouveau rapport à l’exigence technique. Si Paganini et Liszt furent tant remarqués pour leurs prouesses c’est parce que l’horizon d’attente de l’auditeur avait déjà changé vers 1810, et qu’il ne restait plus à la jeune génération qu’à dépasser les prodiges techniques du « vieux style » (comme on disait alors) : passer d’une virtuosité classique poussée à l’extrême à une virtuosité romantique superposant « effets » et « affects ».
Thèmes élégiaques et brio pur…
Quels compositeurs se sont particulièrement illustrés ou dédies à cet essor de la virtuosité romantique?
Le grand talent d’un Liszt est d’avoir su dépasser une première manière tout en ostentation pour atteindre à une spiritualité artistique indéniable. C’est une manière de comprendre la notion d’« exécution transcendante » : la technique maîtrisée permet d’envisager un au-delà poétique derrière le trait de virtuosité. Beaucoup de compositeurs d’avant 1850 étaient avant tout des instrumentistes : ils n’eurent pas d’autre prétention que d’écrire des pages mettant en avant leur talent d’interprète. Plusieurs, néanmoins, ont parfaitement compris que l’âme devait être sollicitée même dans les concertos les plus brillants. Viotti, installé à Paris, s’était fait le champion des adagios expressifs. Baillot lui succède dans cette école de la sensibilité virtuose. Au piano, Steibelt puis Dussek, Hérold, et enfin Herz, Thalberg et Alkan misent autant sur les thèmes lyriques ou élégiaques que sur le brio pur. Ils savent parfaitement doser, d’ailleurs, le contraste entre les passages sensibles et ceux plus démonstratifs. Citons également – quoique plus anecdotique – l’école des instrumentistes à vent française : Tulou à la flûte, Duvernoy au cor, Lefèvre à la clarinette, les frères Nadermann à la harpe.
Essor du vedettariat moderne…
Vous parlez d’un commerce de la virtuosité ? Est-ce à dire qu’au XIXème siècle, la professionnalisation du milieu musical se fixe et établit ses modes de fonctionnement ? Est ce à cette époque que l’artiste rencontre ses publics, grâce aux salles de concert, grâce au travail des agents auprès des producteurs et diffuseurs?
La période post-révolutionnaire oblige les musiciens à se positionner autrement dans la société. Ce n’est pas si caricatural qu’il y paraît parfois dans certaines démonstrations hâtives. De là naît l’émergence du vedettariat moderne dont les archives témoignent concrètement : le « contrat d’exclusivité » en particulier apparaît à ce moment, et on sait que les salles parisiennes n’en sont toujours pas sorties. Par ailleurs, le XIXe siècle est, plus encore que le XVIIIe, celui des voyages. On traverse plus rapidement les frontières, et les déplacements d’artistes à l’étranger sont de moins en moins vécus comme des pèlerinages artistiques de formation (à l’image de ce que pouvait être le « Grand Tour ») que comme des périodes d’intenses tractations financières où chaque jour doit être rentabilisé, soit financièrement, soit au moins en terme d’image. Et la « lettre de recommandation » si caractéristique du XVIIIe siècle change de finalité lorsque les artistes l’utilisent à des fins lucratives. Enfin, le développement de la presse nourrit aussi les « indiscrétions » qui donnent lieu à un effet « teasing » (pour reprendre un mot à la mode) et permettent de propager – mais surtout de construire – une image publique. La « diva » n’a jamais autant suscité l’intérêt qu’à l’époque romantique.
Stilo a l’italiana…
Y a t il un répertoire particulier précisément applaudi et recherché par les publics du XIXème siècles?
C’est indiscutablement le concerto et l’air « à l’italienne » qui ont cristallisé (et encore aujourd’hui) toutes les attentes en terme de virtuosité. L’un et l’autre, quoique très différents en surface, utilisent les mêmes ressorts dramatiques. Au « cantabile » chanté dans la cavatine correspond le mouvement lent orné du concerto, au finale exotique ou folklorique correspond la cabalette, en polonaise ou sur des rythmes haletants. Les techniques mêmes s’imitent l’une l’autre : la pyrotechnie d’un Meyerbeer est résolument instrumentale (avec l’impossibilité parfois de ne pas escamoter quelques notes si l’on veut pouvoir respirer entre deux vocalises) quand le chant sur la quatrième corde d’un Paganini est un décalque évident du « poitrinage » des chanteurs « di forza ».
La notion de virtuosité reste associée à l’individu; pour autant l’essor de ce vedettariat a-t-il aussi profité, aux côtés du récital et du concerto, à l’opéra ou à l’évolution de l’école symphonique française?
Il est sûr que les acquis « individuels » ont profité largement à la collectivité. Principalement dans la musique d’orchestre, dont les membres se sont tous – pendant leurs études – confronté aux concertos les plus redoutables qui étaient les seules œuvres imposées lors des concours de fin d’études. Les orchestres parisiens, en particulier, se sont vite présentés telles des armées de virtuoses capables d’affronter des partitions de plus en plus exigeantes pour chaque musicien individuellement. Les solos de vents se démultiplient, et les cuivres en particuliers prennent un nouvel essor. Caractéristique du style français, le cornet à pistons se voit de plus en plus souvent octroyé des solos particulièrement exposés. L’opéra est par nature – dans sa partie vocale – le lieu de la virtuosité, ce n’est donc pas là que se manifeste plus véritablement les développements de la technicité. A dire vrai, l’opéra italien – copiant la manière « di forza » française laisse de moins en moins de place à la virtuosité d’agilité, comme en témoigne par exemple Aïda de Verdi ou les œuvres de Puccini. Les chœurs gagnent peu à peu en tessitures aiguës et en complications rythmiques, mais c’est surtout les interventions d’orchestre originales qui signent cette expansion tout azimut de la virtuosité : on place à distance égale des solos propres à surprendre et éblouir, comme le cor anglais dans Anacréon de Cherubini, la guitare dans Les Abencérages du même auteur, la trompette à clefs dans Ipsiboé de Kreutzer, la viole d’amour dans La Fête au village de Schneitzhoeffer, la clarinette basse dans Les Huguenots de Meyerbeer…
Un certain chant de force…
Enfin, le festival promet de nouvelles découvertes et révélations voire réévaluations fécondes dans son ensemble… Y a t il cependant des volets de la programmation auxquels vous tenez particulièrement (œuvres, compositeurs, confrontations…) et qui seraient en quelque sorte les temps forts du prochain festival d’octobre et de novembre prochains?
Il faudrait tout citer. Mais peut-être dois-je mentionner d’abord le récital de Véronique Gens avec Les Talens Lyriques (anticipé ou repris à Aix, Lucerne, Metz, Paris) qui met en évidence l’autre virtuosité du chant français : non pas la pyrotechnie des vocalises mais la noblesse du « chant de force », moins directement « vertigineux » mais qui est l’une des facettes primordiales de la spécificité de l’opéra français… celle que Wagner et Verdi ont fantasmé avant de l’appliquer dans leurs ouvrages tardifs. L’autre concert à ne pas manquer est celui justement intitulé « Un nouveau commerce de la virtuosité », donné à Versailles, Mantoue et Venise par I Virtuosi delle muse avec Roberta Invernizzi : un choix de pièces des années 1780-1800 mettant en avant le goût pour la symphonie concertante et, en général, la démultiplication des instruments solistes dans les textures orchestrales. L’ouverture de l’opéra-comique de Devienne, Les Comédiens ambulants, par exemple, est à ce titre spectaculaire. De même que le si bien nommé « Concerto concertant » de Rigel pour violon solo et pianoforte. Ces deux programmes donneront naturellement lieu à deux enregistrements dont nous attendons beaucoup.
Festival Virtuosités présenté à Venise par le centre de musique romantique française Palazzetto Bru Zane, du 8 octobre au 19 novembre 2011
dans le sillon de Liszt, roi des récitals, la programmation aborde
toutes les facettes du vedettariat à l’âge romantique dans toutes les
formes musicales (concerto, symphonie, chant…). Instruments et voix
redoublent alors de performances et d’effets propre à ravir le coeur des
auditeurs… l’opéra n’est pas omis et le festival s’interroge par
exemple à ce passage emblématique de « la forte chanteuse » à « la
chanteuse à roulades »… Temps forts entre autres dès le premier jour:
récital de la jeune soprano Julie Fuchs (« Vocalises », de Rossini à
Lecocq), puis « Tragédiennes » par Véronique Gens, soprano (accompagnée
par les Talens Lyriques): le 8 octobre 2011, respectivement à Venise,
Palazzetto Bru Zane à 17h, puis Scuola di San Rocco à 20h).
Réservez vos concerts !

programmes, les lieux et les offres spéciales abonnements (package
avantageux comprenant 3, 6, 12 concerts au choix sur l’ensemble de la
saison) sur le site du Palazzetto Bru Zane à Venise.
Informations et réservations au + 39 0415211005; par e-mail:
[email protected]. Par fax: + 39 0415242049 (noter le concert, le
nombre de places, la catégorie, le numéro de votre carte de crédit, sa
date d’expiration et le code CVV : 3 derniers chiffres au dos de votre
carte).