Festival de Saou (26)
Mozart et l’Allemagne
Du 28 juin au 15 juillet 2008 : Mozart et l’Allemagne
10 concerts en Drôme centrale et provençale. Saou, le seul festival (français ?) consacré à Mozart se réalise autour de thématiques : l’édition 2008 étudie « Mozart et l’Allemagne », à travers 10 concerts de chambre, symphoniques et vocaux, et à travers des partitions mozartiennes qui mènent de l’enfant (11 ans pour une Grab Musik de 1767) à l’adulte explorateur des mystères spirituels (La Flûte de 1791).
Qu’est-ce qu’on joue au Paradis ?
Le grand théologien allemand Karl Barth écrivait en 1956 : « Je dois même avouer que si jamais je devais aller au ciel, je m’informerais d’abord de Mozart, et seulement ensuite de Saint Augustin, Saint Thomas, Luther et Calvin. » Et qui « diable » a dit : « Je suis sûr qu’au Paradis les anges jouent J.S.Bach pour Dieu, mais entre eux, c’est du Mozart » ? Mais, au fait, le titre que se donne l’édition 2008 : « Mozart et l’Allemagne » ne mériterait-il pas d’abord un ? dans la formulation ? Jusqu’à ce qu’on appelle la réalisation d’une Unité allemande – justement par la Prusse-Allemagne – , que doit-on faire des distinctions internes dans la pulvérisation d’Etats, de Principautés et d’entités politico-religieuses – plusieurs centaines à la fin du XVIIIe – qui attendent qu’on les rassemble par le biais d’une langue et d’une culture ? Que faire de la distinction qui paraît de nos jours si évidente, si naturelle entre Allemagne et Autriche ? Et pourtant, Mozart est Autrichien, sujet de « l’Empire du Milieu » (qui à cette époque est aussi celui du Sud et du contact récemment encore militaire avec le monde Ottoman), dans le cadre d’une monarchie des Habsbourg qui se sait l’héritière du Saint-Empire Romain Germanique, et ne cédera tout à fait la place que par son effondrement de 1918, à la fin de la 1ère Guerre Mondiale…Alors l’Autriche deviendra un tout petit pays, à vocation neutralisée, avant que l’Anschluss des nazis l’avale et en fasse pour quelque (criminel) temps une pièce maîtresse de son dispositif de « Reich millénaire ». D’une certaine façon, ce serait un peu artificiel de considérer que Mozart se sent plus Autrichien qu’Allemand, les frontières étant d’ailleurs « osmosées » par une « langue universelle », au moins pour tout ce qui est au nord-ouest européen de Vienne. Et le caractère justement pan-européen de son enfance, et de son adolescence, par les voyages incessants que fait accomplir Leopold à son petit trésor-prodige de fils, se prolongeront grâce aux idées « trans-frontières » qui séduiront Wolfgang, notamment via la franc-maçonnerie. Et puis il y a la musique et la dramaturgie, si profondément italiennes et séductrices… Complexité des années de formation puis d’indépendance donc, pour un Mozart longtemps provincialisé malgré lui dans ce trou de campagne que demeure Salzbourg, puis devenu un homme de la capitale à Vienne, tout en continuant à admirer les ressources musiciennes plus spécifiquement allemandes de Munich et Mannheim.
Le calendrier et les contradictions
Le compositeur aura longtemps cherché sa voie, par le biais lyrique, entre une part de la modernité, qu’exprime l’italien de ses opéras « contemporains » (Les Noces, Cosi) et l’idée de créer en allemand pour les parlant-allemand (L’Enlèvement au Sérail, et La Flûte Enchantée). Quant aux voyages parisiens, surtout celui de 1778 où sa mère meurt dans la solitude , il en avait tiré une grande rancœur « anti-française » contre le symbole-Voltaire : « L’impie , le maître fourbe est crevé, autant dire comme un chien. Voilà ses gages ! », écrit-il aussitôt à Papa Leopold, d’ailleurs en en remettant dans l’orthodoxie catholique-germanique. Bien plus tard,dans la triste année 1789, son voyage au cœur de l’Allemagne Prussienne ne sera pas que roses. Comme la vie est peu simple ! Ce pourrait servir de sous-titre à Saou 2008, qui oriente ses recherches autour de cette notion « allemande » traversant en effet la vie et l’œuvre de Mozart, au milieu des passions (esthétiques, amoureuses) et des contradictions. Déroulons le calendrier…L’Orchestre Die Kölner Akademie (M.A. Willens, avec la soprano Magali Léger et le clarinettiste Eric Hoeprich) rend d’abord hommage aux musiciens de Mannheim (Stamitz, Fränzl) et à au jeune Mozart ensorcelé par Aloysia Weber et lui écrivant des airs éthérés. Puis une soirée lyrique puise des airs dans l’Enlèvement et la Flûte, offrant en prime une Grab Musik, K.42 – Wolfgang a 11 ans, et le prince-archevêque lui commande une musique de Vendredi Saint, l’enfermant une semaine pour un résultat achevé ( ça c’est l’anecdote, se non’e vero, e ben trovato !)-, avec E.Vidal, S.Droy, P.Y.Pruvot chantant au milieu de l’Orchestre Avignon Provence, tous dirigés par Jonathan Schiffman. Encore le désir d’une Allemagne fraternelle, spirituelle et ouverte sur le monde, via La Flûte, mais aussi le pré-maçonnisme de Thamos, une cantate maçonnique de 1791, et deux Fantaisies en toute émotion : Bernard Tétu conduit ses Solistes de Lyon et la soprano Ingrid Perruche ; Philippe Cassard est au piano. Et tous sont « mis en espace » par l’intuition de Jean-Claude Mathon qui, récemment disparu, continue à guider les artistes parmi les échos de quelque Ode Funèbre et depuis les rives de la sérénité que son courage lui a permis d’atteindre.
La flûte enchantée ou non
Les jeunes Atrium, lauréats du Concours de Bordeaux, ne trébucheront pas dans les Dissonances (K.465) et chercheront voix et voies, si modernistes, des deux ultimes Quatuors à cordes « prussiens », composés par Mozart en 1789. La flûte est à l’honneur, allemande et enchantée ou non, par la présence soliste et directrice de Philippe Bernold – avec le Sinfonia Varsovia -, des membres de la Philharmonie de Berlin et d’A.Ogrintchouk (quatuors et concertos d’Amadeus, Quintette de Stamitz et 1ère Symphonie de Beethoven). Question subsidiaire et lancinante : ce roseau(flûtiau), Wolfgang, tu l’aimes ou pas ? » Le Concert de l’Hostel-Dieu (F.E.Comte) interroge le sacré, chez Hasse, Zelenka, et bien sûr Mozart jeune (motets, Messe, Kyrie), avec les solistes vocaux A.Chaffanjon, D.Terrier, M.Venant. Allemagne ou non, qu’importe dans le programme de la pianiste chinoise Zhu Xiao-Mei qui joue le sublime 24e concerto(K.491), avec le Sinfonia Varsovia que guide Philippe Bernold, et aussi dans la 34e Symphonie.
In memoriam Edson Elias
Et le Festival se clôt dans l’émotion d’une autre disparition, toute récente et scandaleusement tragique. Le pianiste brésilien Edson Elias (1947-2008) devait explorer quatre sonates de 1777 et 1778, de ce Mozart qu’il jouait sous une lumière si profondément juste. Pédagogue inoubliable, tout de respect des personnalités et d’humour bienveillant devant ses grands élèves du CNSM lyonnais ou de Genève, concertiste international (comme on dit), voyageur (sa vie l’avait fait ainsi) et surtout vers l’intériorité, il illustrait sans crispation affectée, avec humour, une conception bien rare de générosité humaniste. Ce citoyen du monde musical, parti d’Amérique Latine et ancré en France après avoir cherché à Vienne les leçons de Mozart et Schubert, ne peut plus que nous adresser de grands signes affectueux, du lointain où sans doute il nous dit d’aimer une vie harmonieuse. C’est un de ses disciples, le jeune Yuneto Suenaga – lauréat du concours Teresa Llacuna 2007 – qui « reprend » le concert d’Edson Elias, y inscrivant sonates et œuvres lyriques de Wolfgang-Amadeus, et cet Adagio K.540 dont tous les mozartiens – et ceux l’écoutent fût-ce pour la 1ère fois – savent que c’est le Tombeau le plus bouleversant qu’on puisse dédier à un artiste dont on pleure le départ.
Festival Saou chante Mozart. 10 concerts à Saou, Montélimar, Valence, Chabeuil, Crest, Dieulefit, Saint-Paul-Trois-Châteaux et Suze-la-Rousse. 35 oeuvres de Mozart (1756-1791) ; et aussi Hasse, Zelenka, Stamitz et Beethoven. Entre le samedi 28 juin et le mardi 15 juillet.
Renseignements et réservations : 04 75 76 01 72 ou www.saouchantemozart.com
Illustrations: portraits de Mozart (DR)