Labeaume en musiques (07)
Du 19 juillet au 24 août 2007
C’était, ce sera…
Rochers en falaise, cours de la rivière en nocturne, bénévolat pour l’installation des sièges, et même autopliants pour spectateurs qui se préfèrent non-alignés, « atmosphère-atmosphère » bon enfant d’un tourisme d’été qui inclut bien volontiers une dimension musical du soir, sites captivants pour des concerts à la programmation très variée…Labeaume a toujours sa magie de vallée tournoyante en canyon (on aurait pu tourner là du western, naguère), et quand l’orage de canicule s’en mêle, les effets sont grandioses sur ce rebord à encaissements des Basses Cévennes, mais cela se produit plutôt une fois « les touristes partis », comme chantait Jean Ferrat à Entraigues, un peu plus au nord : « que la montagne est belle ! », mais aussi la garrigue ! Il y a 40 ans, le village lui-même n’était presque pas touristiqué, il y avait, immémorial, le pont à arches basses sur une rivière qui pouvait tout submerger, en quelques heures, pendant les crues d’automne. Le niveau de ces rivières cévenoles descendues sans traverser de zones polluantes était, lui, bien plus clair et haut jusqu’au cœur de l’été ; mais le changement climatique se lit d’aveuglante façon, ici, comme à la pointe ou sur les flancs des glaciers alpins. La plupart des maisons sont maintenant bien restaurées, les prix ont grimpé en proportion de l’étiage descendant de la rivière, et la place du Sablas, sous les platanes, demeure un des derniers et délicieux salons où l’on devise, promène (pas de pronominal, ici) et joue aux boules. C’était, un peu autrement, et c’est, et ce sera… La musique aide à cette permanence, mais aussi à l’écoulement du temps, qui se rythme du crépitement des cigales et du coassement des grenouilles (tiens, un jour, pourquoi pas Platée de Rameau, avec fond de chœur naturel ?).
Le festival est dans l’église paroissiale et à la chapelle de Chapias, sur le plateau, au théâtre de verdure, et en des lieux au nom qui fait rêver – le rocher des curés, la turlure, les anciennes carrières, la blache du père Justin -, ce n’est pas le moindre de ses charmes que son itinérance entre galets, rivière, bords de falaises, « l’insecte net qui gratte la sécheresse » et les filets ou plans d’une eau que parfois régénère une grandiose averse.
Labeaume généraliste
Généraliste, Labeaume. Et certes il y a de l’ancien-baroque, lieu géométrique de tant de festivals dans l’estival méditerranéen. Ainsi Musica Nova (6 voix, vièle à archet, organetto) itinère entre fin du Moyen-Age et Renaissance, de Machaut et Dufay en Matteo da Perugia, d’Ockeghem en Josquin des Prés, son « déplorateur ». Au cœur du baroque, mais est-ce bien le terme qui convient à ce Nouveau Testament de la musique européenne, le justement nommé Clavier Bien Tempéré de Jean-Sébastien Bach. L’interprète lance un pont Orient-Occident, puisque la pianiste Zhu Xiao-Mei – persécutée dans sa jeunesse par les diktats de la révolution culturelle (camp de travail, instrument travaillé en cachette), avait choisi il y a 22 ans de se réfugier en France, où elle est devenue une des concertistes majeures de notre époque. Spécialiste de Bach et de Schumann, de Beethoven et de Schubert (elle le joue à 4 mains avec Alexandre Tharaud), elle enseigne désormais au CNSM de Paris. Encore plus baroque-de-chez-les baroqueux, le Stradivaria de Daniel Cuiller, un ensemble de cordes « au son riche, brillant, vivant, emprunt de tendresse et de poésie » : ici « a tre violoni (D.Cuiller, Anne Chevallerau, Emmanuel Schricke), un violoncelle (Ulrike Brutt) et un continuo (Dominique Ferran), pour Allemands, Anglais et Italiens (Marini, Pachelbel, Schmelzer, Purcell). On visitera aussi les Monts du Reuil, étirement onomastique pour désigner des gars et filles de Montreuil, qui recréent avec leur science de musique ancienne une Querelle des Boufffons tout à fait originale. Et romantique ? Oui avec l’Ensemble Ricercare (un paradoxe de titre, en la matière, mais cela ne signifie-t-il pas en toutes époques le « rechercher » ?), un sextuor à cordes mené par le violoncelliste Fabrice Bihan qui explore les richesses expressives des deux Sextuors de Brahms (il n’est pas interdit de songer aux torrides langueurs très datées – mon Dieu, comme le temps passe de ce côté-là aussi ! – des Amants de Louis Malle).
La caméra de l’opéra
Nous voilà justement en 7e art, qui est un axe de la programmation 2007, en alliance avec le lyrique. Et d’abord, l’opéra-opéra : par réduction (sans orchestre) mais avec théâtralisation, le Diva Opéra de Bryan Evans (déjà ici rossinien dans le Barbier de Séville) confie à la nuit cévenole les sortilèges amoureux du Don Giovanni de Mozart. Mais aussi, dans le théâtre d’ombre du rocher des curés ( !), la projection de La Tosca, un des films d’opéras les plus inventifs (Benoît Jacquot), et en écho à la Turlure, une formation de jazz(autour du clarinettiste Jacques di Donato et du batteur Daniel Humair) qui adapte le monde de Puccini dans Et La Tosca passa.
Tout le monde sur le pont
Une autre thématique de 2007 est la danse. Le groupe Soledad, 5 instrumentistes venus du classique et fascinés par Astor Piazzolla, se sont spécialisés dans le Tango Nuevo ; plusieurs compositeurs actuels – Frédéric Devreese, le musicien préféré du grand cinéaste belge André Delvaux, Alberto Iglesias, Daniel Capelletti-. Et avez-vous regardé un « bal des éléphants serbes » ? Si comme probablement non, vous pourrez le faire sur la place du Sablas, car c’est le nom (Slonovski Bal) d’un groupe serbe évoquant « le vent parfumé des Balkans, l’épopée tzigane, le formidable brassage des cultures européennes, slaves et orientales, à la pointe du renouveau des musiques de l’est ». Enfin ce sera un thème d’Espagne : avec l’Orchestre des Pays de Savoie (Mark Foster) et le guitariste Emmanuel Rossfelder, dans Rodrigo, Turina et Evangelista. Et en création, une autre Carmen de Bizet, écrite par David Walter et dirigée par Bernard Tétu, conduisant ses Solistes de Lyon, « où la lumière se fait arène : et sans rien perdre du chef-d’œuvre, on gagne une troublante proximité. »
Information et réservation : Tél.: 04 75 39 79 86 ou http://www.labeaume-festival.org
Crédit photographique
Emmanuel Rossfelder (DR)