mardi 6 mai 2025

Festival d’Orange (84): Traviata, Cavalleria, Pagliacci Du 11 juillet au 4 août 2009

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Chorégies d’Orange
(84)
Du 11 juillet au 4 août 2009
Verdi (Traviata), Mascagni (Cavalliera), Leoncavallo (Pagliacci)


Dans la rituelle formule « sous le mur du théâtre romain d’Orange » (2 opéras, 2 concerts), on est cette année italien XIXe… avec 3 opéras (et les 2 concerts). La Traviata de Verdi, et en une seule soirée, le duo Mascagni-Leoncavallo : petite approche descriptivo-sociologique du verdisme et du vérisme.

De Lorettes en Call Girls via Camélias

Connaissez-vous les Lorettes ? Les Lionnes ? Les Biches ? Les Cocottes ? Les Camélias ? Vous avez dit aussi Call Girls ? Et au fait, vous appellerez par téléphone ? C’est daté, aux temps du Net, du Web et de la Toile-qui-dévoile-tout-tout-de-suite. Mais enfin, c’est bien de « cela » qu’il s’agit. Donc les Lorettes, c’était au siècle dernier ? Non, avant-dernier. En plein XIXe, le siècle du Romantisme, comme chacun sait. Puis du Réalisme. Puis du Symbolisme. Et pendant tout ce temps, « ils » ne pensaient qu’à « ça » ? Oui, même si en façade familiale et bourgeoise… Et « ils » le cachaient ? Bien sûr, tout autant ! Pourquoi ? Je ne sais. Parce que « ça ne se fait pas » ? Et pourquoi ça ne se fait pas ? La religion chrétienne – et spécialement la catholique, si dominante en Italie ou même en France – condamne le péché de chair, commis en adultère, hors des saints liens du mariage. Et donc encore plus fortement l’amour tarifé avec la prostituée ? Alors là, distinguons les motifs : si la chair, parfois très exigeante, ne peut être pleinement satisfaite dans le mariage, et surtout si on prend la précaution de ne pas être objet de scandale, voilà qui mérite interprétation et formes d’indulgence acquises au tribunal (par principe secret) de la Pénitence. Bref, « cela » se négocie.

« Elle était belle à faire croire un athée »

La femme, bien sûr, est la Tentatrice, on le sait depuis Eve. D’un côté, elle pousse l’homme, si influençable, à croquer les fruits de la Connaissance. De l’autre, elle l’attire contre elle, et alors là, Mon Dieu… C’est ainsi, et c’est bien par elle que le scandale arrive, non seulement dans l’ombre des maisons où « ça » se fait (chut !), mais aussi parfois quand il prend à la Tentatrice des idées sublimes, et qu’elle arrive à en contagionner le malheureux payeur pour sortir du commerce (donnant-donnant, e basta), et pourquoi pas, vivre au grand jour ce qui est devenu un amour, et le sanctifier – pourquoi pas ? – par un mariage. Malheur à eux ! La maréchaussée sociale veille, et aussi – de Là-Haut ? – la maladie qui punit, par là où on a péché. Ou d’aussi cruelle et irrémédiable façon : nous avons nommé le mal de poitrine ou phtisie, dite plus tard tuberculose. Au milieu du siècle romantique, « cela » est-il digne de faire un sujet de roman, de théâtre, voire d’opéra ? D’un certain roman, peut-être, et aux franges de la décence, évidemment. Quand en France, un auteur s’y colle, ce ne peut qu’un « fils de », et à grand succès. Un certain Alexandre Dumas-fils écrira donc « la Dame aux Camélias », qui conte l’aventure « vraie » de Marguerite Gautier, demi-mondaine mais amoureuse de (parmi ses amants de métier) Armand Duval, qui l’aime…pas assez cependant pour ne pas l’abandonner à sa mort de poitrinaire quand elle sera physiquement et socialement déchue. La Dame, arrivant à la fin de l’histoire, se fait conduire au Vaudeville, dans la loge où elle avait donné le premier rendez-vous au bel Armand : « Malgré l’ardente fièvre qui me brûlait, je me suis fait habiller ; Julie m’avait mis du rouge, sans quoi j’aurais eu l’air d’un cadavre… On m’a rapportée à moitié-morte chez moi. », raconte-t-elle dans son dernier carnet. Puis elle entre en agonie, et ne fera plus que prononcer le nom de son Armand sans noblesse du cœur. Au fait, et puisqu’on en est à la recherche d’un plus d’exactitude, et grâce à de bonnes lectures, nous recommandons chaudement aux lecteurs et spectateurs la consultation de l’Avant-Scène Opéra 51, où comme d’habitude on apprend tout sur chaque opéra, et d’où vient La Traviata. Marguerite Gautier ne fut donc autre que Marie-Alphonsine Plessis (alias Marie Duplessis), éblouissante beauté qui en fascina tant dans le Paris mondain et artiste ( Liszt dira longtemps après que c’était bien « l’incarnation la plus absolue de la femme », et il s’y connaissait, le beau Franz ; « Belle à faire croire un athée », résume ADF, Alexandre Dumas Fils, qui crut, souffrit avec elle et la transfigura par littérature), sortie d’une enfance malheureuse pour entrer dans la célébrité, mais mourir de phtisie à 23 ans.

Traviata au XVIIIe ou la bienséance

Ecrit en 1848, le roman devient théâtre en 1852, remporte un succès historique, et c’est là qu’on arrive du côté de chez Verdi, lui aussi fasciné par le destin de cette « (anti ?)héroïne moderne », et demandant à son librettiste Piave de lui bâtir une adaptation lyrique qui sera le 3e titre d’une trilogie, avec Rigoletto (d’après Hugo, 1851) et Le Trouvère (1853). Et certes il faut alors prendre des précautions, « sortir » la Dame aux Camélias d’un statut ouvertement demi-mondain, et après l’avoir rebaptisée Violetta (Valéry), sous-titrée d’infamie (La Traviata, la Dévoyée), ne pas clairement la verser au registre du commerce des sens, et en faire davantage une femme légère aux amours multiples, mais cherchant et trouvant l’Amour – trop tard- avec Alfredo Germont. Et aussi rattrapée par la maladie punitive, dès le début de l’opéra. Evidemment, nous nous étonnons encore que la « bienséance » ait obligé dans un premier temps à rétro-activer cette Traviata en la situant au XVIIIe. Et que ce pur chef-d’œuvre de Verdi, si efficace dans l’écriture musicale comme sur le plan dramaturgique, ait été accueilli à Venise très fraîchement. Tiens, comme Carmen, à Paris, un quart de siècle plus tard… En somme, deux « Traviata », même condamnées à mort et « exécutées » : « ça ne se fait pas », de montrer des « choses pareilles » à l’opéra. Il fallait qu’au moins pendant quelques mois ces vérités-là fussent rappelées, quitte à faire en quelques mois des Traviata italienne puis française des héroïnes quasi-consensuelles et universelles.

L’ombre du trio des années 50
On ne perdra donc pas de vue, sous le mur d’Orange, que l’opéra de la maturité verdienne a toujours besoin d’un coefficient d’audace dans la « représentation » (visuelle, dramaturgique, sonore) sans lequel une part de son « message » serait occultée. Et bien sûr d’une grandeur dont déjà la légende XXe nous rapporte qu’elle joignit au milieu des années 50 la Violetta de Maria Callas, la mise en scène de Lucchino Visconti et la direction de Carlo-Maria Giulini. A Orange 2009, la distribution des rôles principaux est italienne : Patrizia Ciofi (qui était déjà Violetta pour la réouverture de la Fenice vénitienne, et a chanté à Orange dans Lucia de Lammermoor), Vittorio Grigolo en Alfredo, Marzio Giossi en Germont-père. C’est un « primo-orangiste » qui conduit l’histoire dans l’espace , avec un regard neuf : Frédéric Bélier-Garcia, venu de la philosophie et du théâtre (où il écrit également, ainsi avec Emmanuel Bourdieu) et abordant le lyrique en 2005. Le Coréen Myung-Whun Chung avait été assistant de Giulini – il y a 30 ans –et il est devenu l’un des chefs les plus « internationaux » de notre époque, très concerné par l’action humanitaire, et fort Français puisqu’il est « permanent » au Philharmonique de Radio-France, son orchestre donc à Orange, qu’il dirigera pour l’un des deux concerts symphoniques : Fantastique de Berlioz, et Concerto pour violon de Tchaikovski, avec Renaud Capuçon.

Vérisme et tranche de vie
Vous avez dit verdisme ? Non, vérisme. C’est un peu l’un dans l’autre ? Oui et non. En tout cas on peut considérer que justement La Traviata annonce par son sujet et son regard sur une partie de la société (la bourgeoisie et ses marges « érotiques » : où le Père (Germont) vient rappeler au Fils Alfredo qu’il ne faut pas compromettre la réputation de la Famille –un Tout, et sacré, et bien sûr lié aux Biens de Fortune – avec une femme de mauvaise vie) que le Vrai peut faire partie de la « description » par l’Art. Ce vérisme – spécifiquement italien – s’épanouira dans les années 70 et jusqu’au début du XXe : en littérature, les romans de Verga, en musique, les œuvres de Mascagni, Leoncavallo, Puccini… On y met l’accent sur l’étude sociale des régions – le Sud de la péninsule – et surtout des classes pauvres, et on y parle (ou chante) « cru », violent. L’opéra laisse pourtant au roman la charge de critique sociale et politique. « L’artiste doit s’inspirer de la vérité ; c’est un homme et c’est pour les hommes qu’il doit écrire », spécifie le prologue de « Paillasse », où Leoncavallo ose parler d’une « tranche de vie » (squarcio di vita), ce qui n’est pas sans rejoindre les théories du naturalisme romanesque français ( et en revanche rejaillira peu sur l’opéra de l’autre côté des Alpes : la Louise de Charpentier reste assez isolée). De là un regard condescendant, voire méprisant, sur ce vérisme décidément mal élevé, vulgaire, bruyant : les « esthètes » n’aiment pas trop que la musique assume le quotidien, la contemporanéité, l’interrogation sur un meilleur des mondes ici-bas… A ce titre, le « doublé » des chefs-d’œuvre de Mascagni (Cavalleria Rusticana, 1890) et de Leoncavallo (Pagliacci, les Paillasses : traduction plus « vraie » que le singulier, 1892) souvent rassemblés – ne fût-ce que par leur caractère court d’ « en-un-acte » – et aussi à cause du mal mortifère de jalousie en Italie rurale du Sud, permet de réfléchir sur des formes extrêmes d’éloquence, et souvent décriées pour leur simplisme violent. La culture scénique généraliste de Jean-Claude Auvray, le parcours glorieux de Georges Prêtre, le « raptus » lyrique de Roberto Alagna (Canio) et la neuve éloquence d’Inva Mula (Nedda) dans Pagliacci, les aura lyriques contradictoires de Béatrice Uria- Monzon (Santuzza) et- d’encore Alagna (Turridu) dans Cavalleria donneront à s’émouvoir… Le concert dirigé par le jeune chef norvégien Elvind Gullberg Jensen ( Le National de France) sera, lui, très… russe (Rachmaninov, le 2e concerto avec Hélène Grimaud, Tchaikovski et Moussorgski).

Et puis cherchez la Dame aux Catleyas
Mais pourquoi ne pas entrer avec délectation dans ces terres de contrastes qui donnent surtout envie de révoquer les idées toutes faites ? Là où les préludes de Traviata feraient croire qu’on s’est trompé d’histoire d’amour – ne dirait-on pas Lohengrin et son Cygne barbotant sur Seine ? – , où les Lorettes et les Lionnes pouvaient se sublimer en inspiratrices, telle Aglaé Savatier, devenue Sabatier, et « La Présidente » – des dîners où elle, Flaubert, Nerval et Gautier soupaient avec Baudelaire, qui fut amoureux peut-être seulement transi et en tout cas réfrigéré mais la « plaça » dans Les Fleurs du Mal… A croire que le réel – le vérisme, la tranche de vie, et même la biographie attestée – n’est pas si simple, qu’il échange volontiers avec l’imaginaire. Qui donc au fait est plus « vraie » Dame aux Camélias, Marguerite Gautier, Marie Duplessis , Violetta Valéry ? Et plus tard du côté de chez Swann, la véritable « Dame aux Catleyas » ? Odette de Crécy, Léonie Clomesnil, Laure Hayman, Madame Swann puis de Forcheville ? Rechercher la matérialité de tout cela serait Temps Perdu, mais, Dieu merci, l’Art brouille les cartes et transfigure. Il ne sert même qu’à cela, non ?

Festival d’Orange (84) Du 11 juillet au 4 août 2009. Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Dir. Myunk-Whun Chung. Samedi 11 et mercredi 15 juillet (reports en cas de mauvais temps). 21h45. Ruggero Leoncavallo (1857-1919), Pagliacci. Pietro Mascagni ( 1863-1945) Cavalliera Rusticana. Samedi 1er août, mardi 4 août, 21h30 (reports)

Concerts symphoniques. Samedi 18 juillet, 20h45 : dir. Myung-Whun Chung (R.Capuçon soliste) : Tchaikovski, Berlioz ; lundi 3 août, 21h30 : dir.Eivind Gulberg Jensen (H.Grimaud, soliste) : Moussorgski, Tchaikovski, Rachmaninov. Information et réservation : www.choregies.com

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