Chorégies d’Orange (84)
Du 11 juillet au 4 août 2009
Verdi (Traviata), Mascagni (Cavalliera), Leoncavallo (Pagliacci)
Dans la rituelle formule « sous le mur du théâtre romain d’Orange » (2 opéras, 2 concerts), on est cette année italien XIXe… avec 3 opéras (et les 2 concerts). La Traviata de Verdi, et en une seule soirée, le duo Mascagni-Leoncavallo : petite approche descriptivo-sociologique du verdisme et du vérisme.
De Lorettes en Call Girls via Camélias

« Elle était belle à faire croire un athée »

Traviata au XVIIIe ou la bienséance

L’ombre du trio des années 50
On ne perdra donc pas de vue, sous le mur d’Orange, que l’opéra de la maturité verdienne a toujours besoin d’un coefficient d’audace dans la « représentation » (visuelle, dramaturgique, sonore) sans lequel une part de son « message » serait occultée. Et bien sûr d’une grandeur dont déjà la légende XXe nous rapporte qu’elle joignit au milieu des années 50 la Violetta de Maria Callas, la mise en scène de Lucchino Visconti et la direction de Carlo-Maria Giulini. A Orange 2009, la distribution des rôles principaux est italienne : Patrizia Ciofi (qui était déjà Violetta pour la réouverture de la Fenice vénitienne, et a chanté à Orange dans Lucia de Lammermoor), Vittorio Grigolo en Alfredo, Marzio Giossi en Germont-père. C’est un « primo-orangiste » qui conduit l’histoire dans l’espace , avec un regard neuf : Frédéric Bélier-Garcia, venu de la philosophie et du théâtre (où il écrit également, ainsi avec Emmanuel Bourdieu) et abordant le lyrique en 2005. Le Coréen Myung-Whun Chung avait été assistant de Giulini – il y a 30 ans –et il est devenu l’un des chefs les plus « internationaux » de notre époque, très concerné par l’action humanitaire, et fort Français puisqu’il est « permanent » au Philharmonique de Radio-France, son orchestre donc à Orange, qu’il dirigera pour l’un des deux concerts symphoniques : Fantastique de Berlioz, et Concerto pour violon de Tchaikovski, avec Renaud Capuçon.
Vérisme et tranche de vie
Vous avez dit verdisme ? Non, vérisme. C’est un peu l’un dans l’autre ? Oui et non. En tout cas on peut considérer que justement La Traviata annonce par son sujet et son regard sur une partie de la société (la bourgeoisie et ses marges « érotiques » : où le Père (Germont) vient rappeler au Fils Alfredo qu’il ne faut pas compromettre la réputation de la Famille –un Tout, et sacré, et bien sûr lié aux Biens de Fortune – avec une femme de mauvaise vie) que le Vrai peut faire partie de la « description » par l’Art. Ce vérisme – spécifiquement italien – s’épanouira dans les années 70 et jusqu’au début du XXe : en littérature, les romans de Verga, en musique, les œuvres de Mascagni, Leoncavallo, Puccini… On y met l’accent sur l’étude sociale des régions – le Sud de la péninsule – et surtout des classes pauvres, et on y parle (ou chante) « cru », violent. L’opéra laisse pourtant au roman la charge de critique sociale et politique. « L’artiste doit s’inspirer de la vérité ; c’est un homme et c’est pour les hommes qu’il doit écrire », spécifie le prologue de « Paillasse », où Leoncavallo ose parler d’une « tranche de vie » (squarcio di vita), ce qui n’est pas sans rejoindre les théories du naturalisme romanesque français ( et en revanche rejaillira peu sur l’opéra de l’autre côté des Alpes : la Louise de Charpentier reste assez isolée). De là un regard condescendant, voire méprisant, sur ce vérisme décidément mal élevé, vulgaire, bruyant : les « esthètes » n’aiment pas trop que la musique assume le quotidien, la contemporanéité, l’interrogation sur un meilleur des mondes ici-bas… A ce titre, le « doublé » des chefs-d’œuvre de Mascagni (Cavalleria Rusticana, 1890) et de Leoncavallo (Pagliacci, les Paillasses : traduction plus « vraie » que le singulier, 1892) souvent rassemblés – ne fût-ce que par leur caractère court d’ « en-un-acte » – et aussi à cause du mal mortifère de jalousie en Italie rurale du Sud, permet de réfléchir sur des formes extrêmes d’éloquence, et souvent décriées pour leur simplisme violent. La culture scénique généraliste de Jean-Claude Auvray, le parcours glorieux de Georges Prêtre, le « raptus » lyrique de Roberto Alagna (Canio) et la neuve éloquence d’Inva Mula (Nedda) dans Pagliacci, les aura lyriques contradictoires de Béatrice Uria- Monzon (Santuzza) et- d’encore Alagna (Turridu) dans Cavalleria donneront à s’émouvoir… Le concert dirigé par le jeune chef norvégien Elvind Gullberg Jensen ( Le National de France) sera, lui, très… russe (Rachmaninov, le 2e concerto avec Hélène Grimaud, Tchaikovski et Moussorgski).
Et puis cherchez la Dame aux Catleyas
Mais pourquoi ne pas entrer avec délectation dans ces terres de contrastes qui donnent surtout envie de révoquer les idées toutes faites ? Là où les préludes de Traviata feraient croire qu’on s’est trompé d’histoire d’amour – ne dirait-on pas Lohengrin et son Cygne barbotant sur Seine ? – , où les Lorettes et les Lionnes pouvaient se sublimer en inspiratrices, telle Aglaé Savatier, devenue Sabatier, et « La Présidente » – des dîners où elle, Flaubert, Nerval et Gautier soupaient avec Baudelaire, qui fut amoureux peut-être seulement transi et en tout cas réfrigéré mais la « plaça » dans Les Fleurs du Mal… A croire que le réel – le vérisme, la tranche de vie, et même la biographie attestée – n’est pas si simple, qu’il échange volontiers avec l’imaginaire. Qui donc au fait est plus « vraie » Dame aux Camélias, Marguerite Gautier, Marie Duplessis , Violetta Valéry ? Et plus tard du côté de chez Swann, la véritable « Dame aux Catleyas » ? Odette de Crécy, Léonie Clomesnil, Laure Hayman, Madame Swann puis de Forcheville ? Rechercher la matérialité de tout cela serait Temps Perdu, mais, Dieu merci, l’Art brouille les cartes et transfigure. Il ne sert même qu’à cela, non ?
Festival d’Orange (84) Du 11 juillet au 4 août 2009. Giuseppe Verdi (1813-1901), La Traviata. Dir. Myunk-Whun Chung. Samedi 11 et mercredi 15 juillet (reports en cas de mauvais temps). 21h45. Ruggero Leoncavallo (1857-1919), Pagliacci. Pietro Mascagni ( 1863-1945) Cavalliera Rusticana. Samedi 1er août, mardi 4 août, 21h30 (reports)
Concerts symphoniques. Samedi 18 juillet, 20h45 : dir. Myung-Whun Chung (R.Capuçon soliste) : Tchaikovski, Berlioz ; lundi 3 août, 21h30 : dir.Eivind Gulberg Jensen (H.Grimaud, soliste) : Moussorgski, Tchaikovski, Rachmaninov. Information et réservation : www.choregies.com