Du 17 juillet au 2 août 2009
Verbier, 16e édition du Tour de France cycliste. Non, pardon, pour un rien les chiffres vous embrouilleraient. 16e édition du Festival commençant le 17 juillet, c’est le Tour qui arrive là-haut le soir de sa 15e édition – pardon, étape – et s’y repose le 20, histoire d’écouter Don Giovanni à Médran. Il y a beaucoup de 7 là-dedans, et aussi le nombre de fois où Lance Armstrong (37 ans) a gagné le Tour. Les fans de numérologie arriveront bien à en déduire qu’en effet Mozart composa Don Giovanni en 1787. CQFD. Cela étant donc établi, Verbier 2009 est à nouveau une grande édition de généralisme musical, entre XVIIIe et XX e, avec 52 ( = 16×3+4) concerts.
Un voyage dans les paysages alpins
Dès le concert d’ouverture de Verbier 2009 – Le Verbier Orchestra dirigé par Charles Dutoit, 17 juillet – n’y-a-t-il pour 2009 toute une déclaration d’intention, voire d’amour … aux Alpes ? Car à côté du rêveur mais plutôt nordico-baltique Concerto pour violon de Brahms (Vadim Repin), voici un poème symphonique de Richard Strauss, assez rare et en tout cas bien plus que Zarathoustra ou Don Juan. La Symphonie alpestre fut écrite en 1915, en plein cœur de la tourmente européenne. L’orchestre y est grandiose, et retient aussi l’orgue, l’aérophone, le glockenspiel, le tamtam et même…les cloches de vaches. Musique à programme, certes, mais dans la mesure où Strauss, fort humoriste, ne n’acceptait ce concept qu’avec réticence et parce que cela motivait le public (« D’ailleurs, savez-vous ce que c’est la musique absolue ? Pas moi ! »). L’Alpestre est remplie d’événements, qui ne sont pas la duplication du réel des situations pour promeneurs, mais moments du voyage intérieur qui ne s’arrête jamais pour le wanderer sur la terre…. Et comme le raconte une jolie anecdote des répétitions de l’œuvre, quand « un violoniste laisse tomber son archet pendant un passage ppp dont il rompt le charme, R.Strauss demande négligemment : Vous avez perdu votre parapluie ? » Histoire de relativiser « la cascade, le passage périlleux, le glacier, l’orage, le crépuscule » qui jalonnent cet op.64. Au fait, pourquoi Verbier ne concevrait-il pas pour une prochaine édition tout ce qui inscrit le monde alpin – ou la montagne en général – dans la musique : les cloches de vaches résonneraient dans la 6e de Malher, Franz Liszt emmènerait à Wallenstadt , sur les pas d’Obermann en des lieux parallèles aux Années de pèlerinage et par son Album du Voyageur. A suivre et rechercher vers torrents, névés et histoire de l’art, non sans avoir noté la parution toute récente d’un passionnant « Années de pèlerinage, t.1 : La Suisse » que Philippe André consacre en musicien et psychanalyste… à Liszt (Lacan aurait aimé) dans les Alpes (Editions Aléas, www.aleas.fr).
Table de l’hôtel du Righi et cartes blanches
Donc Verbier 20009, et toujours l’attrait des Alpes, des petites gentianes bleues et des horizons poétiques. Sans doute y-a-t-il un microclimat (psychologique) de la station devenue pour deux semaines au moins haut-lieu de musique… D’une année sur l’autre, bien des artistes deviennent des habitués, et si c’était comme dans les romans du XIXe, verrait-on figurer sur le registre mondain des hôtels les noms des personnes et leurs fonctions et leurs accompagnants et d’où chacun vient et où il repart. Comme à l’Hôtel du Righi que raconta Daudet on pourrait même inventer une immense table d’hôtes avec discussions privées ou publiques …Enfin, nous sommes au début du XXIe, les comportements sont plus individualistes, les artistes probablement aussi, et les stations plus étendues. Au hasard des listes, on retrouvera tout de même des verbiériens opiniâtres. Martha Argerich, bien sûr, et qui joue trois fois, Christian Tetzlaff (trois fois, soliste et chef),Thomas Quasthoff, deux fois, de même que Yuri Bashmet, Julius Rachlin Joshua Bell, Emanuel Ax, Evgueni Kissin, Hélène Grimaud, les Frères Capuçon, Renaud et Gauthier. Si Micha Maisky, hôte cependant fondateur, ne joue qu’une fois, Lang Lang le fait en deux épisodes, dont une « carte blanche ». Le record de présence en concert paraît revenir à Jean-Yves Thibaudet, cinq fois dont une carte blanche.
Schubertiades et Russes
Au fait, qu’est-ce qu’une carte blanche ? Un espace rectangulaire – une carte à jouer ? – où l’invité en liberté répartit ses atouts, de pique à cœur, de carreau à trèfle, dames et rois, as et valets, permute d’un siècle à l’autre, d’un auteur à l’autre. Donc Lang Lang invite ses amis violonistes – les russes Vadim Repin et Valeriy Sokolov -, altiste – D.A.Carpenter -, violoncelliste – M.Maisky -, contrebassiste – Leigh Mesh – et chanteurs – Th.Quasthoff, Bryn Terfel, René Pape -, et il se lance avec eux dans les plaisirs si conviviaux de la musique de chambre. Comme une schubertiade, avec V.Repin et V.Sokolov – pour le 1er Trio de Franz dont Schumann disait : « Là toute la misère du monde s’évanouit par enchantement, le monde apparaît de nouveau paré de toute sa radieuse fraîcheur. » Puis à six – dont trois Russes – dans le Sextuor, bien moins connu, de Glinka, le Père de la musique russe : à l’inverse du Trio Pathétique, quasi désespéré, cet alliage de 1832 mêle élégante écriture, écho populaires et contrepoint savant. Puis l’exubérant pianiste chinois accompagnera « ses » trois chanteurs en un dialogue de mélodies et chants populaires « tour à tour graves ou enjoués ». Dans un identique exercice de créativité partagée, Jean-Yves Thibaudet convoque le Verbier Festival Chamber pour interpréter sous la direction de G.Takacs-Nagy et avec Joshua Bell un rare Mendelssohn, son « double concerto » pour violon et piano. Puis il s’(nous) amuse et s’(nous) émeut à conter en compagnie de la récitante Marthe Keller les aventures de Babar telles que Francis Poulenc les tira de la forêt africaine et des sagas éléphantines. Enfin en compagnie des frères Capuçon, de l’altiste Julian Rachlin et du violoniste Boris Kuschnir, il redécouvre les leçons du Quintette de Franck, l’une des plus nobles et passionnées inspirations – en structure de composition cyclique – de toute la littérature post-romantique.
Les 3 B
Le domaine général de Verbier demeure en somme balisé entre le milieu du XVIIIe et celui du XXe, sauf incursions furtives hors territoires. En zoomant sur les dates, on pourrait parfois croire à une « extension du domaine de la lutte », dirait Houellebecq s’émerveillant de la « possibilité d’une île » baroqueuse en plein océan classico-romantique…des alpages : oui, puisque voici apparaître l’icône à l’Eglise, le contre-ténor Philippe Jaroussky. Mais ce sera –voir plus loin – dans un récital de mélodies françaises très fin de siècle (XIXe)… Au demeurant, il y a du Vivaldi , devinez quoi, l’Eté au milieu des 3 autres Saisons, et c’est … en transcription pour .. 4 pianos, et encore du Scarlatti. Ce n’est d’ailleurs pas qu’on néglige ici le premier des 3 B, Johann-Sebastian : cette année encore, La Chaconne ( instrumentalement adaptée ), les 2e et 4e Partitas, des Sinfonias, des Sonates violon-piano, et même le 1er concerto BWV 1052, tout au clavier… du piano. Il est vrai qu’à Médran bien sûr, ce serait trop vaste pour la sonorité plus feutrée du « baroque-moderne » (donc déjà « tradition »), mais l’Eglise, mais le Chalet ? En tout cas, le 2e des 3 B est à l‘honneur : après l’intégrale en 2008 des sonates violon-piano, voici encore la 7e, et la 6e (deux fois), la 26e Sonate, et la partition maîtresse des Variations Diabelli( Stephen Kovacevic), une 1ère Symphonie, et la pas si fréquente Bien-Aimée Lointaine pour voix et piano, et le 2e de piano (avec la Grande Martha). Le plus gâté des 3 reste tout de même Brahms, dont le Verbier Orchestra (Ch.Dutoit) donne le concerto de violon (V.Repin), et dont la musique de chambre est fortement honorée : le Quintette op.34 (avec piano), les trios op 8 et.40, la sonate clarinette-piano op.120, et plus encore la somme de sagesse et de beauté , le terminal quintette avec clarinette op. 115. Au piano seul, les juvéniles 2e Sonate et les Ballades op.10, les Valses op.39, les Variations Paganini. Et du côté des voix, outre un rare Motet choral op.29/2, La Belle Maguelone, de surcroît dans une très originale formule de trio chant (Thomas Quasthoff), voix (les vers de Tieck, par le narrateur Jan Rupf) et piano (Charles Spencer).
Don Giovanni à Médran
Si Schumann est un peu délaissé – cependant les Scènes d’enfants, et la 2e Symphonie, par Kurt Masur-, sans doute en attendant son 200e anniversaire de naissance l’année prochaine, Chopin n’attend pas l’identique célébration de 2010 pour rester le « bien-aimé perpétuellement présent » : 2e et 3e Sonates, mazurkas et autres œuvres en récitals, et le 2e Concerto (Dutoit, Kissin). Les anniversariés-à-leur-place-de-calendrier sont deux en 2009. Haydn, cependant, attendra un meilleur…Matin (seule sa 6e Symphonie, en concert du…soir, et une Concertante), mais Félix ( « l’heureux ») Mendelssohn a son 2e Trio op.66, un rare Sextuor avec piano, et tout un concert (K.Masur, Yuha Wang) avec le 1er de piano, la 3e Symphonie (Ecossaise) et la 4e joyeuse « Italienne », sans oublier un op.posthume, concerto violon et piano. Les deux Franz ? Liszt a des lieder, un fragment italien de sa 2e Année de pèlerinage, et les hyper-romantiques Préludes à l’orchestre. Schubert, que ses contemporains laissèrent dans une telle ombre ( sauf les amis des Schubertiades et les connaisseurs-découvreurs) est comme d’habitude en pleine lumière de cette montagne qu’il eût sans doute tant aimée . Au piano soliste, les Moments Musicaux, un allegretto, des Klavierstücke ; en chambre, le 1er Trio, la Sonate Arpeggione, le Quintette de la Truite (vif-argent dans les torrents de Verbier), le tragique , Quintette à cordes. La 4e Symphonie, qui porte ce même sous-titre, alors qu’elle est plus sérieuse-beethovénienne. Et outre des lieder isolés, un cycle capital , La Belle Meunière (Thomas Quasthoff, Emanuel Ax), où l’amant heureux puis malheureux conte sa plainte aux torrents de la vallée, écoutez en l’écho vers Sembrancher . Et notre Wolfgang, inoublié comme toujours sur les hauteurs ? La 35e Symphonie (Hafner), le 3e concerto de violon(K316), des oeuvres religieuses (Vêpres, K.321et 339), et surtout…un opéra, et quel ! Don Giovanni, en version de concert évidemment, avec le Verbier Orchestra et le Collegiate Chorale sous la direction de Manfred Honeck. Susann Graham est Elvira, Edita Gruberova Anna, Sylvia Schwarz Zerline, Bryn Terfel Don Giovanni, René Pape Leporello, Matthew Polenzanio Ottavio, Thomas Quasthoff le Commandeur, Robert Gleadow Masetto. La gloire lyrique à Médran !
Vieille et Jeune France
Ecoles nationales comme on dit dans les histoires de la musique ? La Russie est en honneur : le 1er de Tchaikovski et son immense Trio à la mémoire de Rubinstein, la 10e de Chostakovitch et l’op.40 (voloncelle-piano), Rachmaninov en sonate, Moussorgski en Exposition, Prokofiev aussi, et Stravinski (Petrouchka), avec une incursion dans le plus proche, le Trio de Schnittke. Et la France , de façon parfois inattendue : comme ces mélodies chantées par P.Jaroussky (Jérôme Ducros au piano), rien que de « l’heure exquise » comme chez Reynaldo Hahn, et aussi Massenet, Chausson, Fauré ou Cécile Chaminade. Sans oublier le récital S.Graham-M.Martineau : des raretés chez Chabrier, Rosenthal, Bizet, Franck, Duparc, Ravel, Caplet…Un brin de Saint-Saëns, du Debussy, du Ravel, du Milhaud. Fauré dans son Requiem, si intime devant la vie et la mort, si ardent avec son 1er Quatuor cordes et piano op.15, Fauré sublime dans son Quatuor op.121, du fond de la vieillesse isolée, à quoi font écho dans le même beau et logique programme (Quatuor Ebène) les jeunes et séducteurs Quatuors debussyste et ravélien. On n’en goûtera que mieux l’ambitieuse « œuvre d’art totale » de la Turangalila couronnant la carrière symphoniste et synesthésiste de Messiaen (le Verbier Orchestra dirigé par C.Dutoit, avec J.Y.Thibaudet, E.Kissin et l’ondiste V.Hartmann-Claverie). Et la rigueur intériorisée de la Sonate pour pîano de Henri Dutilleux (par C.Neuburger). Il est vrai aussi que du côté du bel aujourd’hui, la timidité des hauteurs ne permet guère davantage que des promenades fort sécurisées chez des compositeurs pas trop à risques, encore que valeureux, et de générations fort diverses, tels le Letton Peteris Vasks, le Roumain Tiberiu Olah, le Russe Rodion Shchedrine ou l’Azerbaidjanaise Franghiz Ali-Zade (qui œuvre fortement pour la paix dans lemonde)et dont une version pour violon et piano préparé de Habil-Sajahi sera donnée » en création mondiale, ou les interprètes-compositeurs comme la jeune Russe Lera Auerbach. Entre ceux-là et les modernes de…naguère, on va de Martinu en Bartok, Ives et Britten, avec bonheur bien sûr. Et on se laisse guider par les chefs illustres modelant ces jeunes du Verbier Orchestra, leur enseignant l’art de vivre en communauté dans les grandes partitions : Kurt Masur, Charles Dutoit, Yuri Temirkanov, Manfred Honeck, et les primo-verbiérains Gabor Takacs-Nagy ou Jean-Christophe Spinosi sans Philippe Jarrousky et dans Mozart et Fauré….
16e édition du Festival de Verbier, du 17 juillet au 2 août 2009, 52 concerts. Information et réservation : T. 41 (0) 848 771 882 ; www.verbierfestival.com