mardi 6 mai 2025

Festival d’Ambronay 2011 (01). Le 2 octobre 2011. J.S.Bach : Messe en si. Académie Baroque d’Ambronay, dir. Sigiswald Kuijken

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18 ans d’existence pour une Académie Baroque Européenne qui est devenue l’un des piliers de l’architecture à Ambronay… « Etape importante dans l’évolution des jeunes artistes européens en début de carrières », elle est confiée pour le concert de clôture du Festival à Sigiswald Kuijken, qui la dirige dans J.S.Bach ( thème-compositeur dominant de l’édition 2011) : ce monument qu’est la Messe en si trouve ainsi une jeune et émouvante lumière.


Tout s’imprime, tout s’efface

Festival d’Ambronay, 2011,(« La Passion Bach »), et dernier jour (dimanche) de la 4e (et dernière) semaine, en un octobre aux allures de septembre (ou de juillet tel qu’il aurait dû être). Doux, presque chaud, et surtout nulle brise en cette fin d’après-midi bleue et dorée où le temps paraît figé en sa contemplation. En cette terre épargnée par les convulsions du monde et même, cette année, les classiques tourbillons de l’automne arrivant, on songe aux ineffables douceurs du Pur Amour si poétiquement décrit par Fénelon, « une paix et une souplesse infinie de l’âme pour se laisser mouvoir à toutes les impressions de la grâce ». Il fait, oui, un temps fénelonien, et on peut y penser aussi parce que le mystique écrivain du XVIIe dit de cette âme : « Elle reçoit sans altération toutes les images des divers objets, et elle n’en garde aucune. Dieu y imprime son image et celle de tous les objets qu’il veut y imprimer. Tout s’imprime, tout s’efface. L’âme est comme un métal fondu par le feu de l’amour. Elle prend et quitte toutes les formes qu’il plaît à l’ouvrier. »…

Ne pas infliger des modèles

Le dernier concert, offrant à ses musiciens la clôture et l’apothéose, n’est pas celui d’un ensemble célébrissime qui tirerait son feu d’artifice(s) et sa révérence. C’est celui, fort abouti, d’une « expérience » par des jeunes interprètes (de très haut niveau déjà, évidemment), cette Académie Baroque Européenne qu’Ambronay forme et envoie ensuite de par le monde pour en prodiguer le savoir et l’inspiration. Et ces jeunes sont sous la tutelle d’un « aîné » prestigieux : là commence l’alchimie –souvent mystérieuse, et captivante – d’une pédagogie qui pour être authentique ne doit pas infliger des modèles mais proposer de grandes lignes et courbes directrices, en somme, « imprimer dans l’âme »… Ce que les spectateurs d’ici – et d’ailleurs : il y aura eu dix autres occurrences de ce concert donné aussi en Italie (et préparé dans un séjour à Pavie), Portugal, Belgique et France –reçoivent, c’est la confluence des idées d’un Maître et de leur mise en œuvre, sans doute encore moins parfaite qu’on ne pourrait l’avoir plus tard, mais si frémissante…

Maximalisme minimaliste ?

Voici donc « Une » Messe en si où J.S.Bach s’entend aussi, par delà les montagnes du Bugey et le grand ciel bleu où il siège sûrement (ou alors c’est à désespérer de tout ce qu’il a chanté), « réduit » en dimensions vocales. On sait que c’est théorie et réalisation du Maître belge Sigiswald Kuijken : au lieu de ces groupes compacts, im(et parfois ex ?)pressionnants, qui furent longtemps la Loi et les Prophètes en matière d’interprétation pour Bach, une miniaturisation instrumentale mais surtout chorale. S.Kuijken part du principe qu’on peut se contenter « d’un chanteur par partie, donc de confier à ces chanteurs en nombre très réduit tant les airs et récitatifs que les ensembles (cori) ». Au moment où il a commencé cette aventure, il y a 12 ans – jusqu’alors il avait joué le jeu avec chœur « multiple » -, le musicologue (et chef) américain Joshua Rifkin travaillait depuis longtemps selon ce principe, sans d’ailleurs convaincre la communauté des baroqueux, qui depuis s’est plutôt majoritairement maintenue dans l’optique de la tradition. Désormais, et en particulier avec sa Petite Bande, S.Kuijken agit « en Bach » avec ces principes nouveaux ; mais il n’est pas facile pour des jeunes, fussent-ils déjà aguerris, de « porter » cela tout au long d’un univers comme celui de la Messe. Donc, à côté de leurs 24 collègues instrumentistes, voici tout de même 13 chanteurs (4 sopranos, 3 altos – féminins, masculin), 3 ténors, 3 barytons) pour « solister » et « choriser ». Et nous ne sommes plus ainsi devant un opéra sacré de solistes-et-chœurs : S.Kuijken, pour ne pas « épuiser » ses chanteurs, a dédoublé, divisé, additionné, soustrait les 13 en les répartissant selon les lois du Jeu de Go, des échecs, du hasard numérologique et de quelque Somme de Fibonacci, qui sait, mais les spectateurs ne sont pas censés s’interroger sur cela. Dispensé de palmarès, on est obligé… à ne pas s’obliger de chercher dans la liste qui chante quoi et quand, et on se reporte donc à la notion, si vivante ici, de collectif.

Trouver le sens spirituel de l’oeuvre

L’individualité solipsiste, dirait le philosophe, recule d’autant mieux que l’exemple vient…de haut : S.Kuijken, violoniste et chef, ne joue sur nulle estrade au centre du dispositif. Il est là, en une sorte de réserve, au bord du territoire, aussi intensément présent dans l’intériorité que spectaculairement absent de toute vanité. Pas père noble pour un thaler, plutôt très grand frère d’ailleurs sans aucune familiarité, d’une bienveillance un peu austère qu’on devine en arrière-plan de l’exigence incessante…. On saisit bien les lignes de force d’une interprétation qu’il a voulue très habitée. Souvent tendue à l’extrême de l’aisément jouable par cuivres et bois, et d’une façon générale – instrumentistes et chanteurs – moins à l’aise dans la 1ère partie de la Messe, et surtout dans la longue « abstraction » du Kyrie tripartite….

Mais les éclaircies viennent, notamment dans les « chœurs » du Gloria, tout spécialement le Cum Sancto Spiritu, superbe d’allant pulsé, d’ampleur et de générosité. Dès lors, et en particulier dans la totalité du « récit » haletant que constituent les versets du Symbole de Nicée (Credo), la proclamation théologique s’ombre et s’enlumine comme une Passion, en profondeur, émotion et jubilation. Le Credo des Ambronaysiens, d’emblée lancé aux quatre vents de l’univers, avait montré qu’altitude et rythme étaient désormais non cherchés, mais trouvés. Question de lumière, et cela n’étonne point en tel lieu, en tel jour, sous de tels auspices. Et cette lumière- on en revient à l’intuition musicologiquement peu démontrable des rifkinistes et kuijkenistes – ne circule-t-elle pas plus librement parmi ces instruments « anciens », entre ces voix neuves, enthousiastes, peut-être et légitimement intimidées mais décidées à pénétrer le sens spirituel de l’œuvre ? La gravité parfois terrible de Rembrandt, l’émotionnelle intimité de La Tour, mais, grâce à cette clairière vocale, des transparences bleues et roses où circule, parmi objets et êtres, la poésie de Vermeer….

Ambronay (01). Abbatiale, le 2 octobre 2011. J.S.Bach, Messe en si. Instrumentistes et chanteurs de l’Académie Baroque Européenne, direction Sigiswald Kuijken.

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