samedi 26 avril 2025

Festival 38èmes Rugissants. 19 ème édition: « Orient(s) ». Grenoble, du 20 novembre au 1er décembre 2007

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Festival 38èmes Rugissants

19 ème édition:
« Orient(s) ».
Grenoble, du 20 novembre au 1er décembre 2007

Dix jours très intensifs, 25 spectacles, 9 créations : la 19e édition des 38èmes Rugissants de Grenoble propose, en pleins jours d’avare lumière pré-hivernale, un voyage sonore de musiques actuelles, intemporelles et universelles où l’Orient et l’Occident dialoguent entre tradition, électronique et composition contemporaine.

Confortablement sur le Divan
Qu’est-ce qui donc rugit en décembre dans la capitale des Allobroges ? Un lion ? Cet animal réputé paresseux, roi de la création, est prompt à se faire servir. Ces 38es Rugissants signifient-ils que le lion s’exprime pour la 38 ème fois ? Torpilleur touché : c’est la 19e fois, donc la moitié de 38…Trêve d’astuces plus ou moins fines et spontanéistes : les 38es , ce sont les plaques minéralogiques de l’Isère, et les Rugissants le sont par allusion aux tempêtes qui hurlent sur certains parallèles sud-glaciaux. Ce festival des « nouvelles musiques » est en tout cas depuis ses origines centré sur les rapports de l’Occident et des « autres mondes », mais aussi des musiques savantes et de celles qui le sont …autrement ou ailleurs. Chaque édition a sa thématique, et celle de 2007 célèbre les Orients, sous l’invocation d’une belle phrase à méditer du poète Rûmi : « Le clair de lune pénètre dans la pièce à la mesure de l’ouverture, même si sa lumière se répand partout de l’orient à l’occident. » L’éditorial de Benoît Thiberghien insiste, dans le contexte géopolitique de confrontation actuelle, sur les bienfaits d’un passage collectif au « Divan occidental-oriental », comme le vantait Goethe, et les méfaits d’un « choc des civilisations » à la Huttington et autres va-t-en-guerre de la busherie internationale… : « cela oscille entre fascination et rejet, attirance et incompréhension. Une confrontation qui réveille trop souvent aujourd’hui, de chaque côté, une pensée réductrice de l’autre nourrie de peurs et de fantasmes, faisant le lit des intégrismes. » D’où le passage à des travaux pratiques esthétiques: « comment des artistes occidentaux et orientaux investissent-ils l’espace de la rencontre, du croisement des valeurs et des esthétiques entre ces cultures, ces deux mondes ? »

Gilgamesh voyage au pays des morts
Cette édition a choisi d’aller « vers les Orients du Maghreb au Mashrek, et de puiser tantôt dans la tradition, tantôt dans l’écriture contemporaine ou technologique, tantôt les deux. » Et comme dans tout vrai festival –donc ne se contentant pas de jouer au « garage culturel », si bien référencé soit-il – la part inventive est déterminante, avec ses 9 créations ( certaines données 2 fois). Suivons le guide… Au début était non pas le Chaos de la Création biblique mais le vide rempli par les premières écritures humaines, et en Mésopotamie, dans la langue akkadienne, « un texte d’une force et d’un souffle prodigieux, l’épopée de Gilgamesh ». Chose admirable, cette épopée initiale de l’histoire humaine ne conte pas les exploits guerriers d’un roi, mais son aventureux voyage au pays funèbre pour retrouver son ami Enkidou, qui a contracté « la maladie de la mort »…au contact de la civilisation. Le récit a enchanté le compositeur Gérard Zinsstag (un Helvète qui a travaillé avec Lachenmann et à l’IRCAM) : 4 instrumentistes (harpe, clarinette, saxo, contrebasse : ensemble Pléïade, dir. Jean-Paul Odiau), 4 percussionnistes, un échantillonneur-synthé pour faire vent, vagues, pluie et foudre, une femme qui conte la magie de l’histoire (la récitante Marianne Pichon)… »Après le silence », de Gilles Mardirossian, entraîne le voyageur sur les pas d’un troubadour arménien, entre chant, instruments traditionnels et électronique.

Les derviches tournoient, l’âme se cherche
La mystique, elle apparaît quand donc ? Certains diront : quand, les dieux (et à plus forte raison, un seul Dieu) ont été inventés, on ne se contente alors plus d’une relation « officielle », capturée par le collège des prêtres et desservants institutionnels, et on cherche la voie directe du sentiment exacerbé. Ainsi en alla-t-il pour un Islam d’ardeur dans le dialogue avec la divinité, là où le corps lui-même non seulement n’était pas rejeté, mais au contraire vivement sollicité : les derviches tourneurs, si sublimes (au sens profond du terme : ils vont « au-delà des limites »), notamment dans la tradition du soufisme, continuent à inspirer les fidèles, et désormais des artistes. Le chorégraphe turc Ziya Azazi reprend cette tradition de sa culture et la mêle dans Icôns à la musique du trompettiste et électronicien français Serge Adam. Un autre musicien virtuose turc, Kudsi Erguner, instruit par son père rencontre un autre fils d’illustre (si on dit : Markus, c’est banal en allemand, mais Stock – ça s’abrévie pour les intimes et les initiés – et en ajoutant : hausen, vous aviez déjà trouvé…), et donc cela donne un « Gazing point (regard fixe sur un point) », travaillé aussi en lien avec calligraphe irakien (Hassan Massoudy). Et autre sorte d’œcuménisme oblige, un pont est bâti par la chanteuse libanaise Roula Safar et les Musiciens du Louvre (Atelier) pour relier la rive des chants sacrés ou populaires d’Orient et le répertoire occidental de Monteverdi à Berio en un Trans Baroque Express.

Le grognement du cyclope et la langue sacrée

L’urgence dramatique, voire tragique de ces mêmes terres, maintenant ? Elle est dite par d’autres créations qui font réfléchir sur le monstre-violence. Polyphem, sous le signe de l’affreux par excellence (ce Cyclope de l’Odyssée grecque, Ulysse aux mille ruses dut le liquider par mesure de salubrité publique) « parle » de l’horreur de la guerre, et c’est une installation plastique sonore (couloir, bonbonnes de gaz, beauté paradoxale entre banalité et peur) que le Libanais Zad Moultaka propose en une « quête de la vérité intérieure où les détournements de la haine sont déjoués par les processus de création ». Quant au Baghdad monologue, il fait entendre, par la composition de l’Argentin Alexandro Vinao, la voix d’une Irakienne en contrepoint avec un ordinateur. Aux frontières d’Europe, du Maghreb et du Sahara, les spectacles Maki ( sous le titre intrigant de « cinéma d’ombre ») et Azalai (« voyage imaginaire transsaharien ») mélangent chant de la tradition et composition électronique. Le célèbre et polyculturel Kronos Quartet et le Nieuw Ensemble d’Amsterdam (Joel Bons) confrontent leur science instrumentale à la création des jeunes compositeurs du Moyen-Orient. « Samamsha », de l’Iranien Keyvan Chemirani (encore un fils prodig(u)e !) et de l’Indien Prabhu Edouard (toujours un fils – spirituel- , de Ravi Shankar) tisse des liens indo-persans, sous le titre – en sanscrit, la langue sacrée et littéraire de l’Inde – d’ »héritage commun ». Ce que Chemirani contera aussi dans des « histoires tombées du ciel » de chez les juifs, les chrétiens et les musulmans. Le Bus des génies vous transportera en images d’installations multimedia itinérantes. Le duo Sissoko / El Maloumi mélange mélodies berbères et rythmes mandingues. « Les aventures du Prince Ahmed », film d’animation mythique de Lotte Reiniger (1924…) ressuscite les Mille et une Nuits. Et justement, à (mi)nuit de clôture du festival, Mutamassik ( en arabe : Ténacité, il en faut dans toutes les civilisations), seule DJ féminine des musiques électr’orientales, mixera toutes sortes de sons concrets et symboliques….

Musiques d’Orient(s), Festival des 38èmes Rugissants, Grenoble. Du mardi 20 novembre au samedi 1er décembre 2007. 25 spectacles. 9 créations (G.Mardirossian,, A.Vinao, Z.Moultaka, R.Safar, Z.Azazi, C.Zekri, K.Erguner, J.Bons, M.Kassy…). Rencontres. Animations. Cinema. Information et réservation: Tél.: 04 76 51 12 92 et www.38rugissants.com

Illustration: Antonio Tempesta, le Cyclope Polyphème (DR)

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