Entretien avec
Thierry Machuel
Aeon publie en septembre 2010, un dvd événement: « Clairvaux, Or les murs » où le travail du compositeur Thierry Machuel recueille le témoignage des prisonniers, en exprime par le chant et le verbe ciselé, ce cri silencieux qui nous parle d’humanité…
Que vous a apporté le fait d’approcher les prisonniers de Clairvaux?
C’est un bouleversement de l’être, que tout visiteur s’accorde à reconnaître, et qui change notre vision de la société, du monde aussi, parce que l’on pense à d’autres prisons, à d’autres enfermements, et que cela nous met en phase avec une humanité cachée, souterraine même, qui appartient pourtant toujours à la nôtre.
A quels témoignages avez vous été le plus réceptif?
Ceux qui nous ouvrent les yeux et l’esprit, parce que leurs mots parlent du crime autant que du pardon, de la souffrance infinie de ceux qui sont face à eux-mêmes, le cœur nu : il n’y a plus de masque social en prison, tous, ou presque, l’ont perdu, on le leur a arraché, à travers les années de procès et de vie enfermée, prise dans des rituels qu’ils n’ont pas choisis. Il y avait dans ces paroles plus de vérité qu’ailleurs.
Entre le choeur et la voix soliste, comment orientez vous l’écriture de la musique?
J’ai dès le départ expliqué aux détenus l’importance que j’accorde au texte, et dans sa forme, au « je », au « nous ». Je cherche une incarnation du texte, qui passe tant par un « Je » soliste qu’un « je » collectif, et j’utilise le « nous » dès que j’en ai l’occasion, comme un ciment entre les chanteurs d’une part, et surtout, entre les chanteurs et le public, d’autre part, c’est-à-dire que cela sert mon objectif initial d’ébranler le public pour qu’il se fasse à son tour, passeur, transmetteur de témoignage, afin que la parole des détenus voyage le plus loin et le plus longtemps possible.
Sur quels éléments forts du poème prenez vous appui? Pour vous, qu’est ce qu’un bon texte?
Le force du témoignage est la première « énergie » sur laquelle je vais m’appuyer. Dans le cas des détenus, la forme va donc passer au second plan, dans la mesure où la crudité des propos ne me semble pas pouvoir se transmettre avec un langage « policé » (!). Au-delà, dans les textes de poètes professionnels, je pense par exemple au turc Nazim Hikmet, ou à Paul Celan, le travail formel est tellement fort que, loin de « masquer » le témoignage par des artifices, il le porte encore plus loin. Mais dans le contexte carcéral, certaines associations de mots suffisent, parlent mieux qu’un long poème : « condamné à vie » en dit déjà tellement, ou ce mot impossible, « insignifiantifié »…
De l’écoute des poèmes, vous avez produit 2 cycles “Paroles contre l’oubli” puis “Nocturnes de Clairvaux…” Comment s’est réalisée la conception de ces deux ensembles?
« Nocturnes de Clairvaux » procède d’une démarche presque symphonique, avec une architecture musicale qui permette une sorte d’immersion dans la musique, et partant, dans les textes. « Paroles contre l’oubli » est une œuvre très différente, une série de 10 miniatures musicales, conçues comme des portraits sonores des auteurs des textes.
Dans tout ce projet, qu’avez vous souhaité réaliser? Quels étaient vos objectifs? Quel y est le rôle de la musique et du chant?
Faire que la parole des détenus puisse sortir des murs, être entendue ailleurs, et, par la médiation du chant choral amateur, devienne un objet de réflexion pour le grand public, dans la mesure où le chant est l’instrument le plus accessible, économiquement et socialement, et où la pratique chorale amateur est l’objet en France d’un nouvel élan depuis le début des années 90.
dvd
A Clairvaux, le compositeur Thierry Machuel recueille la parole et les
poèmes de prisonniers… Difficile de rester de marbre à l’écoute des
textes; leur réception en est grandie car au-delà des actes commis, le regard
du compositeur veut croire en l’homme, capte et souligne cette part
d’humanité qui heureusement ne s’est pas, jamais, dissipée… la pudeur
et l’ouverture accueillent ses paroles de détenus qui, s’ils sont privés
de liberté, n’en ont pas moins gardé l’esprit, coûte que coûte … (coffret 1 cd + 1 dvd Aeon)
Propos recueillis en septembre 2010.