jeudi 26 juin 2025

Entretien avec Philippe Régana, hautboïste et compositeur

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Entretien avec
Philippe Régana,
hautboïste et compositeur

De Schumann à Cowell et Hossam Mahmoud, sans omettre votre nouvelle
oeuvre dont le sujet est en résonance avec les Invalides: ppouvez-vous
nous présenter le programme du concert du 17 décembre, à l’Hôtel des
Invalides?


Pour ce programme, j’ai choisi, avec Wilhem Latchoumia et Maxime Echardour, de travailler sur la Poésie et la confrontation des cultures et des esthétiques. C’est un programme très éclaté à première vue et pourtant il réside des liens cachés entre les pièces. C’est une invitation à visiter notre monde actuel et le monde des esthétiques musicales.
Première étape, Schumann, l’Allemagne romantique, nous ouvrons là le chemin de l’homme qui cherche, qui aime, qui vit, avec tous ses états d’âme. Partons maintenant pour l’Angleterre et la mythologie, avec Britten, un être aussi sensible qui reprend les métamorphoses d’Ovide avec beaucoup de simplicité. Puis, toujours sur fond de légende, nous embarquons pour les Etats-Unis avec Cowell et les Three Irish Legends. Cowell a près 20 ans quand il écrit cette pièce et il crée un nouvel espace sonore en alliant les mélodies traditionnelles et certains matériaux du XX° siècle. Nous basculons alors vers les douceurs du Moyen-Orient, une pièce discrète et très minutieuse d’Hossam Mahmoud. C’est toute une tradition poétique du Moyen-Orient qui est esquissée dans ses pièces qui, encore une fois, réconcilie les gammes en quart de ton utilisée dans le folklore et les matériaux de notre siècle. Enfin, en hommage à l’Hôtel des Invalides, une création que j’ai voulu elle aussi très suggestive, inspirée des Coups de Canon qui sont tirés lors de certaines cérémonies. Mais une pièce surtout en hommage aux hommes qui se sont battus pour notre liberté et pour qu’aujourd’hui, nous puissions vivre en paix. Un programme donc tout en légende et en poésie pour réunir ce qui pourrait sembler épars.

De votre apprentissage au Cnsmd de Lyon jusqu’à votre récente intégration au sein de l’ensemble L’Instant Donné, comment s’est établie votre relation à la musique contemporaine, comme interprète et comme compositeur?

Enfant, j’étais déjà attiré par cette musique que je ne comprenais pas très bien mais que je trouvais très amusante avec ses sons bizarres et couleurs particulières. Ensuite, dans mon apprentissage du hautbois, je me suis toujours senti très à l’aise avec des partitions contemporaines. J’aimais cette esthétique et surtout le fait de pouvoir proposer une interprétation qui n’était a priori pas emprunte de toute une histoire. Après mon passage au Cnsmd de Lyon qui ouvre largement ses portes aux musiques contemporaines, j’ai eu la chance d’intégrer l’Ensemble Instant Donné, qui joue la musique de chambre d’aujourd’hui.
Imaginez que nous travaillons très souvent directement avec les compositeurs, nous sommes tout de suite dans le chantier de la création, dans la jubilation que l’on peut vivre à créer une œuvre, à la voir vivre pour la première fois, à découvrir son visage. Nous mettons en vie la musique que les compositeurs ont eue dans le cœur puis au bout de la « plume » ou de la « souris ». Nous leur offrons souvent la première écoute intime, aussi tendre que violente parfois. Nous participons à la naissance d’un petit monde à chaque fois.
Si nous ne jouons pas cette musique aujourd’hui, c’est toute la création de demain que nous assassinons. Qui composera si la musique n’est pas jouée ? Autant l’on peut peindre et ne pas exposer, l’œuvre est en elle-même un objet extérieur, mais écrire de la musique sans qu’elle passe par le jeu et l’écoute cela revient à écrire des traces noires sur des pages blanches, ni plus ni moins.
Je pense qu’il faut jouer cette musique, qu’il faut la porter à un public. Ecouter de la musique dans sa voiture ou en repassant sa chemise, c’est possible si c’est une musique d’ambiance. Mais la musique que nous jouons tant pour Mozart que pour Stockhausen demande à l’auditeur de s’asseoir, de se décontracter, d’être présent, attentif, d’être tout à la musique, tout comme il est tout à la littérature quand il lit un livre. C’est une démarche personnelle difficile à accomplir dans notre vie moderne et pleine de zapping.
Enfin, quand notre oreille ne comprend pas ce qu’elle entend, ce qui m’arrive aussi très souvent, la musique demande un instant de remise en question, un instant ou il faut changer l’angle de notre écoute, changer la façon dont on tend l’oreille et pour nous, interprète, la façon dont nous jouons et parfois même la façon dont nous abordons la musique. Et c’est donc, tous les jours que nous réapprenons notre instrument, que nous découvrons d’autres possibilités. C’est un chemin très riche tant personnellement que musicalement.

Pouvez-vous nous expliquer votre démarche de compositeur?

J’ai toujours aimé m’exprimer. Danser, dessiner, jouer de la musique et écrire, tant des textes que de la musique. C’était des pièces intimes, ou des pièces à partager autour de moi. J’ai toujours aimé offrir de la musique plutôt que d’offrir des fleurs. J’ai toujours écrit avec une adresse, quelqu’un, quelque chose à qui je dédiais ma musique. J’ai aussi toujours voulu garder une grande liberté dans mes compositions ; écrire seulement quand j’en ressens le besoin, le très léger sentiment que c’est « maintenant », le moment.
Ensuite, il y a la démarche esthétique. La recherche sur telle texture, sur telle matière. Je m’intéresse beaucoup à l’énergie et à l’architecture qui réside dans les pièces musicales, théâtrales, chorégraphiques… Autant, quand on voit un bâtiment, on voit les lignes, on voit les décrochages, autant en musique tout ceci se définit autrement. Le compositeur est quelque part immanquablement confronté au temps et à sa maîtrise, mais aussi à la maîtrise de ce fil d’énergie si fragile. Cette petite chose qui fait une œuvre cohérente ou moins. Ce fil d’énergie est très visible dans l’improvisation générative dont la pratique m’a beaucoup appris sur la façon de composer. On ne peut pas écrire contre la nature, contre les fonctionnements intrinsèque de notre monde. On est obligé de le comprendre et, avec beaucoup de chance et de travail, l’on peut parfois changer pour quelques secondes, la trajectoire du temps ou de l’espace qui le constitue.
Pour moi, et c’est un avis évidement très personnel et très subjectif, il existe un tempo dans tout lieu et dans toute parole, etc… C’est pour simplifier, le battement de l’espace qui nous entoure. Ce battement est parfois plus rapide, parfois plus lent.
Un jour, il arrive le moment magique ou dans l’écoute d’une pièce on se sente emporté ; c’est ce moment ou le battement de l’espace dans lequel nous sommes, le battement de notre propre existence et le battement de la musique que nous écoutons se croisent, s’allient comme si les différentes dimensions de l’espace et du temps se rejoignaient. C’est pour cela que vous pourrez réécouter cent fois le même disque, la même symphonie et que vous ne ressentirez pas les mêmes palpitations à chaque fois.
J’essaie donc de m’inspirer de cette idée pour écrire et pour interpréter les pièces. C’est un regard assez particulier que j’éprouve en temps que compositeur, interprète et chef d’orchestre aussi. Ce sont pour moi trois façons d’aborder une partition. On se pose beaucoup plus de questions sur l’écriture, la façon d’écrire, comment le musicien va comprendre et interpréter tel ou tel signe. Cette question est de plus en plus importante plus l’esthétique est précise, et l’idée du compositeur définie. Et de l’autre côté, on se demande qu’est ce que le compositeur attend de moi, que signifie pour lui ce signe, cette virgule, cet accent.
Pour moi, écrire, jouer, diriger, c’est un même monde, un même élan, mais aussi danser, ou peindre, sculpter ! C’est pour cela que je travaille des chorégraphies avec des danseurs, des textes, des mises en scène… Qu’il s’agisse d’architecture à regarder, à écouter, à lire, il est question d’appréhender, de maîtriser, de sculpter un espace, un temps, une couleur, une intention… Pour moi, les artistes utilisent la même matière première.


« Coups de Canon » vous a été comandé par la Fondation Hewlett-Packard, une nouvelle partition que vous créez lors du concert parisien des Invalides. Que comprendre de cette pièce? De quoi s’agit-il?


Cette pièce est une commande de la Fondation Hewlett Packard. Elle s’inscrit dans mon parcours musical comme une transformation poétique de mes propres questionnements, de mes doutes, de mes révoltes, de ce qui me touche.
L’expression de la brutalité, des mutilations, des tortures, d’un seul coup de canon, entraîne une multitude d’émotions. J’ai essayé de saisir un seul de ces coups, d’en dissocier les sons, de les retrouver, de les agencer… de permettre à ce coup de canon de s’ouvrir de nous laisser entrer à l’intérieur de lui-même. La pièce est articulée autour de 21 déflagrations. C’est le nombre de coups de canon tirés des Invalides lors de l’investiture des présidents de la République depuis Charles De Gaulle. Le nombre était de 101, pour les couronnements des rois de France.
J’ai choisi ce titre grandiloquent, cette référence qu’il l’est aussi, mais la teneur de ma pièce est justement tendue entre le grandiloquent et l’intime.
Elle parle du brouillard des souvenirs qui remontent, des choses confuses qui s’entremêlent, des visions opaques qu’offrent les souvenirs d’un ancien combattant, des visions et souvenirs que l’on préfère oublier et tout d’un coup, la clarté d’une image infâme, inhumaine. Cette pièce est plus un espace laissé à l’auditeur pour se plonger dans une réflexion sur la guerre qu’un manifeste partisan.

L’utilisation plurielle de la grosse caisse montre l’objet même de la pièce. Faire parler le coup de canon, entrer à l’intérieur de lui, quel effet produit-il sur nous…Tout comme la grosse caisse, le piano est un instrument résonnant, offrant justement l’espace nécessaire à l’écho, au rêve, au mélange des sons, l’espace nécessaire à la méditation. Le hautbois ici vient doucement se poser sur les résonances, jouer avec les couleurs de celles-ci, puis il se tend peu à peu. L’espace laissé à la lecture et à la voix parlée est un témoignage direct des combattant qui devient ensuite objet musical, esthétique et se fond dans le matériau sonore utilisé.

Quelles ont été les étapes importantes de votre cursus au sein du Cnsmd de LYON?

La première année, j’ai du me concentrer sur un travail presque exclusivement hautboïstique et découvrir tout un univers. Il y avait tant de disciplines proposées, tant d’activités, tant de concerts. La rencontre avec mon nouveau professeur de hautbois, Jean-Louis Capezzali, a été très difficile aussi. Un vrai choc. Et puis nous nous sommes entendus, nous avons réussi à communiquer, j’ai compris ce qu’il me demandait. Aujourd’hui, je pense que cette rencontre fut décisive dans la façon dont je joue du hautbois, et je repense souvent à tel ou tel cours où il m’a parlé de telle position, de telle interprétation… Ensuite, ça a été, ma rencontre avec la musique improvisée générative, et avec Jacques Di Donato. Je n’ai pas vraiment suivi tous les cours ni tous les séminaires, mais je pointais mon nez de temps en temps. J’avais saisi quelque chose dans cette pratique, mais j’avais besoin d’être seul pour comprendre, d’être plus observateur qu’acteur à ce moment là. C’est avec des danseurs que j’ai réussi à me mettre à l’ouvrage. Là, je dois avouer que la proximité avec le département danse au CNSMD est un atout de taille. Pour un musicien figé derrière son pupitre, bouger avec un danseur, se mouvoir avec son instrument, répondre à un geste, à un mouvement, ce fut une petite révolution. Et puis, l’Atelier XX-21, et la rencontre directe avec la musique contemporaine et les compositeurs.
A la réunion de rentrée de ma 4° année, Jean-Louis Capezzali annonce à la classe que pour les « Prix », cette année, il y aura une création avec mise en espace, lumière etc… J’ai tout de suite su que c’était pour moi une chance inouïe. Je me suis mis au travail et en à peine 3 mois j’avais mis sur pied, ma première pièce pluridisciplinaire, « la luciole éclaire son poursuivant ». Sur une base 17 petits Haïkus, j’avais voulu une suite en 3 mouvements avec lumière, danseur, mise en espace, hautbois amplifié, percussions… J’ai reçu le jour de mon « Prix » les félicitations pour cette pièce, puis je l’ai rejouée à l’Amphithéâtre de l’Opéra de Lyon et à la Biennale d’Art Contemporain. Une aventure que j’ai partagée avec des proches comme Antoine Roux-Briffaud, danseur, et Yin Hue Wang, percussion, ainsi qu’Amandine Olexa, une clarinettiste qui a suivi tous mes doutes et toutes les étapes de la préparation. Le CNSMD m’a donné la chance de pouvoir rejouer cette pièce. Quand des amis venaient me voir après les concerts avec peu de mot et les yeux un peu rouges, cela me touchait profondément.
Pendant mon cursus, j’ai aussi rencontré Wilhem Latchoumia, c’est une amitié qui s’est d’abord dévoilée, puis je lui ai écrit une suite de 7 pièces pour toy piano et danseur, « Frasques Miniatures N°4 ». C’est un artiste qui réalise maintenant une très belle carrière. Ce que j’aime le plus chez lui c’est que dès qu’il fait deux accords sur « une boîte noire », il nous ouvre un monde incroyable de couleurs. C’est un vrai plaisir que de jouer avec lui pour le concert du 17 décembre.

En quoi consiste l’aide que vous apporte la fondation HP France?

En 2006, j’ai été lauréat de la Fondation Hewlett-Packard. Cette bonne surprise m’a permis de recevoir une bourse et de pouvoir m’ouvrir certaines portes, comme celle des Invalides. La Fondation m’a apporté surtout de la confiance. Et puis un beau concert en 2006, retransmis sur Télévision Lyon Métropole, avec Wilhem Latchoumia (également Lauréat), avec qui j’ai créé « De la Terre… », une pièce pour cor anglais et piano. J’ai également joué avec le quatuor Satie, le quatuor avec hautbois de Benjamin Britten. Le soutien de la fondation est très important pour les musiciens. Elle permet à un jeune artiste de communiquer et de porter un peu plus loin un projet et des idées.

Crédit photographique: Philippe Régana (DR)

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