mercredi 7 mai 2025

Entretien avec Jay Bernfeld,directeur musical de Fuoco e Cenere

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Entretien avec Jay Bernfeld
directeur de Fuoco e Cenere

Du merveilleux en musique ou comment suivre mot par mot, note par note, la métamorphose des caractères, à l’oeuvre par exemple dans cette Dafne de Marco da Gagliano que Jay Bernfeld et les musiciens de l’ensemble qu’il a créé, Fuoco e Cenere, jouent pendant tout l’été 2007, de festivals en festivals, avant que le disque ne paraisse à l’automne 2007 chez Arion. Avec Dafne, il s’agit de célébrer les 400 ans du genre opéra, tout en dévoilant un ouvrage des origines (1609) encore méconnu du grand public. Pour ce passionné d’opéra, la musique articule la parole, le chant explicite le geste… Il rêve évidemment de diriger un jour l’Orfeo de Monteverdi, s’intéresse après Dafne, aux cantates amoureuses de Scarlatti et ne serait pas opposé à l’idée de travailler avec le metteur en scène, Laurent Pelly. Nous avons posé quatre questions à Jay Bernfeld. Entretien.

De votre point de vue, quel est le caractère le plus marquant de la Dafne de Marco da Gagliano?
Il est difficile de se limiter à un seul trait de caractère, car le sujet de La Dafne est le premier amour. Parfait miroir de l’ardeur du jeune Apollon, l’opéra est assujetti à de grands sauts d’humeur qui couvrent toute une palette, de la joie au désespoir.

Comment avez vous « restitué » la partie instrumentale?

Les instruments se divisent tout naturellement en deux groupes: les instruments mélodiques et ceux du « Basso Continuo ». Les « mélodiques » se trouvent généralement par deux, comme dans l’arche de Noé, pour les Ritournelles et les Colla Voce, doublant les sopranes dans les choeurs. Il y a une très forte tradition de faire marcher les instruments par paire. Nous avons choisi des violons, qui au début du XVII ème siècle commence à être « standard » dans une époque où très peu de choses le sont! Un de nos piliers de l’ensemble est la flûtiste Patricia Lavail. Le son ouvert et résonnant de son jeu et ses ornements tout en dentelles, ajoutent beaucoup aux petits et grands ensembles de la partition.
Plus difficile est l’orchestration des quatre instruments qui partagent la ligne du Basso Continuo. J’ai choisi réplique par réplique, la combinaison qui exprime le mieux le sens des mots ou l’affect de l’être qui chante. Dans le « Recitar Cantando », ces expériences florentines où la voix seule et l’accompagnement instrumental essaient d’approcher les gloires légendaires du théâtre grec, la parole est reine. L’accompagnateur de ces récits, tout comme le chanteur, deviennent acteurs. Chaque note, chaque accent, chaque mollesse instrumentale est inspiré et est au service du mot ou de l’idée. Le choix de l’orchestration et l’interprétation est de ce fait forcément autre pour dire « transpercer » que pour dire « aimer ». En fait, le rôle du Basso Continuo est d’accompagner les personnages dans leurs destins.

Quels seront vos prochaines réalisations lyriques ou tout au moins vocales?

Nous sommes actuellement au début d’une délicieuse aventure: « Allez, ô mes soupirs… », un cycle inédit de cantates humaines et inhumaines avec marionnettes et obstacles
La Cantate était la forme la plus représentative de l’époque baroque, or, aujourd’hui elle a à faire poids aux côtés des opéras baroques et de la musique sacrée. C’est pourtant avec la Cantate qu’un jeune compositeur comme Alessandro Scarlatti pouvait montrer tout son art et son raffinement. Deux cantates sur les paroles d' »Allez Soupirs », inspirent Scarlatti à composer lui-même une collection de 12 Cantates sur le thème de l’Amour bafoué. A son tour Francesco Durante compose 12 Duos en hommage au grand Scarlatti, basés sur les récitatifs de ces fleurons de l’art de la cantate. Plus qu’un simple enchaînement de ces cantates, je voudrais créer une forme inédite, une sorte de concert en prisme, où les mêmes paroles nous reviennent mais dans des contextes musicaux différents, utilisant airs, récits et duos comme les éléments d’un kaléidoscope.
C’est ainsi que Fuoco E Cenere s’associe au marionnettiste – metteur en scène David Lippe. De la même façon que le Basso Continuo est là pour magnifier les paroles, nous prions sur le visuel de notre spectacle pour transporter le public dans une esthétique du merveilleux, cette même esthétique qu’exprime la musique de Scarlatti. Dans notre monde où la vision parle plus que nos autres sens, le pouvoir des marionnettes, ces créatures fabuleuses mais sans voix, permettent de libérer le chant. Guillemette Laurens et Isabelle Poulenard, partenaires de longue date se joignent à nous pour cet événement. La réalisation de ce spectacle est prévue en novembre 2008 à l’Opéra de Reims et tournera au cours de la saison 2008/2009.

Quelle serait l’oeuvre que vous rêveriez un jour de produire en version scénique? Pour quelle raison?

J’ai du mal à vous donner un seul titre!! Orfeo de Monteverdi est la réponse la plus évidente mais je suis tenté par les opéras de la génération suivante, Francesco Cavalli, Mazzocchi… Mon amour de toujours pour la musique de scène me fait rêver d’entreprendre une traduction actuelle et de produire l’opérette « Ruddigore » de Gilbert and Sullivan (oeuvre foisonnant de fantômes). Mais étant plongé dans l’histoire de Daphné et Apollon, je dois dire qu’une mise en scène pouvant être donnée dans de petits théâtres, car cet opéra réclame une intimité sonore et théâtrale avec un metteur en scène possédant l’humour et le don de trouver une âme à chaque protagoniste – Laurent Pelly, par exemple!

Propos recueillis par Alexandre Pham, en juin 2007

Illustrations
Waterhouse, Dafne et Appolon
Jay Bernfeld (DR)

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