Au Pays des 1000 étangs, dans les Vosges Saônoises, le festival Musique et Mémoire poursuit son activité musicale, d’autant plus méritante en plein coeur des campagnes et des forêts parsemées de lacs et d’étangs. Depuis son début, le Festival défend un projet visionnaire de la musique, offrant une scène pour les meilleurs ensembles de musique ancienne et baroque, tout en passant commande aux compositeurs contemporains. Soutenu par classiquenews.com depuis plusieurs années, le Festival franchit un cap décisif en 2008, l’année de sa 15ème édition. L’heure est au bilan, mais aussi aux promesses d’un festival unique dont le susccès croissant permet d’entrevoir de nouveaux défis et de passionnantes réalisations. Entretien avec son concepteur, Fabrice Creux.
Quels seront les grands volets de l’édition 2008 du Festival Musique et Mémoire?
En 2008, le festival Musique et Mémoire entame un travail d’exploration des répertoires du premier baroque allemand avec une production spécifique dédiée à Michael Praetorius, un musicien-compositeur-encyclopédiste, que l’on peut considérer véritablement comme le père fondateur de la musique allemande. Cette production confiée à l’ensemble allemand Capella de la Torre, s’inscrit dans le prolongement du soutien que nous apportons à l’organiste Jean-Charles Ablitzer, autour de la redécouverte de l’œuvre d’orgue de Michael Praetorius, mais aussi avec ces prolongements à travers l’art de la transcription. Un investissement au long cours porté avec enthousiasme par Jean-Charles Ablitzer qui s’attache également à sensibiliser la communauté musicale au patrimoine sonore généré par cet immense compositeur.
Si nous évoquons la naissance du baroque allemand, nous consacrons en 2008 une part signifiante de notre projet artistique à Johann Sebastian Bach, avec notamment une sélection de Motets qui sera interprétée par le merveilleux chœur de chambre les Cris de Paris de Geoffroy Jourdain, révélé à notre public en 2007 (magnifique « Voyage en Italie »). Chiara Banchini, artiste associée du festival, prolongera cette incursion dans l’œuvre du Cantor de Leipzig en proposant l’intégrale des Sonates pour violon et clavecin obligé avec la complicité de Jörg-Andreas Bötticher. De Praetorius à Bach, l’alpha et l’oméga de la musique baroque allemande !
Nous avions largement ouvert notre projet artistique en 2007 aux musiques médiévales avec l’accueil en résidence de l’ensemble Alla Francesca (création de Hypnos linea de Philippe Schoeller / laudes et estampies de l’Italie médiévale) et le programme Compostelle, le chant de l’étoile proposée par l’ensemble de voix de femmes Discantus. En 2008, nous prolongeons cette incursion dans ces répertoires avec la création d’un programme de pièces sacrées de Gilles Binchois toujours par Discantus et qui fera l’objet d’une démarche ambitieuse d’accompagnement. Enfin, et pour compléter ce panorama musical, le flûtiste Pierre Hamon proposera son nouveau récital solo avant d’être rejoint par le chanteur Marc Mauillon et Vivabiancaluna Biffi pour un moment très étonnant consacré au premier lai de Guillaume de Machaut (l’Amoureus tourment).
Comme toujours nous parsèmerons cette programmation d’un « zest » de musique contemporaine. Pas de commande en 2008, mais une réelle présence néanmoins des écritures d’aujourd’hui (récital solo de Pierre Hamon et concert des Cris de Paris). Je réfléchis actuellement à une autre proposition avec la violoniste Chiara Banchini, qui avait imaginé en 2007 un fabuleux récital solo baroque / contemporain, sous la forme d’un programme construit sur les mêmes principes d’alternance pour une formation de musique de chambre.
En 2008, la présence des vents anciens sera également une réelle nouveauté avec deux propositions dédiées aux « hauts instruments » : la Symphonie du Marais / Musiques festives à la Cour de Louis XIV (Lully et Philidor) et le programme Praetorius évoqué précédemment avec Capella de la Torre.
Pour être complet, Le Poème harmonique, ensemble ami du festival, revient en 2008 pour interpréter en clôture (concert spécial 15ème édition) un savoureux florilège de chansons de la France d’autrefois (Aux marches du Palais). L’ouverture sera quant à elle confiée à l’ensemble 415 avec un programme en création intitulé Marie de Modène, la Reine Musicale (œuvres de Elisabeth Jacquet de la Guerre, Henry Purcell, Giovanni Battista Vitali).
Poursuivez-vous le principe des ensembles en résidence? Et quel sera l’heureux élu pour la 15 ème édition?
Deux heureux élus ! Puisque nous accueillons 2 ensembles en résidence : l’ensemble allemand spécialiste des vents anciens Capella de la Torre pour la création et l’enregistrement d’un programme Praetorius / Scheidt, puis plus tard Discantus qui se consacrera à un somptueux programme de pièces sacrées de Gilles Binchois.
En complément de ces deux résidences inscrites dans la période festivalière, nous poursuivons et amplifions nos collaborations avec l’ensemble 415 et l’organiste Jean-Charles Ablitzer, qui sont associés au festival pour plusieurs années. A noter que ces deux entités artistiques d’excellence sont ancrées en Franche-Comté, notre région d’élection. C’est important de soutenir des acteurs de la vie musicale régionale dont les projets sont en cohérence profonde avec l’identité artistique du festival.
Cette dernière démarche permet d’accompagner dans la durée des artistes porteurs de démarches fortes (productions originales, réalisations discographiques, recherches musicales, …) et d’en assurer la promotion en lien avec les acteurs de la scène baroque française et des membres du Réseau Européen de Musique Ancienne, auquel appartient le festival Musique et Mémoire depuis l’automne 2006.
Quelle place avez vous réservé à la musique contemporaine et à la création?
La musique contemporaine sera évidemment présente dans le projet artistique 2008, comme elle est d’ailleurs depuis plusieurs éditions. Le festival basant, en partie, son propos sur la confrontation des écritures anciennes et d’aujourd’hui. A ce titre, nous nous inscrivons totalement dans cet argument en forme d’interrogation de Chiara Banchini : « Pourquoi réserver les sonorités anciennes à la musique du passé ? Pourquoi cette spécialisation exclusive ? »
Au demeurant, il ne s’agit pas, à travers cette démarche, de juxtaposer de la musique baroque avec la musique d’aujourd’hui, démarche en vérité très artificielle, mais bel et bien de discerner les liens entre deux époques lointaines, d’instaurer une progression et même une unité dans le discours musical.
La « Révolution baroque » des années 60, qui s’est traduite, en particulier, par la révélation de sonorités oubliées, avec le retour, après une longue période de silence (donc d’oubli), des instruments dits anciens, offre la possibilité de réentendre les œuvres du passé dans leur contexte sonore originel. C’est essentiel pour la compréhension juste de ces musiques qui ont besoin pour « sonner » d’une matière sonore adaptée. Après quelques décennies, cet environnement sonore, véritable « liquide amniotique » des répertoires anciens, est devenu naturel à nos oreilles du XXIe siècle. C’est ainsi que des compositeurs de notre temps se voit offrir de nouveaux paysages sonores, aptes à aiguiser leur imaginaire.
En 2008, pour illustrer cette idée, nous avons demandé à Geoffroy Jourdain, directeur musical des Cris de Paris, de parsemer son programme Bach de courtes « respirations » issues de certains répertoires allemands actuels.
Par ailleurs, l’acte créatif se traduit bien évidemment par notre forte i
mplication en faveur de la redécouverte de certaines œuvres anciennes. C’est le sens véritable des résidences que nous proposons chaque été, qui permettent à des artistes et des ensembles porteurs de démarches artistiques originales, des espaces de travail, d’expérimentation et de création nécessaires tant à leur développement, qu’au renouvellement des répertoires et des pratiques. Nous amplifierons encore ces processus en 2008 avec les ensembles Capella de la Torre et Discantus.
Musiques d’hier sans cesse réinventées et musiques d’aujourd’hui s’entremêlent dans le mouvement inébranlable de la (re)création artistique. Une rencontre entre les modernités d’hier et d’aujourd’hui !
Crédit photographique
Fabrice Creux © David Tonnelier pour classiquenews.com