mardi 24 juin 2025

Entretien avec David THEODORIDES, directeur du Festival de Saintes, à propos de l’édition 2025 (direction artistique : Ophélie Gaillard)

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Quels sont les fondamentaux du nouveau Festival de Saintes ? Qu’apporte le choix d’un nouveau directeur artistique tous les deux ans ? Comment façonner chaque programmation et que vit le festivalier chaque jour pendant le Festival ? Au moment où la France subit des coupes jamais vues dans les budgets culturels, Saintes incarne bien un modèle implanté, rayonnant dans son territoire qui porte et favorise les valeurs républicaines, dernier rempart assurant encore la cohésion sociale …

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Photo : David Theodorides © Léa Parvery-Bourrasseau

 

Saintes 2025 :
27 formations différentes
pendant les 8 jours du Festival

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les axes forts de la programmation artistique 2025 ? De quelle manière avez-vous pris en compte les spécificités du site patrimonial ? et aussi l’offre des éditions antérieures ?

David THEODORIDES : Depuis 54 éditions maintenant le Festival a choisi d’être la chambre d’écho des meilleurs artistes internationaux de musique ancienne, baroque et plus largement de tous les répertoires de musique classique. Comme à notre habitude, ce sont près de 5 générations de musiciens qui croiseront le public festivalier. De Philippe Herreweghe, figure emblématique du Festival ou Jean-François Heisser qui livrera un dernier concert à la tête de l’Orchestre de Chambre Nouvelle Aquitaine, jusqu’aux artistes participant à notre démarche d’accompagnement « Place aux Jeunes », nous aurons la joie de recevoir 27 formations différentes tout au long des 8 jours de Festival. Le Concert Spirituel, Pulcinella, Gli Angeli Genève, Les Epopées, Camille Delaforge et son ensemble il Carravaggio… ils nourriront notre imaginaire musical tout au long de cette semaine.

Cette édition est donc une alchimie entre tradition et modernité, une programmation qui sait se renouveler. Avec Ophélie Gaillard, à la direction artistique pour cette édition, il s’agissait aussi d’inviter des ensembles qui n’étaient jamais venu au festival tels Le Poème Harmonique de Vincent Dumestre ou l’ensemble Thélème qui met en dialogue deux « John » : Dowland et Cage. Nous voulions également revoir des musiciens fidèles à ce festival tels Les Arts Florissants ou Stéphan Mac Leod. Nous voulions bien sûr révéler au public nos coup de cœur du moment, avec le programme Destinée de Sophie de Bardonnèche ou Vox Feminae des Kapsbergirls. L’occasion aussi de dire que la présence des femmes, interprètes et compositrice, aura constitué une attention particulière pour ce festival.

Bien sûr, l’écrin de l’Abbaye aux Dames et sa fameuse abbatiale dont l’acoustique est saluée de tous, servira d’écrin principal. Pour autant, le festival évolue dans un environnement patrimonial d’exception que nous souhaitons mettre en valeur. La Cathédrale de Saintes, l’auditorium de l’Abbaye, nos jardins accueillerons de nombreuses représentations à même de sublimer leur architecture et leur cadre patrimonial. Une seule exigence, bien sûr, que la musique en soit magnifiée. C’est la raison pour laquelle nous portons une grande attention à l’adéquation des lieux avec les œuvres qui y sont représentées.

 

CLASSIQUENEWS : Comment, selon quels critères, choisissez-vous les artistes, les ensembles, les programmes ?

DAVID THEODORIDES : Une programmation se construit comme une pièce de théâtre. Elle propose un prologue, du rire et des larmes, des heures populaires et des apartés, avant de conclure par un épilogue que l’on imagine toujours grandiose. La programmation de cette année ne déroge pas à cette règle pour laquelle seul le plaisir, la diversité et la beauté de la musique, le talent et l’inventivité de ses interprètes, nous ont guidés. Nous voulons surtout que le public puise dans cette édition toutes les raisons de parcourir avec nous les extraordinaires émotions que procurent la musique et les interprètes en concert.

Il nous fallait d’abord trouver cet équilibre entre grandes œuvres du répertoire et indispensables (re)découvertes. C’est ainsi qu’aux côtés du sublime Concerto pour violon de Mendelssohn sous l’archet volubile d’Aylen Pritchin, nous souhaitions permettre au public de découvrir l’élégante ouverture en do de sa sœur Fanny, dont la notoriété est inversement et injustement proportionnelle à son talent de compositrice.

Dans le même ordre d’idée, il nous semblait tout particulièrement intéressant d’inviter Paul Agnew à la tête des Arts Florissant pour un programme allemand autour de JS Bach, répertoire dans lequel il révèle avec talent cette musique dont l’ exigence n’a d’égale que celle des fameux interprètes de cet ensemble emblématique.

Il nous apparaissait ainsi judicieux de favoriser des approches musicales typées, colorées marquées à la fois par l’expressivité et l’engagement des artistes.

Pour autant, il nous faudrait au moins 2 éditions pour faire une place à tous les coup de cœurs et emballements que nous avons ressentis face aux propositions que nous avions sollicité des artistes. C’est à la fois frustrant et particulièrement encourageant… tant nous savons que nous avons là, en réserve de nombreux projets musicaux à partager dans l’avenir avec le public.

 

CLASSIQUENEWS : Quels sont les « événements » de cette édition 2025 et pourquoi ?

DAVID THEODORIDES : Un Festival, ce n’est pas uniquement une succession de concerts, mais aussi une ambiance caractéristique qui constitue une forme de signature ADN, un événement en tant que tel. A Saintes, nous avons toujours privilégié la proximité et la convivialité avec les artistes. Ainsi, chaque journée du festival est ponctuée de nombreux moments originaux qui forment en eux même un événement festif : des « seuls en scène » en début de matinée, ces « Bach and Breakfast » qui proposent au public de venir chaque jour découvrir un artiste qui offre au public ses pièces musicales de l’intime ; des rencontres quotidiennes avec les artistes et les festivaliers ; des invitations aux artistes à ce réunir autour du piano-bar du festival pour un bœuf improvisé en fin de journée.

Cette ambiance fera surement écho aux grands événements qui constituent cette édition. Nous en avons déjà cité quelques-uns, à l’image de ce Stabat Mater Napolitain porté par le Poème Harmonique le dimanche 13 juillet. Pour autant, si je devais retenir quelques moments phares, j’évoquerai cette belle célébration de Beethoven avec l’Orchestre des Champs Elysée qui interprèteront sa 7e symphonie. Je ne passerai pas à côté de la reprise 10 ans après sa recréation par le Concert Spirituel, de cette fabuleuse messe à 40 voix masculines de Striggio. Je serai enthousiaste à entendre le Concerto « L’empereur » de Beethoven et la Symphonie du Nouveau Monde de Dvorak sous le ciel étoilé dans les jardins de l’Abbaye et sous la baguette et le piano de Jean-François Heisser qui donnera là son dernier concert avec son orchestre.

 

CLASSIQUENEWS : Pouvez-vous nous décrire ce que serait une journée idéale pour le festivalier ? Quelle(s) expérience(s) vit-il en venant au festival ?

DAVID THEODORIDES : Le festival est un grand marathon musical avec pas moins de 4 concerts par journée et de nombreux événements qui les accompagnent. Pour autant, le rythme se veut apaisé. Si les journées démarrent dès 9h30 avec les Bach and Breakfast en entrée libre, c’est dès 11h que les premiers événements démarrent vraiment.

Et ils se suivent à 15h puis 18h et enfin 21h pour un dernier concert chaque jour. Pour autant, point n’est besoin de jeûner pour suivre le Festival. Chaque concert est suffisamment espacé pour que les spectateurs aient le temps de se rafraîchir ou se sustenter avant de replonger dans le plaisir de la musique. La vie est intense pendant le festival mais toujours digeste. La grand-voile d’ombrage dans la cour de l’Abbaye propose un havre de tranquillité où se retrouve l’équipe du festival, les artistes et le public pour se rafraîchir, se restaurer et surtout partager leurs enthousiasme et échanger ensemble. Finalement cet espace symbolise l’incroyable cousinade de 8 jours que nous organisons depuis plus de 5 décennies.

 

CLASSIQUENEWS : Avez-vous noté une évolution dans le comportement / le goût des spectateurs (en particulier depuis l’après covid…) ?

DAVID THEODORIDES : Il est vrai que nous craignions que le public ne s’éloigne après cet épisode douloureux. Nous avons décidé alors de renouveler tant la forme que le fond du Festival pour leur offrir une expérience différente, faite de diversité des programmes et des artistes invités, de novations musicales, de rythmes repensés. Cette ambiance retrouvée nous permet aujourd’hui d’accueillir le public plus nombreux qu’avant les confinements. Bien sûr, certain d’entre eux ne reviennent plus. Mais ils ont été remplacé par de nouveaux spectateurs, curieux et enthousiastes de découvertes, j’en veux pour preuve les 1500 spectateurs présents pour les concerts de plein air, ce qui était une nouveauté à Saintes. Et après une chute drastique de la fréquentation jusqu’en 2022, nous avons redressé la barre. Je crois aussi, que le fait d’avoir confié la programmation du festival à des artistes pour 2 éditions, invite à la curiosité, suscite un intérêt renouvelé et souvent beaucoup d’enthousiasme de la part de nos publics.

 

CLASSIQUENEWS : Que répondre à ceux qui doutent de l’utilité et du bien fondé d’un Festival comme le vôtre ? A ceux qui soit retirent ou réduisent leurs subventions ?

DAVID THEODORIDES : Les festivals constituent les premiers diffuseurs de spectacle, en particulier concernant la musique. Au-delà de cette exception culturelle française dont nous sommes sans doute un des ambassadeurs les plus actif, les festivals sont aujourd’hui à la croisée de nombreux enjeux de société. Nous sommes en effet des acteurs de terrain passionnés, militants et engagés partout en France, y compris dans les territoires les plus reculés. En cela, nous contribuons activement à réduire ces fractures sociales, culturelles, géographiques qui fragilisent chaque jour la cohésion républicaine. Nombreux sont en effet les Festival qui sont la dernière offre culturelle présente sur certains territoires. Les Festivals contribuent à tisser du lien social, en particulier avec les nombreux habitants de ces territoires, qu’ils soient bénévoles ou spectateurs. C’est enfin une image valorisante pour leur bassin de vie qui est portée par les festivals, loin des clichés injustes. Ils sont souvent le reflet d’une vitalité incroyable qui ne demande qu’à être activée auprès des habitants et des passionnés qui trouvent en eux une réelle source de fierté.

 

Les festivals en France,
facteurs de la cohésion républicaine

Plus prosaïquement, comment ne pas parler aussi du levier économique que les Festival représentent au sein de leur environnement local, des retombées économiques pour les habitants, des commerçants qui vivent près des festivals ? Ces retombées sont réelles et concourent au développement et à l’attractivité de nos bassins de vie. Peut on imaginer Orange, Aix, Saintes sans leur festival aujourd’hui ? La réponse est dans la question !

Le Festival de Saintes n’y échappe pas. Si le nom de la ville de Saintes est connu très largement au-delà de ses frontières naturelles, c’est aussi en raison de la présence du Festival depuis plus d’un demi-siècle.

Dans ce contexte, la baisse des subventions est dramatique pour tous. Les Festivals reposent souvent sur une économie fragile, dans lequel l’argent public est le seul moyen d’équilibrer les budgets. Réduire ce soutien condamne nombre d’entre eux à la disparition et à l’effacement progressif des territoires dans lesquels les festivals sont implantés. A l’heure où l’on parle de fracture géographique, sociale et culturelle, j’y voit un grand danger pour la cohésion de notre nation, accompagné d’un réel sentiment d’abandon en particulier dans la ruralité.

On a tous conscience du contexte financier difficile que traverse la France. Pour autant, la baisse des subventions à l’endroit des festivals risque de fragiliser toute une filière artistique, mais aussi l’environnement économique de nombreux territoires tout comme leur attractivité. Il n’est sans doute pas l’heure d’imaginer un soutien renforcé des pouvoirs publics à cet endroit, mais je crains qu’à l’image des saignées du 17e siècle, le remède soit pire que le mal et que la baisse des aides publiques n’aboutissent à l’effondrement progressif mais massif d’un modèle économique vertueux. A l’heure où l’on parle d’agilité et d’adaptation, on risque de mettre en pièce un des modèles d’organisation culturelle les plus agiles.

A Saintes, nous n’échappons pas à cette problématique, et nous l’affrontons avec rigueur et l’énergie militante de ceux qui ont la certitude de l’utilité de la culture dans les moments les plus critiques. Pour résumer mon propos, je me souvient d’avoir visité il y a quelques années un grand lieux culturel sur lequel un modeste panneau était posé à l’entrée : « La culture coûte cher ? Essayez l’ignorance ! »

Propos recueillis en juin 2025

 

 

LIRE aussi notre présentation des temps forts du FESTIVAL de SAINTES 2025 / Ophélie Gaillard, directrice artistique : https://www.classiquenews.com/festival-de-saintes-du-12-au-19-juillet-2025-pulcinella-ophelie-gaillard-les-epopees-il-caravaggio-la-sportelle-amandine-beyer-jeune-orchestre-de-labbaye-orchestre-des-champs-elyse/

 

FESTIVAL DE SAINTES, du 12 au 19 juillet 2025 : Pulcinella (Ophélie Gaillard), Les Épopées, Il Caravaggio, La Sportelle, Amandine Beyer, Jeune Orchestre de l’Abbaye, Orchestre des Champs-Élysées, Orchestre Nouvelle Aquitaine, The Rare Fruits Council, Philippe Herreweghe, Jean-François Heisser, …

 

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