Matthew Bourne aime la comédie musicale (premier acte : les gestes hystériques des serviteurs, puis des elfes ailés), voire la farce à la Chaplin ; en geste parfois mécaniques, il aime parodier le classique mais – heureusement sait s’alanguir et soudain créer de superbes images poétiques d’une pureté onirique : le premier duo Aurore et Leo son amant jardinier au II, puis au III, lorsque ce dernier poussé par son mentor vampire, court tel un Mercure galant d’une fraîcheur adolescente… pour retrouver Aurore endormie.
Aurore, sauce Twilight
Le chorégraphe britannique né en 1960 sait se renouveler ici, visiblement inspiré par l’univers enchanté et tragique de Tchaïkovski. La fin du III est une relecture assez fine : le prince jardinier se retrouve derrière la grille du domaine endormi… avant de convoler avec sa chère et tendre enfin retrouvée.
C’est une version riche et fantasque (gothique dit le marketing de couverture), très vive en vérité, souvent facétieuse (Aurore bébé ressemble à un mannequin sorti d’un film muet des années 1930), où le créateur recycle aussi des poncifs de la culture urbaine adolescente, ajoutant une pincée de références à la sauce Twilight : le jardinier devient vampire, et vampirise lui-même sa belle réveillée avant de lui faire un petit vampire à la fin.
Comme dans Le lac des Cygnes, Bourne distille aussi une franche critique de la société précieuse victorienne, engoncée dans ses atours salonards.
Au centre de cette production captée par DG, s’impose le couple amoureux Aurore et surtout le juvénile et rafraîchissant Leo (Dominic North) à la grâce aérienne d’elfe terrestre. Lui offre une contrepartie tout aussi réjouissante, son double noir, le fils Carabosse, Caradoc (qui joue aussi Carabosse elle-même au I : sombre et viril Adam Maskell). La danse d’Aurore à leurs côtés (Hannah Vassallo) est plus neutre, presque terne (c’est peut-être aussi une question d’écriture pour un rôle beaucoup moins fouillé que les autres). De toute évidence, ce sont les rôles masculins qui intéressent Matthew Bourne.
Le sens des enchaînements, de très belles trouvailles visuelles et techniques (le tapis roulant qui permet aux clans des fées d’amortir leur course), la beauté générale du spectacle qui plonge de facto dans une fantasmagorie d’un romantisme réel assurent le succès du spectacle. Plus poétique que Le lac des cygnes, mais qui comprend aussi sa scène totalement ratée, en un précipité ridicule : la fin de Caradoc, assassiné par le roi des fées Lilac, qui dans la vision de Bourne, jamais en reste d’une actualisation comique, est un vampire ailé. Pour le reste, la captation très bien réalisée ajoute à l’intérêt du ballet.
Matthew Bourne : Sleeping Beauty, a gothic romance. Le Belle au bois dormant d’après Tchaïkovski. 1 dvd Deutsche Grammophon. 2012.