Dvd de Noël
En décembre, l’heure d’un bilan dvd s’impose. Depuis le début de l’année
2007, nombreuses ont été les nouveautés éligibles,
commentées ou mises en avant dans notre mag dvd soit du fait de la tenue
interprétative soit parce qu’elles ont dévoilé une oeuvre ou un
compositeur méconnus, ou trop rares. Pour les fêtes, le temps des cadeaux est venu.
Notre sélection qui regroupe les coups de coeur de l’année écoulée,
discernés par la rédaction dvd de classiquenews.com, paraît d’autant
plus utile. Découvrez pas à pas notre top 10 des titres dvd incontournables…parmi les titres que nous avons distingués tout au long de l’année 2007… publications en
1 ou 2 dvd, mais aussi coffrets!
1. Richard Strauss: La femme sans ombre (TDK)
L’année 1992 aura été faste pour l’un des chefs-d’oeuvre absolus de
l’opéra symboliste post romantique. A quelques mois de distance, Solti
présentait sa version à l’été, dans le cadre du festival de Salzourg
(cofondé par Strauss et Hofmannsthal avec Max Reinhardt), puis
Sawalich, en novembre, dirigeait les équipes de l’Opéra de Munich… en
tournée au Japon, à Nagoya. Le propre de La Femme sans ombre
est d’être une légende philosophique en particulier humaniste. Son
action est moins narrative que symbolique. Parcours initiatique pour
l’Impératrice, le Teinturier, sa femme, à la manière de Parsifal et de La Flûte Enchantée,
l’ouvrage suit chacun des protagonistes, éprouve son humanisme, sa
capacité à évoluer, à se métamorphoser, finalement à contrôler son
égotisme en étant à l’écoute de l’autre…
2. Aubry, Carlson, Debré: Signes (Bel Air classiques)
Le compositeur remporta légitimement une Victoire de la musique en 1998 pour la bande-son.
C’est
sous le signe du geste graphique, celui du pinceau aphrodisiaque du
peintre, que s’accomplit idéalement le lyrisme de la chorégraphie, son
hymne à la vie, au souffle premier, à l’harmonie… Les toiles des sept
tableaux forment un espace sans limite et donc intensément suggestif,
où s’épanouit l’élégance dionysiaque et spirituelle des corps. Hymne à
la pureté, à la beauté tout simplement, entente jubilatoire des arts,
comme nous l’avons dit, le ballet présenté à l’Opéra Bastille (où il
fut créé le 27 mai 1997) est l’une des réalisations de danse
contemporaine, les plus éblouissantes jamais produites.
3. West Side Story (coffret Sony Bmg)
En s’associant en 1961 à Jérôme Robbins, le créateur avec Bernstein de la première de West Side Story
(septembre 1957, soit il y a 50 ans), le cinéaste Robert Wise a non
seulement eu le nez fin, produisant au final un film exceptionnel par
son esthétisme et le soin apporté au scénario (d’ailleurs couvert de
récompenses: pas moins de 10 oscars), mais il aura renouvelé
fondamentalement le genre de la comédie musicale, trouvant un ton
médian entre cinéma et opéra dont le liant final, transcendant
l’ensemble de la fresque sur grand écran vers le statut d’oeuvre d’art,
reste la musique. Les standards aujourdhui célébrissimes signés Leonard
Bernstein, de Tonight à Maria, d’America à Somewhere…, portent
l’utopie et le cynisme d’une époque…
4. Boris Godounov (TDK)
La musique de Moussorgski, sauvage, terrifiée, incandescente, se
réalise en couperets cinglants et en vagues d’un lyrisme exacerbé.
C’est à la fois l’âme d’un peuple en déroute, et le désarroi d’un
individu qui sont magistralement développés en un parallèle
spectaculaire.
D’autant que la version retenue ici, est la première,
composée par un musicien âgé de 30 ans, entre 1868 et 1869 : sept
tableaux d’une force réaliste et cynique, brutale et tragique. Ni
ballets, ni acte polonais : c’est l’illustration sans complaisance ni
artifices d’un boucher devenu Empereur, dévoré par la folie. D’emblée,
la lecture de Decker est implacable, claire. Elle met en lumière en de
nets contrastes, les mouvements de la foule, l’élan d’une nation
accablée par les traditions, et l’effondrement intérieur du Tsar Boris.
5. Der Fledermaus (La Chauve-Souris) (1972, Böhm. DG)
D’une lumineuse énergie, maniant la baguette comme un magicien
pétillant, Böhm souligne la frénésie du grand bal masqué à l’acte II
qui dans les décors du studio, devient un tableau luxueux d’une vérité
indiscutable. Rosalinde devenue Comtesse Hongroise déclarant sa flamme
patriotique au pays (Gundula Janowitz), comme le coloratoure piquant et
déluré de Renate Holm (Adèle, la fausse actrice du bal) s’en donnent à
coeur joie, maniant le délire et le comique avec tact et élégance. Le
geôlier Frosch donne à Otto Schanck l’occasion d’un double emploi:
devant la caméra, l’acteur chanteur participe à la récréation théâtrale
avec ce style emblématique des enregistrements DG des années 1970. A la
même décennie, DG « osait » reconstituer les décors de la trilogie
zürichoise de Harnoncourt…
6. L’Amour des Trois oranges (Bel Air classiques)
Conte bigarré, grotesque, bouffon mais aussi fantastique et onirique, L’Amour des trois oranges
offre ainsi une réponse à tous ceux qui souhaitent réfléchir au genre
opéra. L’activité sur la scène est continue, et la sollicitation des
chanteurs, surtout de l’orchestre, est sans interruption. Au sommet de
la pyramide des personnages tous aussi fantasques que péremptoires,
s’opposent donc le mage Chelio et la sorcière Fata Morgana. Ils jouent
aux cartes le destin du Prince hypocondriaque. Et la sorcière semble
remporter la partie. Or humiliée publiquement (par Truffaldino), elle
se venge en jetant un sort au prince gémissant: il tombera amoureux de
trois oranges. Ce n’est que le début d’une intrigue riche en
rebondissements où à la façon d’un rêve (ou d’un cauchemar), le Roi de
trêfle retouvera son autorité, démasquera les trois complices
serviteurs du Mal (Smeraldina, Léande, Clarisse). Surtout, le Prince
épousera la princesse Ninetta. Ainsi chaque conte féerique doit-il
s’achever dans l’ordre et la paix recouvrés. L’Amour des trois oranges n’échappe pas à la règle.
La
production aixoise ici filmée avait créé l’événement de l’édition 2004
du « Salzbourg français ». C’est que la distribution de jeunes
tempéraments, tous talents prometteurs de l’école du théâtre Mariinski,
dirigée par la soeur de Valery Gergiev, Larissa Gergieva, offre une
palette de caractères et d’individualités excellemment incarnés. Chacun
« défend » son rôle, quitte à en démordre… Un père aimant bouleversé
par la maladie incurable de son fils, le fils lui-même habité par le
mal qui le frappe, puis la quête des trois oranges, un mage instigateur
qui sait invoquer et affronter les forces ténébreuses (en particulier
quand il suscite Farfarello), et de l’autre côté de la scène, plusieurs
êtres parfaitement pervers, noirs, graves (Fata Morgana, le ministre
Léandre) voire hystériques (Clarisse).
7. Julie (Bel Air classiques)
Boesmans a élaboré une partition extrêmement serrée, sans dilution, aux
effets de timbres et de textures millimétrés. Le jeu des acteurs sous
la caméra de Vincent Bataillon qui reste fidèle à l’esprit d’une
représentation théâtrale, est proche de l’excellence: dense, éprouvé,
habité, avec de superbes lignes d’acteurs, qui donnent à la relation
« je te hais mais j’ai besoin de toi », toute sa déchirante contradiction.
Ailleurs
la finesse clinique de la mise en scène renforce le profil des
caractères et leur délire désespéré. Dans la fosse, Kazushi Ono qui
avait dirigé la création mondiale de l’opéra sur les planches de La
Monnaie de Bruxelles (8 mars 2005), avant Aix, se montre, quelques mois
après, d’une efficacité d’horloger: précis, net, expressif; comptable
d’une tragédie suspendue et finalement, inévitable. La partition dans
cette captation de juillet 2005 confirme le talent de Boesmans en
soulignant combien le déploiement lyrique peut transfigurer la
profondeur d’une pièce de théâtre. C’est franc, implacable, terrifiant
et mystérieux, comme un drame de Britten. Tout ce que l’on aime au
théâtre. Magistral.
8. La chute de la Maison Usher (Capriccio)
Dans une ambiance kafkaienne, aux sombres angoisses, le héros Roderick
Usher (Scott Hendricks) ne résiste pas mentalement à la malédiction qui
hante les pierres de la maison familiale où sont morts tous ses
parents, sa mère et plus récemment sa soeur, Lady Madeline. Dans cette
fresque surnaturelle et fantastique, parfaitement respectueuse des
climats de Poe, la perversité du médecin fait figure de principe
moteur. Agent du mal, l’homme à lunettes cache une action perverse qui
entend achever lentement le clan Usher jusqu’à son ultime rejeton,
Roderik. Celui-ci est terrassé et terrifié, c’est une jeune âme seule
vouée à la mort, fascinée aussi par les visions morbides qui l’habitent
sans répit.
Ici, l’innocence et la pureté sont sacrifiées sans
scrupule. On rêverait dans cette réalisation très soignée, de chanteurs
à la diction française plus agissante et articulée. Mais la violence de
la partition musicale de Debussy éprouve sans les ménager chacun des
caractères scéniques. Preuve que l’impressionnisme musical du
compositeur, transparent et flamboyant par ses multiples éclats,
diffuse un dramatisme ardent dont l’intensité est constamment
irrépressible.
9. Les Noces de Figaro, Salzbourg 2006 (Deutsche Grammophon)
L’idée d’ajouter une caméra en fond de scène ne fait que renforcer le
réalisme théâtral de la production. La diversité des plans cadrés par
Brian Large souligne ainsi le mouvement des apparitions, des
disparitions, ce jeu des entrées et des sorties, dans cet ample
escalier aux proportions froides, déchues, inhumaines. La peinture
s’écaille, feuilles mortes et corbeaux morts jonchent le sol sous une
lumière crue. Se pourait être une pièce d’Ibsen ou de Strinberg. Ce
sont aussi les éclairages désenchantés et cliniques de Bergman où
conspire l’horreur du silence, la terrifiante éloquence du non-dit. Le
tableau de l’Ancien Régime, même s’il est ici déplacé dans une maison
bourgeoise de la Vienne début de siècle, se fissure. La société
aristocratique y est bien la cible d’une ironie persistante. Mais
au-delà, c’est le masque des convenances sociales qui tombe. Tout ce
que Mozart et Da Ponte amplifieront ensuite avec Don Giovanni, quelques
mois après Le Nozze di Figaro.
Pour ces Noces incandescentes, la
distribution est à la hauteur du défi scénique et musical: aucun des
rôles ne faiblit. A ceux qui hésitent entre le dvd et le cd, aucun
doute, le complément visuel souligne la pertinence de la lecture.
Palmes spécifiques au Figaro (Ildebrando D’Archangelo est la révélation
du casting: enfin, un rival « sérieux » au Comte Almaviva), certes Bo
Skovhus n’a plus l’ampleur vocale que nous lui connaissions mais cette
usure renforce la déchéance pitoyable du personnage. Anna Netrebko,
Dorothea Röschmann, Christine Shäfer offrent une palette fascinante
d’émotivités incarnées. Les heurts et les confrontations n’en sont que
plus bouleversantes. D’ailleurs, la fin de cette Folle journée est
éloquente: chacun finit sur les genoux, éreinté par cette course
éprouvante et trouble qui fait vaciller le coeur et la raison.
10. Trilogie montéverdienne par Nikolaus Harnoncourt (Deutsche Grammophon)
La conception scénographique de Jean-Pierre Ponnelle est claire,
fluide, lisible avec de pertinentes inventions qui reliées les unes aux
autres, confèrent a posteriori, une évidente cohérence à la dramaturgie
recomposée. Si l’on ne sait pas réellement comment et où l’Orfeo
fut représenté à la Cour de Mantoue, ce 24 février 1607 (est ce
vraiment dans le salon des miroirs du Palazzo Ducale?), Ponnelle,
esthète affûté, cite Rubens et Titien, c’est à dire un monde culturel à
la croisée de la Renaissance et du Baroque, entre le XVI ème et le XVII
ème siècle, deux sources qui sont à l’origine de l’Orfeo. Il
reconstitue un théâtre clos, une sorte de grotte à trois ouvertures en
fond, à une scène principale, permettant le mouvement des personnages.
Sa compréhension unitaire de l’oeuvre éclaire la modernité de la
partition. Le metteur en scène rend lisible en particulier les passages
du monde des vivants au monde des morts, de l’Arcadie des bergers aux
enfers traversés par les spectres des défunts. Il s’agit de représenter
Orfeo comme dans son contexte d’origine : une représentation princière
flattant l’orgueil du duc de Gonzague. Pour se faire, Harnoncourt et
les musiciens de l’ensemble Monteverdi et de l’Opéra de Zürich
paraissent dans la fosse, en costumes baroques. Ce que reprendra après
lui Gilbert Deflo et Jordi Savall dans leur lecture d’Orfeo au Liceu de
Barcelone.
Dossier réalisé par la rédaction dvd de classiquenews.com, coordination: Anthony Goret © Classiquenews.com 2007