De Ravel à Takemitsu
Les Temps Modernes
Lyon, Hôtel de ville,
Vendredi 15 février 2008 à 20h30
Le groupe chambriste Les Temps Modernes – ici, 7 instrumentistes autour du clarinettiste Jean-Louis Bergerard – mêle des esthétiques du XXe, cette fois plus douces et facilement accessibles : Ravel décoratif, du Jongen (un Wallon post-franckiste), Penderecki néo-tonal, et les subtilités-poèmes du Japonais Takemitsu, « de natura ventorum »…
Esprit rude et esprit doux
A propos du groupe chambriste des Temps Modernes, nous posions en novembre la question raisonnable : comment mieux faire passer l’art contemporain, en pur-et-dur ou en mélange ? Les T.M. lyonnais – peut-être aussi parce ce que ces excellents instrumentistes expérimentent depuis longtemps l’action pédagogique, notamment au Conservatoire de Lyon – ont choisi le mélange, ce qui ne signifie pas qu’ils renient leur vocation, conjuguant Mantovani et Mozart, comme dans leur concert de novembre 2007. Le milieu de l’hiver – si clément, pour l’heure, entre Rhône et Saône, et dans une belle lumière bleu-doré sur la Cité aux deux fleuves – les voit rallier la Presqu’ïle, et la salle aux décors néo-baroques un rien chargés de l’Hôtel-de-Ville n’entendra cette fois que du XXe siècle. Sans grand écart chronologique, d’ailleurs, ni surtout esthétique, car entre Jongen et Takemitsu, Ravel et Penderecki, leur programme est cette fois esprit doux plus qu’esprit rude, comme on disait en grammaire grecque….
Ravel au salon et Jongen le Wallon
Cela commence avec un Ravel de 1905, Introduction et Allegro, décoratif et sans la fougue juvénile du Quatuor, la noble ampleur du Trio, ou les audaces grinçantes de la Sonate violon-violoncelle. C’est le principe du kaléidoscope élégant qui domine le développement, et la harpe ruisselle ou médiévalise pour la réjouissance d’Infantes très Vivantes. Mais sous la convention aimable, voire un rien salonnarde, Ravel signe et persiste, ainsi dans une Coda bien abrupte. Puis vient, un peu après la Grande Guerre, un Concert à cinq, de Joseph Jongen. Ce compositeur belge fut Prix de Rome, enseignant dans les conservatoires de Liège puis de Bruxelles (jusqu’en 1939), pianiste, organiste et chef d’orchestre. Il a beaucoup composé, surtout dans le domaine symphonique et plus encore dans la musique de chambre. Influencé par Richard Strauss – tôt rencontré -, ce dévôt de César Franck – son compatriote liégeois – n’a jamais renié ses origines post-romantiques, fussent-elles muées en classicisme et sonnant un rien désuètes aux temps de Stravinsky ou Schoenberg. Sans donner d’échos à de la musique folklorique proprement dite, il s’est attaché à citer sa Wallonie natale, dont le titre apparaît dans plusieurs de ses œuvres et pour qui il écrivit même en 1912 un hymne officiel.
Les deux vies de Penderecki
On pourrait dire que Krzystof Penderecki, du moins en tant que compositeur, aura eu deux vies. La première a été dans la modernité parfois violente, par ailleurs nourrie des tragédies de l ’Histoire- son Thrène à la mémoire des victimes d’Hiroshima, en 1961 -, et à l’école du Darmstadt de la grande époque, en un langage assez rude. La seconde semble avoir débuté au milieu des années 1960, et ce tournant symbolique a été pris avec sa Passion selon Saint Luc, où le retour au religieux se greffe sur un éloge des traditions – médiévales, romantiques -, qui fait désormais du révolutionnaire esthétique initial une personnalité au souffle généreux et lyriquement médiatique, fort aimée d’un public bien plus large que celui de l’expérimental contemporain. Son Quatuor avec clarinette est de 1994, de deux ans ultérieur à l’œuvre de Toru Takemitsu, mais paraît assez éloigné des préoccupations du compositeur japonais.
Le vent comme une aube dans la forêt
Toru Takemitsu (1930-1996), élève de Yasuji Kiyose qui en compagnie de Matsudaïra, avait tôt montré la voie vers une reprise de la musique traditionnelle du Japon sans nier l’importance et la nécessité des nouveaux langages issus des laboratoires européens du sérialisme ou des sons électroniques. A 40 ans, Takemitsu devint un ambassadeur itinérant de cette doctrine Orient-Occident, porteur d’un Requiem pour cordes, de Ring, Cor al Island, ou November Steps qui le firent connaître et aimer en Europe et aux Etats-Unis. Il meurt en 1996 sans avoir pu mener à bien l’écriture d’un Opéra qui eût sans doute synthétisé sa démarche lyrique, intense, subtile et discrète. Et c’est dans la musique de chambre que son style est encore plus reconnaissable, complètement liée à son exploration poétique de la Nature chère à l’Extrême-Orient, et fidèle à une esthétique du haï-ku, intense et bref. Arbre(s) à pluie, J’écoute le rêve de l’eau, Citations de rêves, ses œuvres sont très fréquemment une interrogation du monde et des éléments, par le biais de regards patients, minutieux, entrecoupés de silences expressifs et usant de l’imperceptible sonore. Dans « And then I knew’t was wind », la démarche, comme bien souvent chez Takemitsu , d’aller « Vers » (…La mer », c’est un autre de ses titres, hommage réitéré à l’un de ses compositeurs occidentaux fétiches, Debussy) conduit vers l’impalpable par excellence, pour essayer de « savoir ce qu’est le vent ». On songe aux rêveries de Bachelard – un philosophe français que le compositeur japonais aimait particulièrement -, dans sa méditation sur « l’air et les songes ». Chez Takemitsu, c’est bien moins le romantique « vent d’ouest » du poète anglais Shelley ou sa vision violente chez le Debussy de La Mer ou des Préludes, qu’un souffle plus léger, d’intervalles et lyrisme tendre, « comme une aube dans la forêt » selon un poème de Vaehaeren que cite Bachelard…
Les Temps Modernes : J.L.Bergerard, clarinette ; M.Lavignolles, flûte ; S.Bellanger, harpe ; C.Bernard et C.Fleury, violon ; M.A.Hovasse, alto ; L.Dedreuil, violoncelle. Vendredi 15 février, 20h30. Salons de l’Hôtel de Ville, Lyon. Maurice Ravel (1875-1937), Introduction et Allegro ; Joseph Jongen (1873-1953), Concert à cinq ; Krzystof Penderecki (né en 1933), Quatuor avec clarinette ; Toru Takemitsu (1930-1996), And then I knew’t was wind. Information et réservation : T. 04 72 73 77 69 ; www.ensemble-lestempsmodernes.com
Illustration:
Maurice Ravel (DR)
Krzystof Penderecki (DR)
Toru Takemitsu (DR)