mardi 6 mai 2025

Daniel Barenboim : la musique éveille le temps (Fayard)

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Le musicien pense…

Cultiver son oreille, c’est assurément gagner une conscience plus affûtée. Daniel Barenboim nous rappelle qu’au 45ème jour de la formation du fœtus, l’ouïe et l’oreille sont parfaitement formés et opérationnels. Nous écoutons donc avant de voir : l’œil ne se forme que 7 mois et demi après le système auditif ! Passionnante précision qui vient davantage souligner combien notre société fondée sur l’image et l’impact visuel ne nous conduit en rien à affiner après notre naissance tout ce qu’apporte un sens de l’ouïe décuplé. Or savoir écouter et nourrir ses sensations par l’écoute, permet de cultiver la conscience et la mémoire, c’est un autre rapport au temps, à la vie qui se précise et dont le chef explicite les apports.
Barenboim, en artiste engagé et exigent, exauce notre prière : témoin attentif, philosophe de la musique, en connexion avec le péril qui menace notre civilisation et donc l’avenir de l’humanité toute entière, le chef fondateur du West Eastern Divan Orchestra (1999) sait nous alerter sur les dérives dont nous sommes passivement responsables.

Eveil des sens et de l’esprit

« La musique peut-être beaucoup plus qu’un agréable élément ornemental. Elle exige un parfait équilibre entre intellect, émotion et tempérament. Si l’on parvenait à cet équilibre, les hommes et même les nations pourraient interagir plus facilement. » précise le chef. Et de poursuivre : « A travers la musique, il est possible d’imaginer un autre modèle social, où l’utopie et l’empirisme conjuguent leurs forces, nous permettant de nous exprimer librement et d’entendre les préoccupations les uns des autres. Le monde du son est capable de hisser l’individu de l’inquiétude pour sa propre existence à une perception universelle de sa place parmi les autres êtres humains ».
Le propos est clair : politique, humaniste, militant. Nous sommes loin des soirées divertissantes et des productions décoratives où l’objectif recherche la complaisance, le confort du parterre, surtout la rentabilité commerciale et le profit des producteurs. Dans notre monde en péril, où l’équilibre social, économique, écologique, politique est prêt à se rompre dans la prochaine décennie, le texte de Daniel Barenboim prend valeur de manifeste pour un éveil des consciences, pour un humanisme concret auquel nous ne pouvons que souscrire. Son activité au sein du West Eastern Divan Orchestra, phalange pionnière composée de jeunes musiciens arabes et isréaliens, le montre concrètement. Le vivre ensemble et le règlement pacifiste des conflits sont les bonnes voies à suivre. Adapté en particulier à la question du conflit israélo-palestinien, ce combat pacifiste porté par le jeu musical prend une valeur admirable qui ne cesse fort heureusement, de susciter la sympathie, en Europe mais aussi dans les territoires affrontés. Or tant que les clans opposés ne sauront écouter la souffrance de l’autre, le principe d’une réconciliation ne peut se réaliser… Le chef évoque la genèse, le contexte et les enjeux de la création du West Eastern Divan Orchestra (dont le nom renvoie à une recueil de poèmes que Goethe écrivit alors dans la découverte du Coran et dans l’apprentissage de la langue arabe.. à 60 ans !) : duo magique avec Edward Said, premiers concerts jouant Wagner ( !), recherche des financements, déroulement des stages des jeunes musiciens…

Sur un plan strictement musical, en plusieurs textes et entretiens compilés dans la dernière partie (Postlude), le pianiste et chef d’orchestre évoque son rapport à la musique, un lien viscéral et indéfectible. En interprète qui a abordé de très nombreuses œuvres, pianistiques, symphoniques, lyriques, Daniel Barenboim, commente sa compréhension des œuvres majeures du répertoire, de Wagner à Berg et Schoenberg… de Beethoven à Mozart, surtout Mozart dont le musicien souligne cette légèreté divine qui s’appuie sur un compréhension exceptionnelle du cœur humain. Captivant tout autant, les chapitre sur « Wagner et l’idéologie », Furtwängler, Pierre Boulez…

Musicien passionnant, Daniel Barenboim signe surtout un essai qui offre à la musique, aux mélomanes comme aux praticiens, un futur militant qui pourrait les libérer de l’ornière superficielle ou élitiste, celles des mondanités de salon, dans laquelle la musique classique végète bien souvent. En osant le risque, la quête d’une fraternité active, l’engagement concret, l’art musical défendu par Barenboim est un exceptionnel témoignage, un manifeste pour les siècles à venir. A notre époque où règne inéluctablement la mondialisation et l’interdépendance, jouer en concert, applaudir, choisir le sujet de sa soirée, le type d’opéra que l’on recherche, doit nécessairement découler d’une conscience aiguë, d’un examen critique sur le sens et les enjeux concernés… Or on voit bien les résistances ici et là se lever quand metteurs et scènes et plasticiens « osent » toucher et repenser la sphère lyrique… On se dit que la musique ne sera jamais plus la même depuis Barenboim. Mais on reste aussi inquiet sur le sens et la pratique de la musique classique après lui… Lecture incontournable. Voici le livre de chevet que tout mélomane éclairé, tout musicien de son temps, se doit de posséder, lire, relire et partager.

Daniel Barenboim : La Musique éveille le temps (Fayard).

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