dimanche 27 avril 2025

Cycle Brahms à LyonLyon, Auditorium, du 25 au 28 octobre 2012

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Lyon, Auditorium
Du jeudi 25 au dimanche 28 octobre 2012.


Emanuel Ax, dans le 2e Concerto et le Quintette op.34 de Brahms. O.N.L. dirigé par Léonard Slatkin.

Une demi-semaine brahmsienne en fin octobre à l’Auditorium : le pianiste Emanuel Ax, fervent romantique, interprète le 2e concerto sous la direction de Leonard Slatkin, et se joint à quatre solistes de l’O.N.L. pour le Quintette op.34, l’une des partitions majeures et très aimées du compositeur allemand.


La question jadis posée par un charmant petit monstre

« Aimez-vous Brahms ? ». Voilà au moins un titre de « naguère » (êtes-vous capable de dater, même si vous appartenez à une génération…un peu ancienne ? c’était cinq ans après le boom planétaire-éditorial de «Bonjour tristesse », écrit par un « charmant petit monstre » de 18 ans, comme avait dit l’indulgent Mauriac…), et une question qui est restée en leitmotiv, même si on ignore le roman et les personnages de Françoise Sagan(alias Quoirez). Bien sûr, en France on aime Brahms, on adore, au début du XXIe comme au milieu du XXe. Ce ne fut pas toujours le cas de ce côté-ci du Rhin (nationalisme esthétique obligea longtemps), mais enfin le dossier des préventions est classé au profit du « 3e B. allemand » (après Bach et Beethoven), et qu’il s’agisse de grand orchestre (allié ou non aux voix), de chambrisme, de piano seul, n’importe quel programmateur sait qu’avec du Brahms, on sécurise des abonnements en voie de difficulté. Encore serait-il intéressant d’aller plus avant qu’avec ces constatations d’évidence sociologico-musicales, et d’étudier le pourquoi de la réponse toujours si positive à la saganienne question des années 50.


Brahms le progressiste

Car enfin, ce compositeur adoubé par une prophétie de Robert Schumann, et qui assuma tout au long de sa vie (raisonnablement longue, 1833-1897) les rôles d’éternel amoureux d’une femme qui le refusa (Clara, bien sûr), de romantique à la période où cet univers basculait dans l’après (post-romantique, donc), voire même – sans conviction – de traditionnaliste contre des « musiciens de l’avenir » qui le narguaient (Liszt, Wagner…), qui était-il pour être cependant salué, post mortem, par Schoenberg : « Brahms le progressiste » ? Portrait toujours complexe, donc, et qui permet de mesurer le grand écart –physique, évidemment, mais pas seulement – entre un « jeune génie » fiévreux d’à peine 20 ans dont on peut croire qu’il sera le « musicien nouveau » et un vieux monsieur ventripotent et barbu qui aimait distribuer des chocolats aux enfants dans une station thermale… « Berceuses de ma douleur », dira Johannes pour évoquer ses ultimes pièces de piano, si dépouillées et «déjà loin du monde ». Et aussi, en réponse au médecin qui lui demandait s’il n’avait pas quelque imprudence à se reprocher : « Peut-être, Docteur, ai-je trop fréquenté le Dr Faust »…


Trois arrêts sur image dans la vie de Johannes

On sait que l’O.N.L. aime bien grouper ses concerts par titres, ceux des quatre jours en fin octobre pourraient s’appeler « trois arrêts sur image de Johannes »…. Et c’est Emanuel Ax qui manie le projecteur, sous la direction et avec la complicité déjà ancienne du chef Leonard Slatkin. Le pianiste né en Pologne il y a 62 ans avait quitté l’Europe avec sa famille pour l’Amérique du Nord (Canada) : l’adolescent jouait du piano depuis l’âge de six ans, et il continua sa formation aux Etats Unis(Juilliard School, notamment). Les lumières s’arrêtèrent sur lui quand à 25 ans (1974) il remporta à Tel-Aviv le Concours Rubinstein, puis pour d’autres récompenses importantes en Amérique. Et il allait devenir l’un des pianistes importants de l’époque, certes soliste et concertiste, mais aussi chambriste passionné (avec Isaac Stern, Jaime Laredo, Yo Yo Ma…). Son « monde » musical est certainement fort romantique : Beethoven, Chopin, Schumann, Liszt, Brahms ont longuement été « visités » par lui, et il leur apporte en plus d’une virtuosité universellement reconnue son imagination poétique et un goût du partage des émotions. Il ne néglige par ailleurs pas la musique d’aujourd’hui (Lutoslavski, Henze,T. Adès…),mais dans Brahms l’inspiration est totale, comme en témoignent des enregistrements du 2e concerto (avec Bernard Haitink), des sonates et quintette avec piano.


Un petit concerto ?

C’est justement sur le 2e concerto que l’image s’arrête d’abord : œuvre de la maturité accomplie – Brahms a 55 ans quand il en trace les premières mesures, et le continue en Italie, sous « la douce, l’intelligente lumière toscane » (selon V.Larbaud, cité par Bernard Delvaille) ; il faudra trois ans pour que ce « petit concerto », selon son auteur, soit terminé. Petit ? L’un des plus longs du répertoire, de surcroit armaturé en quatre mouvements, au lieu des trois habituels. Brahms le décrit à ses amis Herzogenberg en ajoutant qu’il y a au milieu un « joli petit scherzo ». Humour de modestie, qui ne ressemble en tout cas guère à l’ampleur de cette architecture, en particulier dans son « ouverture » – un appel des cors venu des profondeurs de la forêt germanique, et aussi du lointain rêveur qui surgissait au début de la IXe Symphonie de Schubert -, puis à la conduite d’un allegro passionné, par moments bercé de lyrisme (le 2nd thème) : immense exemple de la « grande variation amplificatrice » chère au compositeur, à partir d’une figure très simple (trois noires, triolet).
Et son joli scherzo…
Puis vient le « joli scherzo », qui n’est guère plaisanterie, plutôt ballade nordique et songerie éloquente, et qui fait place centrale de « trio » à une citation de danse villageoise vite solennisée en esprit légendaire. L’andante renoue avec l’ample méditation romantique, d’abord énoncée au violoncelle – on pense tout à coup au concerto que Brahms aurait pu écrire – et autour de laquelle le piano établira plutôt une grandiose paraphrase, en errance d’ailleurs très contrôlée par la science du compositeur. L’allegretto final est, lui, fort « grazioso », et tend à chasser les brumes nordiques, en un climat de jeu qui n’exclut évidemment pas la rigueur de l’écriture très inventive dans les rythmes superposés.


Quelle grande joie m’a donnée ton Quintette !

Retour en arrière vers un Brahms abordant la quarantaine quand il commence la composition de cette pièce –de géométrie variable, selon la chronologie – qui finira quintette pour piano et cordes. C’est que Brahms comme souvent cherche l’équilibre architectural, et peut-être ensuite la couleur ; il y aura d’abord une version pour quintette à cordes, et il sera maintenu aussi une « sonate pour deux pianos ». L’amitié – amoureuse, pour ce qui concerne Clara Schumann : cessera-t-elle jamais jusqu’à la mort des deux musiciens ? – joue son rôle dans cette métamorphose en essais. Clara ( « quelle grande joie m’a donnée ton quintette, mon cœur en est plein !»), Hermann Levi, et dans une moindre mesure le violoniste Joachim, saluent la beauté de l’œuvre mais conseillent d’ autres mises en forme, tout comme Anna de Hesse – Brahms fréquente volontiers l’aristocratie éclairée, notamment dans les villes d’eaux comme Baden-Baden, où il aime à soigner ses accès de mélancolie – et la princesse, enthousiaste, sera dédicataire de la version définitive. Un siècle et demi plus tard, oubliées les exigences perfectionnistes d’un compositeur finalement fort hésitant dans sa quête : c’est le quintette piano-cordes qui nous semble le cadre le plus achevé, c’est sous cette forme que le chef-d’œuvre nous parvient le plus totalement, et le grand public mélomane aime à juste titre ce qu’il tient pour la « meilleure » partition chambriste de Brahms.


La couleur baltique

Ici encore, quatre mouvements, ouverts par un allegro très ample, dense, dramaturgiquement conçu en adieu au romantisme – sturm und drang sous-jacent, et pourtant maîtrisé, laissant des clairières à la tendre expression et au clair-obscur… Au contraire, l’écoulement du temps se fait presque calme dans l’andante, voué à ce qu’on ressent comme une mélancolie, humeur non pas noire, mais grise, couleur « de mer baltique », et peut-être expression des impossibles amours. Rupture de tons et de rythmes dans le scherzo, soumis à une fièvre conquérante et à un climat de caprice à la limite de ballade fantastique. La complexité d’inspiration règne dans le finale, avec son portique où revit l’esprit schumannien d’errance douloureuse , puis un mélange de forme-sonate, de rondo, de thèmes inattendus, de retour en scherzo, de ralentis et de tempo qui s’exalte, en lequel Schonberg devait trouver des arguments pour son approbation d’une œuvre structurellement si novatrice.


Un sauvage et sensuel élan

Reste un troisième aspect du portrait brahmsien : le plus « populaire », ou popularisé, celui des Recueils de Danses Hongroises – magyares ? on dira plutôt tziganes-. Brahms le musicien savant, « qui voulait être ici un arrangeur, avait mis toute son habileté à insérer dans le grillage de la mesure l’exaltante liberté, le sauvage et sensuel élan dont elles témoignaient sur le violon du nomade et le cymbalum des vagabonds de la puszta « (José Bruyr). Le pianiste – on le dirait en brève résidence lyonnaise, ce week-end de novembre – sera aussi présent dans ce concert-lecture, complice de Leonard Slatkin pour expliquer avec l’Orchestre ces Danses. Mais il sera surtout par deux fois le soliste du 2e Concerto, auquel L.Slatkin a choisi de donner pour écho la 67e Symphonie de Haydn, une « sans surnom », des années 1778, et les Métamorphoses Symphoniques sur un thème de Weber, par Paul Hindemith. On n’oubliera pas, en fin du séjour, le « concert du dimanche matin », où cette fois E.Ax sera entouré de solistes O.N.L. : les violonistes Jennifer Gilbert, et Tamayo Kobayashi, l’altiste Corinne Contardo et le violoncelliste Nicolas Hartmann. Après la 3e sonate piano-violon de Beethoven , dédiée à Salieri, ce sera donc le rayonnant et profond Quintette op.34…

Lyon, Auditorium. Johannes Brahms (1833-1897), 2e concerto, Quintette op.34 Danses Hongroises ; J.Haydn (1732-1809), 67e Symphonie ; P.Hindemith (1895-1963), Métamorphoses Symphoniques. O.N.L. direction Leonard Slatkin. Emanuel Ax, piano. Solistes de l’O.N.L. Jeudi 25 octobre 2012 (20h) et samedi 27 (18h) (2e Concerto). Vendredi 26 (12h30) (Danses). Dimanche 28 (11h), Quintette.
Information et réservation : T. 04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com

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