mardi 6 mai 2025

Cuenca SMR Semana de Musica Religiosa 2012. Teatro Auditorio, le 2 avril 2012. Francesco Feo: Passio secundum Joannem (Passion selon Saint-Jean, 1744). Lorenzo Ghielmi, direction

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Etonnante Passion selon Saint-Jean (Passio secundum Joannem,1744) que celle de Francesco Feo (1691-1761), illustre inconnu ou si peu (comme le sont comme lui à l’ombre du grand Alessandro Scarlatti: Durante, Leo, Mancini,…). Feo, né à Naples, auteur d’opéras, d’oratorios et exclusivement de musique sacrée à partir de 1743, mérite absolument l’éclairage particulier que lui réserve la SMR de Cuenca 2012: sa Passio ici révélée porte les marques d’un tempérament original qui ne s’embarrasse pas de complaisance stylistique d’aucune sorte, sert son sujet avec un rare souci de l’économie et de la franchise.

Rien à dire sur une écriture évidemment efficace, directe, sans dilution ni surenchère ornementale ni développement strictement décoratif : ici juste deux airs proprement dits et si courts; tout sert l’action et l’accomplissement du Mystère de la Passion.


Passio fulgurante de Francesco Feo

En à peu plus d’une heure de temps, la musique illumine sans le dénaturer le texte: on cherchera de la même façon c’est à dire en vain, les vastes architectures chorales qui structurent chez Bach par exemple le même sujet (le festival a bien raison d’ailleurs de programmer la Passion selon Saint-Jean de Bach justement, mercredi Saint, 4 avril: passionnante et inévitable comparaison qui fera surgir les particularités multiples de chaque manière entre Feo le Napolitain et Bach l’universel…).

Chez Feo, pas d’effets gratuits s’il ne sert étroitement l’expressivité du texte comme les accents symboliques du drame. Le choeur n’intervient qu’aux exclamations collectives (les juifs); certains choristes sortent du groupe pour souligner l’émergence d’un personnage de l’action. Et les rôles principaux : Jean, Jésus, Pilate sont tenus, respect des sources, par, respectivement, un contre-ténor et deux ténors.

Saluons la musicalité expressive et tendre de Krystian Adam, Jésus ardent et articulé dont les paroles finales adressées à sa mère sont les plus bouleversantes. Le second air chanté par la mezzo convoque immédiatement dans la suite des paroles de Jésus, le tableau de La Pietà, en un crescendo spirituel et expressif qui est aussi d’une continuité dramatique aussi fulgurante qu’originale: c’est le point suprême d’une partition singulière et originale (« O vos omnes qui transitis per viam… » ).
De même, palmes à l’excellent Doron Schleifer, Evangelista présent, engagé, parfois couvert par les instrumentistes mais de plus en plus investi par son sujet : témoin, passeur et intercesseur, il accompagne les souffrances du Christ avec une humanité tendre, soulignant dans la conclusion du drame, entre recitativo et arioso, ce qui est au cœur de la Passio: le sens du Sacrifice et le mystère prochain de la Résurrection. Auparavant, l’accomplissement de la tragédie christique se réalise grâce à la présence jamais contournée du texte narratif: tout va vite, se précipite même et trait frappant de la manière de Feo, les instruments jalonnent par leur seul chant impétueux ou compatissant, le destin de Jésus: plusieurs intermèdes courts mais brûlants disent le déroulement de l’irréversible. On comprend comment Feo renouvelle la leçon d’Alessandro Scarlatti, tout en connaissant manifestement le génie de Pergolesi qu’il a certainement rencontré à Naples, au point de parodier le début du Stabat Mater quand dans le texte de sa propre Passio, l’Evangéliste évoque la Mère au pied de la croix où son Fils est supplicié… Feo pourrait même avoir été un proche de Pergolesi quand celui ci malade, et bientôt condamné, se retire chez les Franciscains de Pozzuoli à partir de 1735. Feo témoigne des souffrances de son confrère tout occupé jusqu’à épuiser ses ultimes forces créatives dans la composition de son Stabat Mater qui sera son tombeau. Feo pourrait bien avoir été influencé par les derniers feux du génial Pergolesi. Bénéficiant d’une telle influence, la Passio de Feo semble avoir été commandée pour remplacer la partition de A. Scarlatti (1685), devenue obsolète.

Lorenzo Ghielmi révèle une partition très récemment retrouvée dont le dramatisme concis, l’absence d’effusion gratuite voire développée, un souci de l’efficacité qui confine à l’épure, captivent du début à la fin; on retrouve l’âpreté sans affectation d’une théâtralité renouvelée: la diversité formelle au service de chaque épisode du drame produit une action sacrée sans pause ni répétition; le latin ainsi déclamé par Jean gagne en intensité et en galbe, en véhémence comme en évidence. Le chef articule un somptueux continuo ajoutant aux cordes, la couleur de la harpe dont l’usage est attesté à Naples au XVIIIème siècle.

Voici un prolongement captivant au concert de la veille, où ici même, sur la scène de l’Auditorio, Antonio Florio et I Turchini abordaient les musiques pour la Semaine Sainte des prédécesseurs de Feo, les Napolitains, Caresana et Veneziano. Au début du XVIIIè, Naples, aux côtés de Venise et de Rome, est bien un foyer d’intense créativité musicale, et peut-être l’une des plus expérimentales, comme en témoigne cette Passio, singulière et atypique. La révélation est totale: elle est bien à l’image du festival SMR de Cuenca… scène riche en découvertes fécondes.

Cuenca SMR Semana de Musica Religiosa 2012. Teatro Auditorio, le 2 avril 2012. Francesco Feo: Passio secundum Joannem (Passion selon Saint-Jean). Naples, 1744. Doron Schleifer (Evangelista), Krystian Adam (Jésus), Mirko Guadagnini (Pilatus), Marta Funagalli (arias). Salzburger Concerto Vocale. La Divina Armonia. Lorenzo Ghielmi, clavecin et direction

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