samedi 26 avril 2025

Cuenca (Espagne). Teatro Auditorio, le 1er avril 2010, 49è Semana de musica religiosa. Bach: La Passion selon Saint-Matthieu, 1727. The King’s consort. Robert King, direction

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Arche solaire

Jouée dès 1727 (nouvelle datation) puis selon les sources historiques « classiques », le vendredi Saint du 15 avril 1729 à Leipzig (très probablement à Saint-Thomas qui possédait alors deux orgues), la Passion selon Saint-Matthieu BWV 244 s’inscrit naturellement au moment de Pâques. C’est pourquoi la partition est depuis longtemps déjà l’un des temps forts de la Semana religiosa de Cuenca.
Chaque année, les Passions de Bach constituent les grands moments de la Semana Santa. En 2010 après une Saint-Jean musclée, théâtrale et expressive voire âpre et mordante défendue par Les Musiciens du Louvre, la Saint-Matthieu qui en est le pendant plus humain et doloriste, était interprétée par un collectif britannique, celui dirigé par Robert King à la tête de son ensemble, The King’s consort.
Dès l’ouverture, le chef joue au maximum des ressources et possibilités du double choeur (de 15 personnes chacun), avec point distinctif, un petit choeur de femmes (3 chanteuses qui sont les 3 solistes à venir) situé à gauche, au niveau des traversos.

Pendant toute la première partie, Robert King s’inscrit dans une lecture médiane, d’une douceur et d’un apaisement assumé, nuancée depuis son début par un atténuation expressive dont on regrette parfois le manque de relief (voilà qui contraste avec l’appropriation théâtrale et véhémente des Musiciens du Louvre)… Nous sommes bien ici du côté non des acteurs de la Passion, au coeur des souffrances du Christ, mais plutôt, en liaison direct avec la force des chorals, parmi les fervents, au sein de l’assemblée des croyants, portés par un désir de fraternité et de chaleur apaisée.

Pourtant en cours de soirée, la direction saisit les points dramatiques forts, sait exprimer l’élan universel et le souffle épique de l’odyssée sacrée, collective et lyrique. A ce titre, le chef s’appuie en particulier sur deux chanteurs remarquables par leur investissement vocal, et leur approfondissement du texte: la mezzo Diana Moore, au timbre souple et profond; le baryton basse David Wilson-Johnson. Leurs airs respectifs se détachent nettement, et l’on penserait même que Bach a réservé ainsi aux voix graves, les mélodies les plus éblouissantes du cycle. « Buss und Buss », « Erbarme dich » (avec violon solo), surtout « Können Tränen meiner Wangen » (au moment de la flagellation de Jésus, « Ach, Golgotha! » (et la lévitation des 2 hautbois), mais aussi l’air avec choeur: « Sehet, Jesus hat die Hand » (mêmes hautbois) sont surprenants par leur justesse de style et de caractère: la mezzo s’impose peu à peu par sa dignité noble, son timbre blessé et sobre. Quand elle chante avec la soprano au moment de l’arrestation de Jésus (duo: « So ist mein Jesus nun gefangen »), le chef souligne cette atténuation tendre et aérienne, puis en un contraste violent enchaîne le choeur « Sind Blitze » comme s’il s’agissait d’exprimer un tempête. Le choc est efficace et le drame percutant.
On reste plus réservé quand à l’Evangéliste de James Gilchrist, souvent aux aigus tendus et au style surdimensionné. Trop acteur, trop en dehors du texte pour rester vraisemblable.

La tenue du choeur, celle des instrumentistes
(malgré les difficultés de l’un des hautbois), le geste du chef, et l’excellente approche des deux solistes mentionnés composent une Passion au nerf progressif, aux contrastes habilement agencés, dont l’architecture et la construction d’ensemble offrent in fine une vision réellement convaincante. Robert King et ses troupes ont relevé le défi en produisant une Passion à la fois humaine et dramatique. Une arche solaire, qui porte la ferveur d’un collectif ardent.

Cuenca (Espagne). Teatro Auditorio, le 1er avril 2010, 49è Semana de musica religiosa. Jean-Sébastien Bach (1685-1750): La Passion selon Saint-Matthieu, 1727. James Gilchrist (l’évangéliste), Ben Davies (Christ), Julies et Ildiko Allen, sopranos. Diana Moore, mezzo. Joshua Ellicott, ténor. David Wilson-Johnson, baryton-basse. Choir of the King’s consort. The King’s consort. Robert King, direction.

Illustrations: Robert King © Santiago Torralba SMRC 2010

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