mercredi 7 mai 2025

Cuenca 2011. 50ème Semaine de Musique religieuse, Semana de Musica Religiosa 2011. Du 16 au 24 avril 2011.Compte rendu bilan

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Cuenca 2011
50ème Semaine de musique religieuse
Semana de Musica Religiosa

compte rendu – bilan



Magistrale édition 2011, qui conforte depuis quelques années, les avancées et les choix de répertoire développés, le fonctionnement de la programmation qui sait ménager le principe si rare de la gradation émotionnelle entre les concerts et aussi, surtout la correspondance voire le dialogue dynamique entre chaque programme enchaîné. Mais Cuenca 2011 a montré aussi un sens magistral de l’enchaînement et du rythme des concerts (jusqu’à 3 par jour) : chacun défendant avec combien de conviction autant de mouvements d’une grande « partition pascale », celle des 50 ans du Festival.
En quelques années, Pilar Tomas, douée de clairvoyance et de discernement, -deux qualités souvent proclamées par nombre de directeurs artistiques, mais ici magnifiquement appliquées-, sait composer en véritable magicienne, pour le Jubilé de la « SMR », Semaine de Musique Religieuse de Cuenca, au moment de la Passion du Christ, à l’heure où toute l’Espagne fervente participe activement aux processions populaires (autre facette habituelle de cette Semaine particulière à Cuenca), l’une des programmations parmi les plus pertinentes (donc captivantes) en Europe. C’est même la meilleure parmi le nombre déjà réservés des meilleurs festivals sacrés: aux côtés par exemple d’Ambronay en France, de Musica Sacra à Maastricht, …

Semaine sacrée sur le rocher

Cuenca sur son fameux rocher entouré de massifs minéraux, – silhouettes découpées comme dans les tableaux de Patinir-, offre une série de concerts aussi subjugants que Salzbourg à l’été: même enchantement produit par le lieu (dont nombre d’églises réinvesties le temps de la Semaine Musicale), même promesse/ivresse de découvertes et de mises en perspectives qui font aujourd’hui ce festival incontournable, pluridisciplinaire, et si dynamique qui porte le thème du sacré comme une question ouverte, toujours critique et jamais usée… En 2011, la programmation met à l’honneur par exemple la diversité des liturgies des divers communautés et ordres religieux: c’est une invitation à découvrir les ferveurs musicales des ordres monastiques. Mais c’est autre traversées offertes à la délectation des festivaliers, une surprenante présence française, défendue avec le même éclat et la même richesse interprétatives, dont se distinguent le temps de notre séjour 2011: la performance des Talens Lyriques sous l’impulsion suractive et nerveuse de Christophe Rousset, très engagé à la réhabilitation d’un oratorio oublié de Pergolesi: San Guglielmo d’Aquitania (le 20 avril); puis, le récital d’Alexandre Tharaud (21 avril), surprenant ambassadeur d’une intériorité inédite, celle de Milhaud, d’une douceur si enfantine mise en regard avec la solennité distanciée et rêveuse signée Satie. Superbe programme, audacieux, rare, qui souligne s’il était encore besoin de l’affirmer, la valeur des programmes présentés à Cuenca.



Cantates liturgiques à la Cathédrale


Or Pilar Tomas ose défendre et stimuler l’esprit des confrontations, les perspectives éclairantes qui, le temps de la Semaine Sainte, produisent à Cuenca, cette méditation musicale inscrite au coeur de la célébration christique. Il ne s’agit pas pour autant d’un festival liturgique: c’est plutôt un questionnement libre et intensément inventif qui aime croiser les disciplines et mêler les genres.



Le point fort de ce festival aura été les Cantates de Bach données dans la nef de la Cathédrale (22 avril 2011), sans applaudissements ni intrusion du profane artificiel; Gustav Leonhardt ayant spécifier de jouer les partitions comme Bach à son époque dans le temps liturgique (à 22h30), afin d’en souligner la haute valeur spirituelle. Même si l’orchestre n’est pas à la hauteur de l’événement (Orquestra Barroca de Sevilla), et les chanteurs pas toujours aussi ardents qu’on l’espérait, le geste encore remarquablement concentré du maestro, sa précision « luthérienne » échauffe pourtant les esprits dans ce nocturne sacré, élève les âmes dans le corps patrimonial le plus emblématique du rocher de Cuenca, ce massif où se concentre, perchée, la vieille ville… Le spectateur sort du concert comme frappé par l’intensité et l’approfondissement du chef, son offrande réfléchie, sincère à un temps d’accomplissement… Superbe réalisation née d’une programmation qui recherche et réussit à intégrer le geste musical dans le déroulement du temps de la Passion.


Mais fervente partisane du renouvellement critique, osant parfois des performances qui paraissent en façade éloignée de la Passion, Pilar Tomas favorise ce temps du silence, ou ce point de fuite ou de vide (pour reprendre le titre si éloquent d’une oeuvre commandée l’année dernière au jeune compositeur Abel Paul: linea de vacio), d’où naît un sentiment d’éveil, voire de contemplation menant à la pure révélation… C’est comme chaque année, tout le sens de l’exposition de photographies présentées par l’artiste Axelle Fossier: pénombre enveloppante et musique planante afin que surgissent la matérialité de l’ombre; celle qui sublime le contour suggestif des objets pourtant familiers, dont la matière s’efface, se dissoud… Du sacré sertissant les formes domestiques les plus quotidiennes (Axelle Fossier: « Espectros », spectres, exposition).


Job chorégraphié


En 2010, la directrice toujours prête à assumer de nouveaux risques, avait retenu le travail cinématographique du réalisateur Peter Greenaway sur la vaste toile des Noces de Cana de Véronèse. Relecture, réappropriation d’un regard affûté entre peinture et cinéma mais interrogation lyrique sur l’une des oeuvres les plus célèbres – et désormais célébrative voire sonore- sur le sacrifice du Christ… Une projection événement qui permettait au cinéaste d’accomplir pleinement sa démarche et de s’en expliquer, après une première présentation essai à la Biennale de Venise 2009… En 2011, Pilar Tomas renchérit sans effets creux et nous offre la réalisation d’un autre forme périphérique au festival de musique: la danse. La Compagnie Plan B invitée à Cuenca réalise ainsi la chorégraphie nouvelle commandée par le Festival sur le thème de Job (Teatro Auditorio, le 23 avril 2011): à la parabole de l’accablement tragique, de la désespérance où l’homme seul si durement éprouvé et atteint n’a d’autre aliment que sa seule foi, les danseurs répondent par un art du mouvement suractif, aux éclairages contrastés. Véritable choc visuel rehaussé par l’excellent choix de la musique choisie pour le ballet, celle de Williams (Job, a masque for dancing, 1930), si raffinée et sensuelle, aux accents vénéneux et d’une matière lumineuse, entre Szymanowski et Strauss. Grand moment symphonique (dans la fosse se tiennent alors les excellents musiciens de l’orchestre The Hallé) et aussi chorégraphique qui marque autrement et de façon aussi décisive, la réussite de ce cru 2011.


Réfléchi comme un parcours spirituel où chaque programme serait une étape vers ce point de réalisation totale, le festival offre en conclusion de son édition, la Symphonie n°2, « Résurrection » de Gustav Mahler dont le titre correspond évidemment, pertinence oblige, au temps de la Semaine Pascale soit le dimanche de la Résurrection, le 24 avril 2011). Nouvel accomplissement symphonique permis par l’engagement du même orchestre The Hallé (il porte le nom de son fondateur à Manchester en 1858, le pianiste et chef d’orchestre, Charles Hallé), – l’un des plus anciens en Europe-, le dirigé avec verve et exigeance par son chef attitré, Christian Mandeal.


A-t-on jamais entendu pareille fanfare en coulisses, celle annonciatrice des sphères célestes? Plénitude des cuivres et même enchantement instrumental qui s’inscrirait avec combien de justesse dans le déroulement du Parsifal Wagnérien! Le choeur Orfeon Donostiarra est celui d’une humanité terrestre aspirant à l’éveil céleste et les deux solistes invitées partagent cette équité du geste qui rétablit à la partition orchestrale, sa plénitude progressive, miroir de tout le déroulement du festival.


Auparavant le festivalier plus fervent aura suivi le cycle particulier pour le Mercredi, le Jeudi et le Vendredi Saints (20, 21 et 22 avril 2011 à 17h église San Miguel): cycle axial d’un accomplissement progressif, désormais central et incontournable pendant la Semaine et défendu cette année par l’australien Michael Noone et l’ensemble Schola Antiqua, familier des SMR: l’inteprète est d’autant plus légitime pour aborder ce répertoire qu’il achève pour Archiv (Deutsche Grammophon) l’intégrale des oeuvres de Victoria, mis à l’honneur pour les 400 ans de sa naissance en 2011.


Faire résonner les pierres


Outre son ouverture et sa pertinence, la programmation conçue par Pilar Tomas sait s’étendre dans tout le vieux bourg, sachant indiscutablement exploiter la configuration de chacun des lieux des concerts: concert spatialisé aux étagements vocaux et instrumentaux ciselés du programme événement présenté par Mala Punica et Pedro Memelsdorff (liturgies du Codex Faenza 117, 1380-1420, le 21 avril, église de La Merced); même adéquation parfaite du chant des interprètes et l’espace investi (Espace Torner dédié aux oeuvres modernes et contemporaine) pour le concert magistral présenté par Marcel Pérès et son ensemble de solistes Organum (22 avril 2011, Espacio Torner à 12h): liturgies anciennes (Office pour l’Adoration de la Croix selon le rite dominicain du XIIIè siècle), surgissant fascinantes entre Orient et Occident, porté par la voix si timbrée du chef chanteur: en résonance parfaite avec la chapelle de caractère gothique du lieu, les voix implorantes font littéralement vibrer tout l’édifice, immergeant le spectateur dans une temporalité irrésistible, celle propre aux SMR, le temps de la Semaine Sainte. Il n’existe pas d’accord aussi parfait entre musiciens et lieux, d’acoustique aussi riche et naturelle ailleurs… qu’à … Venise: la Basilique des Frari où reposent Monteverdi et Canovas, où s’impose à l’esprit des spectateurs la Pala du Titien (Assunta), produit la même combinaison jubilatoire, récemment révélée par le Palazzetto Bru Zane Centre de Musique Romantique Française lors des premiers concerts qu’il a proposé pendant le Festival Du Second Empire à la troisième République, en mai et juin derniers.


Création au Museo de Arte abstracto


La place de la musique contemporaine et des créations est toujours brillamment défendue à Cuenca, avec des lieux désormais désignés destinés à en souligner tout le sens, c’est évidemment le cas du musée d’art Abstrait qui accueille dans ses salles de peinture moderne et contemporaine, la création de « Aunque es de noche » commande passée par le Festival au compositeur natif de Cuenca et depuis longtemps admiratif des Semaines de musique religieuse… Manuel Millan de las Heras (né en 1971), inspiré par le poème de Saint Jean de la Croix, nocturne autant énigmatique que méditatif et interrogatif, véritable immersion dans l’inconnu de la foi, tout un monde s’élargit et se précise, en dialogue avec les toiles environnantes… grâce à l’engagement du soliste: José Miguel Gomez (violoncelle), le 18 avril 2011 à 17h.


A moins d’1 h de train de Madrid


A présent à moins d’une heure de train de Madrid, grâce à la nouvelle connexion par l’AVE-Talgo (TGV espagnol), Cuenca s’affirme immédiatement parmi les 3 festivals sacrés les plus inventifs et les mieux conçus en Europe. Pionnier, visionnaire et pour nous toujours magistralement surpenant à chacune de ses éditions, la « SMR Cuenca », Semana de Musica Religiosa de Cuenca, est devenu une étape incontournable de l’agenda musical en Europe. Pôle exemplaire, l’événement qu’il faut appeler dorénavant le « Salzbourg espagnol » renforce l’attractivité de la ville sur le plan artisitique et culturel. Un accomplissement clé d’autant plus essentiel dans la conquête de la ville qui ambitionne d’être capitale euroépenne en… 2016. Sur le plan musical, Cuenca a déjà le niveau de cette ambition.


Cuenca. 50ème Semaine de Musique religieuse, Semana de Musica Religiosa 2011. Du 16 au 24 avril 2011.

Cuenca en vidéo

Cuenca 2010 (Espagne). Edition magistrale, la 49è Semana de musica religiosa de Cuenca 2010
s’est tenue du 27 mars au 3 avril 2010. Au moment de Pâques et des
processions dans la cité ancienne, le festival a développé sa riche
programmation comprenant conférences, expositions, concerts, projection
de cinéma. C’est comme chaque année, au carrefour des disciplines et des
répertoires, de la musique ancienne sacrée à la création contemporaine,
une captivante interrogation posée autour du thème du Sacré. 49ème Semana de musica religiosa de Cuenca, mars et avril 2010.

Semana de Musica Religiosa de Cuenca 2009 (48ème édition, avril 2009)
Pilar Tomas évoque la présence de la claveciniste française Françoise Lengellé, interprète des Sonates bibliques de Kuhnau (précurseur de Bach à Leipzig), la place des productions inédites qui relient musique et patrimoine,…

Reportage vidéo Cuenca 2011 à venir d’ici le 1er juillet 2011
Illustrations: Gustav Leonhardt, danseurs de la Compagnie Plan B, Pedro Memelsdorff, José Miguel Gomez… invités de la 50è Semana de Musica religiosa de Cuenca © Santiago Torralba 2011 pour SMR Cuenca
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