Après le triomphe remporté, la saison dernière, par L’Or du Rhin dans ce lieu (à priori) inattendu qu’est l’Opéra Royal de Versailles pour entendre résonner le Ring de Richard Wagner, le facétieux directeur des lieux Laurent Brunner poursuit sa collaboration avec Sébastien Rouland (et son Orchestre du Théâtre national de la Sarre) pour faire entendre – sous les ors du mythique théâtre versaillais – les sortilèges musicaux et vocaux de la première journée du grand cycle wagnérien.
Et c’est donc l’affluence des grands jours, pour cette représentation unique, où l’on peut entendre – pendant les deux entractes – des spectateurs s’exprimer dans toutes les principales langues européennes. Pourtant, hors Wotan, aucune star n’est mise ici à l’affiche, la plupart des protagonistes faisant partie de (l’excellente) troupe du théâtre allemand. Et si l’immense talent du baryton allemand Thomas Johannes Mayer, l’un des meilleurs Wotan du moment qui chante le rôle sur les plus grandes scènes de la planète, s’impose à nouveau – en gratifiant l’auditoire de son timbre soyeux et de sa voix claire de chanteur de Lied, abordant ainsi le grand monologue du II en Sprechgesang, avec des accents d’abattement et de désespoir qui font passer le frisson -, la révélation de la soirée est cependant la Brünnhilde d’Aile Asszoniy, un nom à retenir absolument !
La soprano estonienne (d’origine hongroise) campe ainsi une Brünnhilde électrique et électrisante, protagoniste à l’intense présence, dotée d’une riche palette expressive et d’une voix à l’ampleur phénoménale, aux aigus projetés tels des javelots, qui lui permettent de surclasser sans peine tous ses partenaires sur la scène versaillaise (comme la plupart des titulaires du rôle-titre du moment) ! La précision de ses attaques et sa pugnacité dans l’aigu forcent l’admiration, tout en phrasant avec beaucoup de sensibilité l’« Annonce de la mort », puis le dernier face à face avec Wotan. Vivement de la retrouver dans l’emploi des plus grandes héroïnes wagnériennes !
De leur côté, Peter Sonn et Ingegjerd Bagøien Moe forment un couple en totale osmose. Le ténor allemand donne un Siegmund très chaleureux, plus lyrique qu’héroïque, avec son timbre suave et clair, peut-être trop pour ce personnage ? Mais, dès le récit du I, son engagement, sa sincérité et sa prodigieuse musicalité emportent l’adhésion. Et sa collègue doublé d’une émission généreuse, et un volume sonore qui parvient toujours à s’élever au-dessus de l’orchestre. Quant à la basse japonaise Hiroshi Matsui, il possède un physique des plus appropriés dans le rôle de Hunding, campant un personnage tout d’une pièce et fort menaçant, avec une voix dont on goûte la noirceur du timbre et la belle ligne de chant.
Tout aussi convaincante, la Fricka de la mezzo allemande Judith Braun, qui maîtrise souverainement la tessiture de son rôle, avec une superbe projection, et un timbre à la fois envoûtant, souple et sensuel. Elle confère ainsi à son affrontement avec Wotan au I, un aplomb dramatique surprenant. Enfin, les huit Walkyries (Elizabeth Wiles, Liudmila Lokaichuk, Maria Polańska, Valda Wilson, Joanna Jaworowska, Clara-Sophie Bertram et Carmen Seibel) constituent un ensemble satisfaisant, d’autant que Judith Braun interprète ici la partie de Waltraute en plus de celle de Fricka.
Plus “française” que “germanique”, la direction musicale du chef français Sébastien Rouland fait entendre une lecture aux accents chambristes, et s’il est vrai que les thèmes ressortent avec netteté et élégance – comme le traitement des violoncelles et des contrebasses, notamment, absolument magique, sa conception de favorise pas toujours la tension dramatique ; c’est ainsi qu’au premier acte, il ne passe pas exactement le frisson escompté de la passion amoureuse. Mais, de ce point de vue, les choses s’améliorent franchement au II, et davantage encore au III, avec un puissant sens de la construction dans les paroxysmes dramatiques – et de splendides crescendi dans le finale.
Vivement maintenant le 25 mai 2025 puisque c’est le jour retenu pour entendre la suite de ce Ring versaillais, avec Siegfried bien sûr !
_______________________________________________________
CRITIQUE, opéra. VERSAILLES, opéra royal, le 18 mars 2024. WAGNER : Die Walküre (La Walkyrie). P. Sonn, I. Bagoien Moe, T. J. Mayer, A. Asszonyi… Orchestre du Théâtre Nationale de la Sarre, Sébastien Rouland (direction). Photos © Emmanuel Andrieu.
VIDEO : Trailer de “Die Walküre” dirigé par Sébastien Rouland au Théâtre National de la Sarre