samedi 26 avril 2025

CRITIQUE, opéra. MONACO, Opéra de Monte-Carlo, le 7 avril 2024. Pasticcio « Their Master’s Voice ». C.Bartoli, J. Malkovich, P. Mathmann, Les Musiciens du Prince, Gianluca Capuano (direction).

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Spectacle lyrique au carrefour des disciplines (et des genres), « Their Master’s Voice » couronne et conclut avec délices et cohérence la déjà 2ème saison de Cecilia Bartoli comme directrice artistique de l’Opéra de Monte-Carlo. La production cultive comme un emblème personnel ce goût particulier des voix de castrats. On se souvient de ses albums ciselés comme des hommages aux voix divines, à la fois masculines et féminines. Le concours de l’acteur John Malkovich en divo hier adulé (un certain Jeffrey Himmelhoch), aujourd’hui sur la brèche, un rien aigri et jaloux, ajoute à la séduction du spectacle, entre théâtre et opéra.

 

Complices, Cecilia Bartoli et John Malkovich s’accordent pour un vibrant hommage à Farinelli

Sur un texte et dans une mise en scène de Michael Sturminger, les airs empruntés à Haendel, Pergolesi, Vivaldi… sont enchaînés à la façon d’un pasticcio – il est surtout question de créatures fascinantes, celles des castrats napolitains dont surtout le plus célèbre demeure Carlo Broschi, alias Farinelli, élève et pur produit de Nicola Porpora. S’y glissent quelques références aux débats actuels, liés au wokisme envahissant et aux ravages de la cancel culture, lesquels ont fini par museler toute liberté de pensée et de paroles, ainsi que le souligne le vieux divo Jeffrey, plutôt pertinent pour le coup.

Le divo à la fois fantasque et capricieux célèbre la légende Farinelli ; il fait travailler un jeune sopraniste, ici le jeune chanteur allemand Philipp Mathmann, voix claire et angélique, cependant qu’une metteuse en scène Rosie Blackwell (jouée par Emily Cox) tente d’adoucir un Malkovitch jamais satisfait, et qui reste en quête d’une « vraie » chanteuse, capable d’aigus lumineux comme de graves ténébreux.

La recherche trouve son terme quand une inconnue, en fait la femme de ménage du lieu (hommage à Anna Netrebko, qui balaya les couloirs du mythique Théâtre Mariinsky avant d’en devenir la plus grande star…) passe une audition et chante la sublime et si subtile prière « Gelido in ogni vena », extrait de Farnace de Vivaldi. Longueur du souffle, justesse et finesse du style, couleurs et nuances des sentiments finement exprimés : Cecilia Bartoli se dévoile dans la maîtrise expressive qui fait sa légende. Evidemment la chanteuse est de suite embauchée, contentant un Malkovitch à présent aux anges… La diva ainsi adoubée incarne tour à tour le compositeur et mentor Porpora, la mère de Farinelli, Farinelli lui-même.

C’est un festival d’airs qui malgré la diversité, touche par la profondeur et la sincérité du chant. Cecilia Bartoli y retrouve son cher Agostino Steffani (dont elle a contribué à rétablir la place et la juste estimation) : « Amami, e vederai » ;  nouvel acte amoureux et voluptueux avec « Sol da te, mio dolce amore » extrait d’Orlando Furioso de Vivaldi, accompagnée par la flûte virtuose de Jean-Marc Goujon. Sans omettre les piani filés, murmurés de la plainte « Ah me ! Too late I now repent » (Haendel, Semele), là aussi d’une sensibilité irrésistible. Plus intimiste et intérieur, voire langoureux, le choix des airs cultive l’affect et l’épanchement nuancé, plutôt que la pure virtuosité.

Souveraine en son royaume, car le spectacle a été taillé pour sa voix et son charisme allusif, la diva éblouit sur les planches monégasques, d’autant plus qu’elle peut compter sur la plasticité ténue, nuancée des Musiciens du Prince, très finement dirigés par Gianluca Capuano. Et aussi sur l’engagement et la complicité des Chœurs de l’Opéra de Monte-Carlo (dirigés par Stefano Visconti), vifs et fins, très habilement exposés dans un spectacle qui a visiblement pris soin de les associer : les choeurs de Pergolèse (« Confitebor tibi domine » tiré de son Stabat Mater) ou de Haendel (« How dark, O Lord, are thy decrees » tiré de Jephta) resplendissent dans l’urgence et un faste choral lui aussi délectable. A noter aussi ses duos avec le jeune sopraniste Philipp Mathmann, dans deux airs où les voix fusionnent : « Destero dall’empia » (Haendel,  Armadigi di Gaula, 1715), et surtout « Quando corpus morietur » (également tiré du Stabat Mater de Pergolèse) où frottent et s’accordent les deux timbres, avec quelques incertitudes pour la jeune recrue, à qui l’on pardonne volontiers tant sa seule présence et son intensité vocale ressuscitent la fragilité des divi napolitains.

Comme une conclusion inespérée, Bartoli et Malkovitch achèvent en duo, leur hommage aux castrats par une exécution de « Pur ti miro », l’air final de « L’Incoronazione di Poppea » de Monteverdi (1643), seul moment où l’on entendra la voix « chantée » de la star américaine – qui ne fera pas carrière, surtout à 70 ans passés, dans le chant lyrique…

 

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CRITIQUE, opéra. MONACO, Opéra de Monte-Carlo, le 7 avril 2024. Pasticcio « Their Master’s Voices ». C.Bartoli, J. Malkovich, P. Mathmann / Les Musiciens du Prince, Gianluca Capuano (direction). Photos (c) Marco Borelli.

 

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