A l’occasion de ses 20 ans, ODB nous avait offert l’année dernière une parenthèse enchantée avec un florilège de jeunes voix et les fantaisies d’un maître de cérémonie d’une drôlerie irrésistible. Fort de ce succès, Jérôme Pesqué et Stéphane Sénéchal ont repris la même formule pour nous faire l’offrande d’un nouveau marathon lyrique tout aussi dense que le premier (près de 5 heures de spectacle), au profit cette fois d’un orphelinat Le Refuge KOL au Cambodge dont Sophie Koch est la marraine.
Toute la première partie de ce programme-fleuve a été un modèle d’équilibre et d’homogénéité, servi par des artistes à la belle présence scénique et vocale. A ce titre, on citera en particulier Juliette Gauthier, très expressive et engagée dans son interprétation de l’air de Sesto de La Clemenza di Tito, tout empreint des nuances attendues, tout comme l’Aria de Sartorio qu’elle habite avec brio. Voix vaillante et souveraine, Fabien Hyon s’impose à chaque instant dans l’Air d’Henry VIII de Saint-Saëns, et trouve ici un emploi qui lui sied parfaitement. Davantage à son aise dans l’air de la folie d’Elvira de I Puritani que dans l’air d’Ilia d’Idomeneo, Faustine Egiziano porte une incarnation intense, assise sur une grande intelligence musicale et un sens dramatique évident. Fanny Revay est une Elisabeth de Tannhauser d’une belle intensité, avec une présence lumineuse. Une voix plus lyrique que dramatique, ce qui surprend dans ce répertoire, mais bien projetée avec un timbre agréable. Coline Infante nous entraîne avec un évident plaisir dans l’univers Straussien avec un pétillant « Mein Herr Marquis » de Johann Strauss.
Abel Zamora nous a enchanté par la couleur de son timbre et la suavité de son émission dans l’air de Don Ottavio et dans l’air de La Jolie Fille de Perth de Bizet. Un artiste à suivre de près tout comme Florent Karrer qui prend un évident plaisir à incarner deux personnages que la scène ne lui offre pas encore, un Escamillo et un Posa, à la majesté orgueilleuse digne de grandes pages héroïques. Puissance, beau timbre, présence, ce garçon a tout pour faire une belle carrière. Emma de Negri nous offre ici un beau moment d’intense subtilité, avec « Tristes apprêt et pâle flambeaux » de Castor et Pollux et « C’est l’extase » de Debussy. Égale dans tous les registres comme dans les expressions, avec un constant souci du texte et des couleurs séduisantes, elle s’y montre au mieux de sa forme et touche au cœur.
Et puis en toute fin de cette première partie, la révélation de la soirée, que nous avions déjà eu l’occasion d’entendre lors du Concours des Voix d’Afrique : Victoria Lingock. Cette jeune Camerounaise, qui étudie le chant depuis un an avec Marie Vasconi, également présente dans le programme, nous a livré une interprétation décoiffante de l’air d’Eboli “O don fatale” avec une voix impressionnante, inclassable, mais non dénuée de nuances et un timbre superbe. Il reste du travail à la jeune artiste pour arriver à maturation et polir son magnifique instrument, mais si elle ne lâche rien, elle pourrait devenir une Grace Bumbry à la Française. Elle en a l’étoffe…
David Abramovitz et Héloïse Mas © Jean-Yves Grandin
Après une interruption de 15 minutes, la seconde partie du Gala est apparue plus contrastée et moins homogène que la première, les artistes étant d’inégale expérience. 0n retiendra surtout les prestations de Anne-Lise Polchlopek à la belle énergie, et à la puissance de feu dans « Easy Assimilated » du Candide de Bernstein, Raluca Valois dans l’air du Voile d’Eboli, qui se distingue par une belle présence scénique, un timbre séduisant et l’intensité de graves moirés (elle doit encore toutefois travailler la projection et l’homogénéité de la voix), Marlène Assayag qui a fait revivre avec une agilité sans faille l’air alternatif de Giuletta « L’amour lui dit la belle », Jeanne Zaepfel qui nous a délivré un délicat et subtil « Le Magnifique » de Grétry. Musicien stylé et artiste sensible, Stéphane Sénéchal nous offre un hommage au monde et aux états en guerre par une interprétation émouvante de « Tout disparut » de Poulenc, avec une jeune danseuse libanaise, Cynthia Dariane.
Mais c’est incontestablement Marc Mauillon qui récolte tous les suffrages dans cette seconde partie. Le baryton français, irrésistible tant vocalement que dramatiquement, y fait merveille, ne faisant qu’une bouchée de l’aria « Una voce m’ha colpito » de L’Inganno felice de Rossini. Il sait également épouser les subtilités et les infinies nuances de la mélodie française, et on fond de bonheur à l’entendre dans « Clair de lune », de Debussy qui tombe on ne peut mieux, en cette fin d’après-midi d’automne, où la nuit enveloppe déjà Paris. Comme l’année précédente, le programme est ponctué des interventions burlesques de la Stromboli, diva sur le retour, créée et interprétée avec fantaisie et brio par Stéphane Sénéchal. Cette figure fantasque est rejointe cette année par une élève fashion queer, l’irrésistible Sopralona d’Aurélien Vicentini, et une soprano « influenceuse », Funny Truche, autre incarnation succulente de Stéphane Sénéchal.
Outre ces scénettes humoristiques, deux parenthèses extra lyriques nous ont également été offertes par Isabelle Carrar et le pianiste inspiré Genc Tukici. Avec une subtilité à fleur de peau au fil des mots, la chanteuse a délivré un bouquet d’émotions en mode voix de velours, en interprétant « Parce que » d’Aznavour et “L’île aux mimosa” de Barbara. Saluons également l’engagement d’artistes de premier plan qui ont accepté de consacrer temps et énergie pour participer à ce spectacle monté disons le point mettre en lumière des jeunes voix. Héloïse Mas ouvre le Gala, avec deux airs titres qui contrasteront avec la tonalité globalement enjouée de l’événement, « O ma lyre immortelle » tiré de Sapho et « Pleurez mes yeux » du Cid qu’elle sert avec une profonde émotion et énormément de sensualité. Stéphanie d’Oustrac, avec son abattage habituel de comédienne et de tragédienne, passe des affres de cette pauvre Charlotte de Werther aux « Nuits d’une Demoiselle », sur une rythmique jazz, qui fait monter la température du public par ses formules suggestives et sulfureuses. Une sorte de « Dame de Monte Carlo » dépeinte ici dans les ébats amoureux de sa prime jeunesse. Une incarnation dans laquelle la mezzo se glisse avec délectation !
Un mot enfin pour citer les accompagnateurs des chanteurs lyriques, tous excellents et particulièrement Maxime Neyret et Denis Dubois (également acteur des scénettes de Stéphane Sénéchal). Il faudra attendre la fin du programme, pour voir apparaître un autre grand nom de la scène lyrique, Jean Philippe Lafont, sorti de sa retraite pour nous livrer un « Nemico della Patria » d’Andrea Chénier, ébouriffant de puissance et qui clôturera en feu d’artifice cette course de fond lyrique. On pourra cependant regretter que le spectacle fleuve se finisse de manière un tantinet abrupte sans que l’on fasse monter sur scène pour les saluts les chanteurs encore présents. Cela aurait donné une digne conclusion à un après-midi d’une grande intensité.
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CRITIQUE, gala lyrique. PARIS, Salle Rossini, le 16 novembre 2024. GALA lyrique d’ODB. F. Hyon, H. Mas, J. P. Laffont, S. d’Oustrac, F. Egiziano, M. Mauillon, A. Zamora, V. Lingock, M. Assayag, A. Vincentini… Toutes les photos © Jean-Yves Grandin