Avec Mirage, présenté (jusqu’au 11mai) au Grand Théâtre de Genève, Damien Jalet parachève une trilogie entamée en 2016 avec Vessel et prolongée la saison passée par Planet [wanderer] (nous y étions) – deux œuvres déjà marquées par une fascination pour les forces naturelles et leurs métamorphoses. Cette fois, toujours aux côtés du scénographe japonais Kohei Nawa, il plonge le spectateur dans un univers où l’humain se fond, se dissout et renaît au gré des éléments.
La terre : un désert d’ombres et de résonances
Dès l’ouverture, le plateau se transforme en un paysage minéral, modelé par une dune aux contours énigmatiques. Les danseurs, silhouettes fantomatiques, y tracent des chemins tantôt lents, tantôt frénétiques, comme mus par une force tellurique invisible. Leurs pas, scandés par des sons métalliques, résonnent en écho aux compositions électro-orchestrales de Thomas Bangalter – des basses profondes qui font vibrer la salle, sans jamais verser dans la brutalité gratuite. L’effet est hypnotique : les corps s’assemblent, se dispersent, tels des nomades égarés dans un mirage. La scène, baignée d’une lumière crépusculaire (signée Yukiko Yoshimoto), joue avec les reliefs et les ombres, créant une illusion optique où le réel et le fantasmé se confondent.
L’eau : un ballet organique d’une grâce bouleversante
Puis vient le tableau aquatique, moment d’une poésie rare. Assis en cercle, les interprètes déploient un langage chorégraphique fluide, leurs torses et bras ondulant comme des algues sous-marines. Les mains s’ouvrent en corolles, les corps s’enlacent en une slow-motion hypnotique, évoquant la danse des anémones sous la houle. Le brouillard, coulant comme un torrent, achève de noyer la scène dans une atmosphère liquide, presque mystique. Ce passage, d’une beauté à couper le souffle, rappelle la capacité de Jalet à transcender la danse pour toucher à l’universel.
L’air et le feu : une apothéose spectrale
L’ultime partie bascule dans le spirituel. Des duos lascifs, enveloppés d’une pluie de paillettes, évoquent des insectes phosphorescents, tandis que les éclairages sculptent des formes éphémères. Puis, l’image la plus forte : un mille-pattes humain, monstre onirique avançant en une procession cauchemardesque, avant que la scène ne soit engloutie sous un nuage rougeoyant. La disparition finale d’une danseuse, sublimée par un faisceau de lumière ascendant, clôt l’œuvre sur une note de dissolution cosmique.
Une prouesse technique au service du sublime
Si la performance physique semble moins acrobatique que dans Vessel, la maîtrise des danseurs – évoluant sur les pentes instables de la dune – reste impressionnante. Kohei Nawa et Yoshimoto signent une scénographie et des lumières d’une précision millimétrée, transformant chaque instant en tableau vivant. Mirage confirme Damien Jalet comme un alchimiste du mouvement, capable de mêler choc visuel et profondeur métaphysique. Le public, subjugué, réserve une ovation à cette œuvre qui, entre minimalisme et grand spectacle, redéfinit les frontières de la danse contemporaine. Une expérience totale, où le corps n’est plus qu’un vecteur des éléments – et le spectateur, un voyageur émerveillé !
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CRITIQUE, danse. GENEVE, Grand-Théâtre, le 7 mai 2025. « Mirage ». Ballet du Grand-Théâtre de Genève / Damien Jalet & Kohei Nawa
VIDEO : Trailer de « Mirage » de Damien Jalet et Kohei Nawa au Grand-Théâtre de Genève