L’avant dernier concert du Festival si bien nommé « Résonances » à la Sainte-Chapelle de Paris, permet de vivre une expérience incomparable entre architecture et musique. Le récital du jeune accordéoniste Julien Beautemps, interprète, transcripteur, compositeur le démontre avec éclat et nuances… En ouverture, la Passacaille de JS Bach, compositeur générique du programme, débute dans une polyphonie pleine, détaillée, large, comme ancrée dans la terre … puis à mesure que se déroule le flux instrumental, plein de noblesse sous des doigts aussi inspirés (agilité éloquente de la main droite), la marche ample s’allège ; elle s’immatérialise vers un infini céleste, comme une aspiration verticale, en total accord avec le dessin architectural et l’élan fuselé des hautes baies vitrées de la Sainte Chapelle.
Le dessein du directeur musical Yann Harleaux est de ce point de vue parfaitement réalisé : le dialogue entre musique et architecture, – les magiques » résonances » au cœur du Festival, sont bien palpables ce soir. Dans un jeu très naturel qui parait improvisé, trait marquant de toute la soirée, l’interprète affirme un lien particulier qui le lie à Jean Sébastien Bach, à sa hauteur de vue, à son imaginaire sans limite.
Puis se dévoile son égale compréhension de Mozart. Du Requiem, l’accordéoniste a transcrit cette année partie de la partition du génie salzbourgeois ; il en a déduit 3 morceaux éblouissants, enchaînés dans une souveraine maîtrise contrapuntique ; la conception est à la fois dramatique grave et profonde, et aussi très intérieure ; l’interprète jouant comme dans le Bach précédent, sur la longueur de la note, le sens et la direction du souffle, l’ultime résonance avant l’expiration et le silence plein : l’Introïtus et le Kyrie édifient un portique initial majestueux et remarquablement réalisé, introduit dans un crescendo plein de retenue, ce que l’on retrouve dans le Lacrymosa, la pièce maîtresse de toute la construction : à la fois hautement inspiré, retenu et pressé par une urgence impérieuse. Il s’agit bien d’un questionnement profond, d’ordre métaphysique et dans la continuité du flux musical, du passage de l’ombre à la lumière, de la matérialité à la grâce abstraite d’une conscience apaisée et réconciliée. Saluons le parcours éprouvé grâce au jeu très maîtrisé de l’accordéoniste : et comme le précise le musicien au public, ce sont 3 pièces comme la Sainte Trinité, elle-même évoquée dans le plan décoratif de la Sainte-Chapelle.
Dans sa Sonate, composée en hommage à son grand-père, Julien Beautemps se livre davantage encore. Le premier mouvement est le plus développé, évoquant clairement l’infini, comme le jeune musicien aime à l’expliquer aux auditeurs ; le deuxième est enchaîné comme un scherzo conquérant où l’auteur glisse des motifs liturgiques et le troisième enchaîne les épisodes contrastés s’appuyant sur une dextérité dans le choix des modes de jeu, y compris tous les effets produits par la maîtrise du soufflet, tiré, poussé avec une volubilité impressionnante ; l’interprète explorant toutes les nuances sonores selon la pression recherchée sur la colonne d’air ; ses effets de trémolos et du jeu tremblé, « syncopé », et du picotage…, conférant une expressivité captivante. Ce qu’il avait déjà maîtrisé dans le Requiem de Mozart.
En bis, conclusion des plus adaptées, Julien Beautemps joue son cher Bach, avec un naturel inspiré, véritable marche vers l’au-delà et le très haut des cimes célestes. Tempérament magistral.
Saluons la justesse de la programmation de Yann Harleaux pour son festival « Résonances », centré sur le clavier. Ce soir, la découverte est totale, de surcroît idéalement connectée à l’esprit du lieu, – l’écrin unique de la Sainte-Chapelle, ses harmonies et proportions, l’appel à la méditation et à l’humilité qu’il suscite immanquablement. Julien Beautemps ne révèle pas seulement son grand talent de musicien : le jeune accordéoniste affirme un imaginaire ancré dans le questionnement et la finitude, la lumière et le partage. Chapeau bas.
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CRITIQUE, concert. PARIS, Sainte-Chapelle, le 29 juin 2025. Récital de Julien Beautemps, accordéon : JS Bach, Mozart, J. Beautemps… Photo : Julien Beautemps DR
VISITEZ le site de l’accordéoniste Julien Beautemps : https://www.julienbeautemps.com/
LIRE aussi notre présentation du Festival » Résonances » à la Sainte-Chapelle de Paris : https://www.classiquenews.com/paris-sainte-chapelle-6eme-festival-claviers-resonances-du-1er-au-30-juin-2025-de-ellington-a-bach/