Pour son cinquième et dernier “week-end”, le Paris Sainte Chapelle Opera Festival – sis dans le sublime écrin de la Sainte Chapelle de Paris – offrait au baryton Jean-Marc Balester et à la jeune soprano Charlotte Bonnet un programme original avec « les grands airs et duos Pères/Filles à l’opéra« , en plus d’un autre programme non moins inédit Voix/Violoncelle avec la caméléonesque Fabienne Conrad, accompagnée par Cyrille Lacrouts (le violoncelliste solo de l’Opéra national de Paris !). Et, pour les deux concert de clôture – à tout seigneur tout honneur -, la directrice artistique du festival, cette même infatigable Fabienne Conrad, se produisait seule dans un programme très éclectique le 1er mai, mais chantait en duo la veille (30 avril) en compagnie de l’attachant jeune ténor Mathieu Justine, pour un concert lyrique entièrement consacré à Giacomo Puccini (dont on fête, chacun le sait maintenant, le centenaire de la disparition en 2024).
On connaît Fabienne Conrad pour son incroyable élégance, parisienne jusqu’au bout des ongles, et c’est chaque soir – qu’elle chante ou qu’elle présente les artistes du soir… – de nouvelles robes de hautes coutures qu’elle porte – ce soir de couleur rouge passion, Puccini oblige ! Plus classique, son partenaire porte un costume noir et noeud-papillon, mais la fusion entre les chanteurs n’opère pas moins. Comme pour ses récitals précédents, il faut voir Fabienne Conrad jouer chaque air comme si elle était sur une scène d’opéra, et même comme si sa vie en dépendait, femme palpitante d’amour, et ce sont ainsi les plus beaux airs et duos amoureux du maestro toscan qui sont égrainés tout au long de la grosse heure que durent les concerts du PSCOF. C’est cependant par l’air “Gratias agimus tibi” (pour ténor) extrait de la Missa di Gloria que débute la soirée, ce qui permet au public de goûter au timbre suave et à la voix ductile d’un jeune chanteur promis à un bel avenir (on l’entendra, la saison prochaine, à l’Opéra de Marseille, de Limoges, de Rouen etc.). Puis débute la litanie des duos les plus enflammés du répertoire puccinien, avec tout d’abord la fin du 1er acte de La Bohème (“Che gelida manina”, “Si, mi chiamano Mimi” et le duo “Soave fanciulla”). Les deux artistes y rayonnent, tant ils mettent de conviction dans ce “premier amour”, leurs belles voix lyriques fusionnant dans le duo, qu’ils concluent en quittant leur estrade pour remonter toute l’allée centrale vers la porte d’entrée de la Sainte-Chapelle. Leurs voix se perdent ainsi, telle une extase, et le public leur réserve une première salve d’applaudissements nourris.
C’est ensuite avec les deux plus beaux airs de “Tosca” (“Vissi d’arte” et “E Lucevan le stelle”) que se poursuit la soirée. Fabienne Conrad délivre le premier air avec l’impeccable tenue musicale qu’on lui connaît, qui sait infléchir ses grands moyens pour donner cette aria magnifique de bouleversantes nuances, se concluant par un “cosi” à faire fondre les cœurs les plus endurcis. De son côté, Mathieu Justine se jette corps et âme dans le bouleversant adieu à la vie de Mario, et il sait envelopper de son phrasé voluptueux cette douce mélancolie dont ce célébrissime air ne peut faire l’économie. De Madama Butterfly qui suit, les deux artistes ont retenu le duo “Vogliotemi bene” et la déchirante aria de Cio-Cio San “Un bel di vedremo”, dans laquelle – pour nous paraphraser – la cantatrice semble jouer son destin, livrant un bouleversant portrait de la jeune geisha abandonné par son infidèle amant.
Cet air est aussi l’occasion, pour la chanteuse dans son propos d’annonce de la fin du concert, de féliciter leur excellent accompagnateur, le pianiste Jean-François Boyer, “dont la subtilité du jeu pianistique vaut tout un orchestre”, et il est vrai qu’il parvient à marquer les esprits dans la partie introductive et conclusive de cet air, jouée avec une intensité dramatique particulièrement poignante. Il se révèle ainsi être bien plus qu’un partenaire, mais une cheville ouvrière si précieuse, par sa musicalité et sa précision, qui font particulièrement merveille l’un des Intermezzi de Johannes Brahms, qu’il interprète entre deux ouvrages pucciniens. Et, toujours aussi “grand seigneur”, Fabienne Conrad laisse à Mathieu Justine le soin de terminer la soirée, avec l’incontournable “Nessun dorma” extrait de Turandot, qui met le feu parmi le public, comme toujours avec cet air, même si le jeune ténor y trouve l’extrême de ses possibilités actuels, et que l’on ne saurait trop lui conseiller de se limiter à la seule exécution de ce morceau lors d’un récital… Et c’est le non moins incontournable bis “Libiam” extrait de La Traviata de Verdi, seule “entorse” à Puccini de la soirée (avec le morceau pianistique brahmsien) que se termine – de manière festive avec une audience qui clappe des mains et entonne l’air avec les deux artistes – ce concert pétillant sous la voûte étoilée de la sublime Sainte-Chapelle de Paris !
En guise de conclusion, il faut ici remercier le Centre des Monuments Nationaux d’avoir permis que se tienne la seconde édition du Paris Sainte Chapelle Opera Festival – et sa quinzaine de concerts pendant tout un mois -, dans ce lieu magique mais également fragile et ultra-sécurisé ! Il faut remercier aussi la Société Euromusic, dirigé par le passionné Yann Harleaux, d’avoir cru en Fabienne Conrad, l’an passé, et de maintenir ses efforts, sachant qu’une troisième mouture est déjà annoncée (avec des stars internationales du chant lyrique, nous a-t’on sussuré à l’oreille…), alors vivement avril 2025 pour retrouver ce festival lyrique d’un degré de qualité et d’exigence artistique rares !
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CRITIQUE, concert. PARIS, Paris Sainte Chapelle Opera Festival (Sainte Chapelle), le 30 avril 2024. Récital « Puccini mon amour » : Fabienne Conrad (soprano), Mathieu Justine (ténor), Jean-François Boyer (piano). Photos (c) Robert Ebguy.
VIDEO : Mathieu Justine interprète la Romance de Nadir « Je crois entendre encore » extrait des « Pêcheurs de perles » de Georges Bizet