Ce dimanche après midi à la Seine musicale est un excellent moyen de mesurer l’actuel niveau de l’Orchestre Colonne, dans un programme particulièrement riche et divers. Un programme d’autant plus représentatif que l’œuvre principale à l’affiche, est liée à l’histoire de l’Orchestre.
En ouverture, l’orchestration foisonnante, grandiloquente et inattendue d’après le Prélude opus 3 n°2 de Rachmaninov, originellement pour piano et qu’Henry Wood, fondateur des Proms de Londres, réorchestre ici avec tout le panache et le sens des effets attendus. De quoi chauffer les instrumentistes sous la baguette de la cheffe Sora Elisabeth LEE qui remplace le directeur musical de l’Orchestre Colonne (Marc Korovitch). Soit un lever de rideau des plus pétaradants.
La pièce qui suit, (- illustrant la séquence « invitation au voyage ») est une adresse en forme d’énigme aux auditeurs : à eux d’en reconnaître l’auteur non dévoilé au moment du concert). Le choix rappelle combien l’Orchestre Colonne sait défricher et surprendre : au piano Juliette Journaux entame la fantaisie pour clavier et orchestre, après des accords fracassants alla Brahms (un condensé de l’ouverture originelle des Variations qui dure en réalité plus longtemps) : les premières mesures de l’air « Ah vous dirai-je maman, ce qui cause de mon tourment… » de Mozart, crée la surprise en contraste, puis repris, ornementé de divers façons par l’orchestre et la soliste, dans un jeu qui mêle en toute liberté, humour (à la Saint-Saëns), haut romantisme (à la Liszt et Tchaikovski) sans omettre dans sa dernière partie, un somptueux épisode où le piano avec cor chante sur un tapis orchestral aussi dense et raffiné qu’un opéra de Richard Strauss… !
La réponse viendra du public mais après un temps d’hésitations (et plusieurs erreurs) : l’inattendu Ernst Von Donanyi (né à Budapest en 1877 et mort à New York en 1960, père du fameux chef Christoph). Pleine de facétie mordante, d’expressionnisme âpre et de citations à foisons, l’œuvre éclectique et délirante date de 1914. Les esprits sont eux ainsi chauffés, mis en alerte et tout à fait prêts pour aborder ensuite la seconde partie du programme.
Après l’entracte, en création parisienne, les musiciens jouent une pièce de la compositrice Florentine Mulsant (présente dans le public) ; l’élégance radieuse de son Concerto pour Piccolo et orchestre (2017) retient immédiatement l’attention ; la partition est pleine de couleurs et aussi d’espièglerie active et solaire dont le 2è et dernier mouvement en particulier, qui déploie tout un jeu de cache-cache entre l’instrument soliste et l’effectif orchestral. Fluide, aérien, en connivence avec l’orchestre (et souvent en dialogue ou doublé avec cor, clarinette ou hautbois), le piccolo de la soliste invitée, Anaïs BENOIT, charme par sa flexibilité expressive.
L’Orchestre COLONNE au grand complet pour La Mer de Claude Debussy, qu’il a créé en 1908 © classiquenews 25
Enfin cerise sur le gâteau et objet réel de notre présence, La Mer de Debussy, dans la version « intercalaire » de 1908, crée par l’Orchestre Colonne sous la direction du compositeur, avant la version définitive de 1909. Cette version est toujours contenue dans les archives de l’Orchestre ; certaines pages en sont présentées pendant l’entracte…
La direction de la cheffe invitée ne manque ni d’énergie ni de précision ; offrant surtout une lecture aux contrastes décuplés, faisant miroiter l’opulente texture d’un Debussy plus conquérant que véritablement raffiné ; la cheffe joue moins sur la transparence comme la fragmentation sensorielle de la matière musicale que sur l’affirmation de crescendos qui culminent dans des tutti explosifs (au risque de perdre le fil de cette pulvérisation sonore qui fait la clé de la première séquence). Pour autant les couleurs et la matière atmosphérique du I (« De l’aube à midi sur la mer ») composent une belle entrée en matière ; « Jeux de vagues » (II) déploie ses rythmes de danses (la valse ivre fameuse), … avec une fin évaporée réussie ; enfin « Dialogue du vent et de la mer » (III) débute dans cette urgence instable et inquiète requise, ce mouvement orageux des éléments contrariés qui crée une arène conflictuelle, où perce au fur et à mesure de la houle sinueuse, contrariée, la plainte languissante des flûtes, agents du vent tempétueux soudainement implorant qui cependant sera triomphal (grâce à la claque finale des cuivres). L’engagement des instrumentistes, leur acuité expressive sont constants, s’inscrivant alors avec conviction et autorité dans la grande histoire qui relie la partition à l’Orchestre. Par son ambition et l’énergie déployée, le concert à la Seine Musicale convainc particulièrement, il a offert un bain symphonique à la hauteur de nos attentes.
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CRITIQUE, concert. BOULOGNE-BILL.,La Seine Musicale, le 9 mars 2025. Ersnt von Dohnanyi, Mulsant, Debussy (La Mer, 1908). ORCHESTRE COLONNE, Sora Elisabeth Lee (direction).
agenda
PROCHAIN INCONTOURNABLE – Prochain concert de l’Orchestre Colonne à ne pas manquer : « La Force de l’amour », dim 11 mai 2025, PARIS, Salle Gaveau – Au programme : TCHAÏKOVSKY ⸱ Roméo et Juliette / WAGNER ⸱ Tristan et Iseult – Prélude et Liebestod / SAINT-SAËNS ⸱ Danse Macabre ; La cloche ; Souvenances / MANOUKIAN ⸱ Aristeides and Lyra (création mondiale) : https://www.orchestrecolonne.fr/agenda/saison-2024-25/symphonique/la-force-de-lamour/