Un événement assez rare s’est produit dans la superbe Salle du Concertgebouw d’Amsterdam, ce vendredi 11 octobre 2024 : un concert complet de musique ancienne interprété par un orchestre moderne, à savoir l’excellent Orchestre Royal du Concertgebouw. Encore plus rare, à sa tête, un chef on-ne-peut-plus baroque : Leonardo Garcia Alarcon. Un échange fascinant qui en dit long sur les mondes (trop) séparés du baroque et des musiciens modernes. Ce n’est toutefois pas une rencontre puisque le chef argentin était déjà venu diriger (en 2022) Acis et Galatée de Haendel, dans sa version orchestrée par Mozart (pour le Baron Van Swieten).
Crédit photographique © François de Maleissy
Le programme concocté par Alarcon mélangeait les œuvres orchestrales de J. S Bach et G. F. Haendel, avec des airs extraits de Cantates à la manière des concerts donnés par Bach au fameux Café Zimmermann à partir de 1729. Alarcon explique dans le livret de salle vouloir prouver que Bach et Haendel ne sont pas si éloignés qu’on a tendance à le penser, et que Bach – bien au-delà du musicien d’église sérieux et luthérien – était, comme Haendel, également un bon vivant. Toutefois, ce souhait ne s’est pas ressenti sur la scène du Concertgebouw…
L’Ouverture et l’air (célèbre) de la Suite pour orchestre en Ré Majeur de Bach qui introduisent le programme sont joués de manière à la fois très belle et très sage. Les musiciens du Concertgebouw sont incontestablement exceptionnels sur le plan technique : le son est plein, égal, solide sans jamais être lourd (comme pouvaient l’être les orchestres des années 50 / 60). Alarcon dit lui-même que, lors de la production d’Acis et Galatée, un orchestre baroque ne lui manquait pas. Mais pour autant, l’ambiance de fête n’est pas au rendez-vous. La phalange amstellodamoise nous montre une très belle cohésion, et L.G. Alarcon semble s’amuser avec les couleurs, certainement inhabituelles pour lui, de cet orchestre merveilleux. Mais force est de constater qu’il en oublie un peu son discours…
Les deux airs de la Cantate BWV201, connue sous le nom de Cantate “de Pan et Phoebus”, sont interprétés par Andreas Wolf, qui souffre du même constat. Si belle soit l’acoustique de la mythique salle amstellodamoise, elle n’est pas vraiment adaptée à la voix. De sorte que, si beau que soit le timbre, la voix du baryton-basse allemand ne “passe” pas l’orchestre, et les deux instrumentistes solistes du premier air (une flûte et un hautbois) sont également fondus dans la masse des cordes. Excellent chanteur d’opéra, on sent le chanteur moins à l’aise dans le répertoire des Cantates, le nez dans sa partition, et manquant malheureusement de consonnes dans sa propre langue… Le deuxième air se fait plus dansant, délivré avec plus d’humour, ce qui rafraîchit nos oreilles avec délices.
La deuxième partie du concert fait entrer Haendel – et sa “Music for the royal fireworks”. L’orchestre se réveille, sa cohésion est soudain beaucoup plus adaptée, et l’on s’en donne à cœur joie ! Haendel tel qu’on aime l’entendre. Ferait-il moins peur aux musiciens de l’orchestre que la sainte figure de Bach ? Les spécificités de chaque mouvement de la Suite de Haendel sont parfaitement caractérisées et jouées avec toute la finesse propre à l’Orchestre Royal du Concertgebouw. S’il l’on relève quelques défauts dans le répertoire, les orchestres baroques devraient regarder de plus près la technique impeccable de ces musiciens.
Au final, un concert très intéressant, plein de surprises, où tous les enjeux n’ont pas été atteints, mais où on a pu entendre un son exceptionnel au service de la musique ancienne !
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CRITIQUE, concert. AMSTERDAM, Concertgebouw, le 11 octobre 2024. BACH / HAENDEL. Andreas Wolf (basse), Koninklijk Concertgebouworkest, Leonardo Garcia Alarcon (direction).