Au lendemain d’un enthousiasmant récital Liszt par Filipe Pinto-Ribeiro, quelle nouvelle soirée envoûtante dans l’écrin de pierre et d’histoire qu’est la Chapelle du Couvent dos Capuchos ! Sous l’égide du Festival dos Capuchos, l’Ensemble Baroque « Tra Noi » (basé en Suisse) nous a offert avec « Telemann goes East » un concert d’une intelligence musicale et d’une énergie communicative absolument jubilatoires. Le pari était audacieux : explorer l’incroyable ouverture de Georg Philipp Telemann aux musiques d’Europe de l’Est, et le confronter à des sources authentiques de ces traditions. Pari réussi au-delà de toute espérance !
Dès les premières notes de la Suite TWV 42:h2 de Georg Philip Telemann, l’alchimie a opéré. La flûte pétillante de Silvia Berchtold, le violon agile et chaleureux de Daria Spiridonova, les lignes profondes et chantantes de la viole de gambe de Bianca Cucini, et le clavecin à la fois rythmique et coloré de Rafaela Salgado ont tissé une toile sonore d’une cohésion et d’une vitalité exemplaires. La musique respirait, dansait, conversait avec une complicité évidente entre les quatre musiciennes.
La plongée dans l’Est commença véritablement avec le premier Hungaricus 535 (manuscrit Uhrovska). L’anonymat de la pièce n’enlève rien à sa force ! L’ensemble « Tra Noi » en a révélé toute la saveur rustique et la rythmique entraînante, offrant un contraste fascinant et immédiat avec la sophistication telemannienne. Et quelle transition brillante vers les Polonaises de Telemann ! Ces danses, emblématiques du « goût polonais » cher au compositeur, ont littéralement pris vie sous leurs doigts. L’élégance du trait, la vivacité des tempi, et surtout, ce sens inné du rythme de danse, ont fait palpiter la chapelle. On y sentait l’âme populaire transcendée par le génie baroque !
Le deuxième Hungaricus 25 a confirmé la richesse du manuscrit Uhrovska, avant une découverte majeure : la Sonate de Stanisław Sylwester Szarzyński. Quelle œuvre puissante et contrastée ! Les mouvements enchaînés (Adagio | Allegro| Adagio | Allegro| Adagio | Allegro) ont permis à chaque musicienne de briller tour à tour dans des soli expressifs (le violon de Spiridonova particulièrement poignant dans les Adagios) et dans des dialogues endiablés (la flûte et le violon virtuoses dans les Allegros). L’ensemble a magistralement rendu la dramaturgie et la fougue de cette pièce rare.
Le retour à Telemann avec la Polonaise TWV 45:28 fut un moment de pur bonheur rythmique, avant une nouvelle incursion dans le trésor Uhrovska avec les pièces anonymes N.º C 91, C 160, C 298. Ces courtes danses, tour à tour gracieuses, énergiques ou rêveuses, ont été des petits bijoux d’interprétation, pleins de caractère et de couleurs.
Le final en apothéose avec la Sonate TWV 40:111 (d’une écriture brillante et serrée), la Polonaise TWV 45:17 (rythmiquement irrésistible) et surtout l’extraordinaire Sonate en trio TWV 42:a4 a clôturé le concert en feu d’artifice. Les quatre mouvements (Largo / Vivace / Affettuoso / Allegro) ont résumé tout l’art de l’ensemble : profondeur expressive, virtuosité éblouissante (le Vivace et l’Allegro !), dialogue constant et joyeux, et une énergie communicative qui a soulevé l’auditoire. L’Affettuoso, d’une beauté à couper le souffle, a montré la parfaite symbiose des timbres (flûte, violon, viole) portée par le clavecin.
L’Ensemble Baroque « Tra Noi » a offert au public venu en nombre bien plus qu’un concert : un véritable voyage sensoriel ! Si leur maîtrise technique est impeccable, c’est surtout leur engagement, leur joie de jouer ensemble et leur intelligence du programme qui ont conquis le public. Silvia Berchtold, Daria Spiridonova, Bianca Cucini et Rafaela Salgado ont illuminé la chapelle dos Capuchos de leur talent et de leur passion. Elles ont rendu avec brio toute la modernité, la curiosité et le génie de Telemann, dialoguant avec les traditions de l’Est de manière fascinante… Brave !
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CRITIQUE, concert. ALMADA (Portugal), 5e Festival de Musica dos Capuchos, le 15 juin 2025. « TELEMANN goes east » par l’Ensemble « Tra Noi ». Crédit photo (c) Emmanuel Andrieu